Les carabiniers. N’en déplaise à Debord mais cette espèce d’imbécile suisse prochinois, comme il l’écrit quelque part, qui répond au nom de Jean-Luc Godard, a réalisé des films qui ne font pas beaucoup de concessions à l’inertie du spectateur. Les Carabiniers, par exemple. Un film contre la guerre, mais pas comme les autres films contre la guerre. Un film sans héros — ni négatif ni positif — et, par ce fait même, sans aucune possibilité que le spectateur puisse penser qu’il y a la moindre broutille de positivité dans la guerre.

Impossible de s’identifier ; et la distance est plus qu’une distance brechtienne.

Deux frères partent à la guerre pour tuer, violer, voler : à la guerre comme à la guerre. Ils partent pleins d’espoir de destruction et de richesse : ils ont l’autorisation du roi pour faire tous ce qu’il faut faire quand on a créé un ennemi qui n’a pas nos valeurs. Ils n’ont pas la détermination ni la force intellectuelle d’un Raskolnikov et ils n’osent donc pas tuer les vieux de leur pays ou violer les filles de leur patrie, mais il y a la guerre… et à la guerre on est tous des héros : surtout les lâches que la lâcheté déchaîne. Tout, dans les deux protagonistes, pousse à l’antipathie et jamais, au grand jamais, on n’a de sentiment autre que le dégoût envers eux (leur manière de fumer, de parler, de marcher, de tuer…). Leurs deux belles aussi sont bêtes.

Ils tuent et on les voit tuer.

Ils violent et non, on ne les voit pas violer. Trop malin Godard pour mettre en scène un viol qui pourrait réveiller la bête blonde qui sommeille. Godard n’est pas Peckinpah. Même les autres, ceux qu’on massacre, n’inspirent aucune sympathie : la blonde qui récite du Lénine avant d’être fusillée n’est qu’une marionnette entre les mains d’une idéologie.

Tout au long du film ils envoient des cartes postales dont la courte phrase qui décrit leurs atrocités banales et leurs gains occupe, en blanc sur noir, l’écran pendant une dizaine de secondes.

Ils devaient revenir de guerre avec une Maserati, des bikinis, beaucoup d’argent, des palais… ils reviennent avec une simple valise. Leurs connes d’amoureuses sont déçues. Dans une très longue séquence, les deux guerriers montrent les photos qu’ils ont prises, leur butin. Ils ont ramené les Pyramides, le Colysée, la Tour Eiffel, de magnifiques femmes… ils ont tout ce qu’ils voulaient.

En image.

Les carabiniers qui les avaient conscrits au début du film reviennent pour les ramener à la ville où le roi échangera les photos contre les « vraies choses ».

Mais le roi tombe.

Ils meurent.

Ignominieusement.