La famille. Les familles parfaites existent, au moins au cinéma. Je veux dire les familles vraiment parfaites. Pas les familles plus ou moins reconstituées de nos amis, pas les familles des films américains qui semblent parfaites mais qui, sans être des nids de vipères, ont de quoi régaler un troupeau de psychanalystes. Dans le film de Nanni Moretti (La chambre du fils) il n’y a pas de poussière sous le tapis (c’est pour cela que la psychanalyse est complètement absente du film même si elle en est le décor) ; pas de poussière, seulement un drame. Mais, même dans le drame, la faïence ne se fêle pas. Les quelques moments de tension n’ont rien à voir avec de la haine cachée, des plaintes refoulées ou des reproches guettant depuis des années la bonne occasion, ils sont l’ombre projetée par un drame sans racine qui sort de la mer comme un monstre préhistorique. Le père psychanalyste, la mère dans l’édition, le fils et la fille adolescents au lycée. École, sport, travail : le bonheur. Rien à voir avec ces détraqués qui viennent raviver leur douleur sur le divan du père et qui nous font sourire avec leurs manies, vivant dans la langue plutôt que dans l’âme. Ce n’est pas pour autant une fable rose. Non, tout est d’un réalisme extrême, tous les détails sont profondément vrais. Trop vrais. Trop de réalisme pour être réel. La scène dans la voiture où, après quelques hésitations et quelques sourires légers porte-parole d’une affection sans borne, toute la famille suit le père qui chante, assez mal, une chansonnette à la mode est le climax du bonheur pour ces quatre heureux qui vivent d’amour, de gentillesse et de respect. Trop beau pour être vrai. Non. Beau et vrai et c’est bien parce que c’est beau et vrai que le fils meurt dans un accident sportif. Comment notre famille réduite sortira-t-elle de ce drame ? Facile à imaginer : plus forte et unie que jamais. Les conflits (conflits ?) qui suivent la mort n’ont rien de personnel : ce n’est pas la famille qui est jetée dans les conflits mais les conflits qui envahissent la famille sur le dos de l’adolescent qu’on a volé à la famille. Pourquoi ce film exquis comme une comédie musicale américaine des années cinquante a-t-il été primé à Cannes ? Parce qu’il montre aux adolescents des adolescents boutonneux qui ont rempli les salles de sexe et de violence (la seule violence dans le film est celle d’un tranquille Neptune) que la vie est autre chose ? que la famille est un havre de bonheur continuel ? Je ne sais pas le pourquoi, mais ce que je sais c’est qu’il permettra aux adolescents de ne pas se reconnaître dans ce monde sans bavures. Chapeau au réalisateur pour le choix des deux actrices principales : rarement des visages d’un telle lumière ont éclairé les salles de cinéma.

 

Pourquoi la question sur le prix à Cannes ? Parce que les bons prix priment ce que les gens qui priment, priment et, bien souvent, les primeurs ont plus d’intuition que tous les sociologues réunis. Aussi parce que Cannes n’est pas Montréal et le film de Moretti est un film pour les festivals de Montréal ; plus précisément : pour ce que des jurés européens pensent de Montréal.