Alphaville.
Est-il possible de tenir un discours contre
la technique au moyen d’un film ? Il semble que oui ; ou, au moins,
c’est ce que pense Godard si Alphaville
décrit : « Une société contrôlée par les ordinateurs, en guerre avec
les artistes, les penseurs et les amants », comme l’écrit Andrew Sarris sur la pochette du DVD de The
Criterion Collection. Personnellement j’ai de
gros doutes : le cinéma, un « art » où la technique est
maîtresse incontestée, ne peut critiquer la technique qu’en se taisant. Un film
comme Alphaville se contredit à moins d’être
le testament d’un auteur : « Après cette critique, je ne veux plus
m’asservir à la technique et je ne ferai plus de films. » Mais dans le cas
de Godard, Alphaville est loin d’être son
dernier souffle : quarante ans après, à un âge où le regard n’a plus
besoin de lentilles pour observer le monde, il continue à filmer comme dans sa
lointaine jeunesse. Certes, ce n’est pas la première fois qu’un artiste crée
une œuvre où ce qu’il veut transmettre est sans importance par rapport à la
« beauté » ou à ce qu’il dit sans le savoir. Mais Alphaville
ne tombe pas dans cette catégorie non plus. C’est un concentré des défauts de
Godard, tous « ses petits jeux faciles », comme disent ses
détracteurs, sont trop évidents. Trop de concession au public, se prenant trop
au sérieux et complètement dépourvu d’ironie. C’est sans doute le propre du
cinéma d’auteur de faire des clins d’œil à ses fans et d’opposer, orgueilleux,
ses milices d’élite aux armées incultes du cinéma populaire, mais dans le cas
d’Alphaville, la milice d’élite doit se
contenter d’une solde de crève-faim.
Alphaville, si l’on est objectif, se réduit à une vision
du monde de vieil enfant grincheux ; à des discours à l’eau de rose sur
l’art, sur l’amour et sur la pensée ; à quelques belles photos ; et
au jeu charmant d’Anna Karina. Pour tenir le coup, le film aurait dû être muet,
être coupé d’une bonne heure, ne laissant que quelques images d’Anna Karina et
la scène que tous les cinéphiles connaissent, où le soubresaut de la voiture
est le seul indice de la tête écrasée.
Si on est magnanime et qu’on aime Godard,
comme je l’aime, Alphaville est un vaccin pour
étudiants en cinéma. Après l’avoir vu, à moins d’être un crétin de première, on
ne pourra plus tomber dans une telle facilité même si on a choisi comme slogan
la devise de l’afp[1] : « Jouissons et que les cons travaillent. »
[1] Il arrive que deux associations aient le même sigle, mais ce n’est pas le cas d’afp, car l’Association des Fils de Pute et l’Association des Fainéants Prétentieux sont la même association qui se présente avec un nom ou l’autre en fonction des circonstances, mais toujours avec le même sigle.