2001 Intimité. Je dois admettre que, même si le navet[1] de Patrice Chéreau m’a gonflé comme cela ne m’était pas arrivé depuis la lecture des œuvres de saint Anselme, il m’a aussi apporté quelque chose d’agréable : il m’a forcé à me demander ce qu’est l’intimité. Mes lointains souvenirs du latin me disaient que l’intime est ce qui est le plus en dedans, le plus intérieur ; mes excursions dans la politique m’avaient appris que l’intimité est une invention d’hypocrites petits-bourgeois sans épaisseur ; mes désirs de jeunesse me faisaient rêver de pénétrations dans l’intime de toute femelle qui avait réappris à se mettre à quatre pattes. Le film de Chéreau m’a montré que l’intime lui-même est vide. À moins que Chéreau ne fasse partie de ces gens vides qui vident tous ce qu’ils touchent. Impossible. J’ai trop vu de ses mises en scène au théâtre qui montraient tout le contraire. Donc, c’est l’intime lui-même qui est vide et non la manière de le montrer. Comment pourrait-il en être autrement, si chacun peut charger son intérieur de ce qu’il croit le plus caché, le plus occulté, le plus personnel. Ah, te voilà, avec tes contradictions ! Avec ton abandon trop rapide aux mots ! S’il y a quelque chose de non occulté dans Intimité, c’est bien l’intimité : on voit tout. Tout ce qu’un corps peut faire quand il en rencontre un autre et que les deux sont habillés seulement avec un cache-misère de peau. Mais qu’est-ce qu’il y a en dedans ? En dedans de quoi ? En dedans de la peau[2] ? Rien. Donc l’intimité est le vide. À moins que… à moins que l’intimité ne doive pas être considérée par rapport aux murs de la maison. Ah ! voilà : Chéreau nous fait pénétrer dans une maison (dans l’intimité d’une maison) où des corps cherchent à avoir le moins possible de peau à l’air. Donc l’intimité vide de la maison est ce que Chéreau a rempli avec ce qui existe de moins intime : de la peau[3]. Dans cette maison il n’a pas mis seulement de la peau, il a mis aussi les chuchotements et les clapotages des films pornos de sixième catégorie (ceux qu’un vieux cocaïnomane impuissant qui n’a jamais manipulé une caméra réalise pour se retrancher derrière ses dernières lignes). Pourquoi attaquer ce film, toi anonyme spectateur, d’une ville provinciale d’une province américaine ? Qu’est ce qui t’agace ? Dis-moi, qu’est-ce qui te fait bouder ton plaisir ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que j’aime trop les films de cul pour permettre à un metteur en scène qui ne se prend pas pour la queue d’une blatte de tout aplatir ; de ne rien avoir appris de ce que Pasolini disait. À part ces considérations pas trop bienveillantes, je dois dire mon respect pour le professionnalisme de Chéreau qui, ayant tourné le film en anglais, a eu la classe de respecter la règle principale des films pornos américains : remplir l’écran avec des parties du corps pour enlever au spectateur tout travail d’invention.
P.S.
Je suis sorti de la salle après quarante minutes. Peut-être que le film s’est amélioré dans la deuxième partie, mais je viens d’un monde paysan où on croyait que la bonne journée se voit au matin (j’aime aussi Sollers qui dit qu’un roman se voit dans le premier paragraphe).
[1] J’ai aussi appris que le féminin de choux (dans le sens du mon petit chou que vous servez à votre copain quand sa maladresse vous émeut) est choute : oh, ma choute ! Ce qui, à cause des éternels problèmes d’accent me fait penser à ma chute ! mais la chaîne ne s’arrête pas là : mon dialecte apporte une nouvelle maille me renvoyant à ma poule (chuta dans le dialecte de mon enfance étant la poule qui couve) ce qui semble plus qu’à propos. Oh ! ma poule ! ma poulette ! Je suis arrivé à choute parce que, après avoir écrit que le film Intimité était un navet, par souci de précision, je suis allé chercher navet (dans le dictionnaire, bien sûr ! et non dans le frigo) pour découvrir que c’était bien ce que je pensais. Ce film est un vrai navet, selon la définition canonique de navet. Mais j’ai aussi appris que le navet est une plante de la famille des crucifères, du genre brassia qui est un chou : voilà donc le chou qui m’a porté la poule et les mots de cette note.
[2] De manière très peu scientifique, je considère que les muqueuses sont de la peau.
[3] À part celle des femmes afghanes.