Féodalité. Le monde de la féodalité est fascinant, comme tous les mondes que l’on ne connaît pas. Le livre de F.-L. Ganshof[1] sur la féodalité sûr et vivant est érudit sans être pédant. Amusant aussi, avec ses longues citations en un latin qui a l’attrait de la décadence se promenant dans la verdure des siècles nouveaux. C’est à cause de ses qualités que je me permets une flèche arrondie et essoufflée. Pour souligner l’importance des gestes dans la cérémonie de l’investiture il écrit : « La faible capacité d’abstraction de gens du temps […] on comprend qu’à leurs yeux devenir vassal, c’était avant tout un geste des mains. » Horripilant. Mais a-t-il lu Saint Anselme ou Saint Thomas ? Bien sûr que oui. Il en a lu bien d’autres. Et si Ganshof avait raison ? Impossible. Impossible, selon ma capacité d’abstraction si je la laisse suivre le sillage de celle du Grand moustachu. Ce genre de capacité ou d’incapacité — la capacité d’abstraction se transforme facilement en incapacité de sentir les détails — a besoin de centaines de milliers d’années pour se faire ou se défaire. Ce ne sont donc pas quelques siècles plus ou moins obscurs qui peuvent provoquer un changement quelconque. Qu’il suffise de considérer notre cousin le singe doté d’une capacité d’abstraction légèrement inférieure à la nôtre. Depuis combien d’années nous a-t-il abandonnés a notre destin bêtement rationnel ? Des centaines de milliers d’années.

 

De l’intelligence à la morale. La fidélité était au fondement de la féodalité (si j’étais Heidegger je trouverai l’étymologie commune) en cette longue période où la traîtrise était à l’ordre du jour. « L’obligation d’être fidèle est avant tout une obligation de non facere. » Mais la fidélité et sa copine la traîtrise ont la vie dure et même si la féodalité a disparu dans l’abstraction des états-nations et de leurs lois, elle a trouvé protection dans les familles où les femmes fieffaient[2] au moins une partie de leur corps. Et souvent non seulement leur cul. Mais, comme la possibilité d’être vassal de plus qu’un seigneur a contribué à la fin du vassalage, les fieffées coquines qui faisaient acte de vassallage à plusieurs hommes ont contribué à la fin de la famille.

 

De la morale à des considérations plus ou moins cocasses. Numéro 1 : « Le service militaire a quelques fois été remplacé […] par l’écuage. » Pour se sauver du cocuage ? Numéro 2 : le vassal était appelé « homme de bouche et de mains ». Quels hommes ! Numéro 3 : Le seigneur avec son fieffé pouvait faire des « Fiefs en l’air. » Quand ça lui chatouillait le zizi ?

 



[1] F.-L. Ganshof, Qu’est-ce que la féodalité ? Tallandier, 1982

[2] J’emploie l’imparfait parce que je me limite aux familles occidentales.