Corker’s Freedom

Corker’s Freedom est paru en Angleterre il y a quarante ans.

       Pourquoi n’a-t-il pas été traduit en français ?

       Quand il est sorti, mon éditeur le jugeait trop « english ».

Réflexion étonnante. Le côté « anglais » du roman n’est qu’un vent léger qui trousse les idées et rafraîchit l’esprit. Si on devait employer un « trop », on dirait « trop joycien », ce qui est loin d’être un défaut, surtout s’il s’agit du Joyce des meilleurs moments d’Ulysse, mâtiné de Gens de Dublin. Dans ce roman, Berger dessine avec une extrême précision la journée de William Tracey Corker, « célibataire, âgé de 63 ans, [qui], ce matin, le quatre avril 1960, est sorti de chez Irène, sa sœur invalide, où il avait vécu les douze dernières années. Il n’a aucune intention d’y retourner. » Une journée où les actions quotidiennes les plus banales transportent aisément la réflexion politique, sociale et philosophique qui sillonne tous les livres de Berger. Le côté expérimental de l’écriture, enraciné dans le conter et mené d’une main qui refuse la facilité du flou, évite les difficultés de lecture auxquelles trop de livres, plus ou moins expérimentaux, nous ont habitués. Par exemple, dans un chapitre de quatre-vingt pages Corker présente des diapositives de Vienne au St Thomas Social Club. Tous les ingrédients sont présents pour ennuyer le lecteur et pourtant, comme l’auditoire, on ne baille pas : on est dedans. Dans Vienne, dans la tête de Corker et de son auditoire. On apprend et on s’amuse et ce, grâce aussi à un dispositif technique assez simple (le chapitre est une suite de paragraphes titrés Mr Corker dit ou Mr Corker aurait aimé dire ou Mr Corker pense), qui permet à Berger de rendre la lecture extrêmement claire et sans pédanterie.

Dans les dernières pages on sort de la journée et, deux ans après, on retrouve un Corker qui s’est retrouvé. Loin des affaires, des voyages, de sa sœur. Seul. Libre ?