Braque. Qu’on ne vienne pas me dire que le hasard existe. S’il existe il s’endort souvent et laisse que la nécessité ordonne les choses à sa manière, bien ordonnée. Je lis quelques pages sur le cubisme, pense à une phrase qu’un étudiant très savant dit à propos de Braque, cherche un livre de sciences cognitives et je me retrouve entre les mains un livre minuscule : Braque le Patron de Jean Paulhan, publié en 1952. Hasard ? Ne me faites pas rire ! Mon inconscient, structuré comme une machine, m’a fait mettre les mains là où il savait que j’aurais pu enchaîner mes considérations, hélas ! désordonnées, sur les images.

Pour revenir à l’exposition parisienne, à cette époque-là j’ignorais qu’il existait un monsieur Braque qui, comme et avec Picasso, « faisait du cubisme ». Si je l’avais su et si j’avais lu le livre de Paulhan où il nous dit que son « épaule est d’un bûcheron » j’aurais certainement mieux réagi à l’affirmation de très mauvais goût devant les Demoiselles.

J’aurais encore mieux réagit si j’avais lu cette phrase de Braque, « il faut tuer peu à peu toutes les idées qu’on a eues », ou cette autre « Picasso quel peintre ! Il est capable de prendre un tableau de Bonnat, et d’y ajouter de la qualité »[1], ou cette autre, à propos d’une exposition surréaliste, « Voilà qui est excellent. Ça absorbe la presse », ou cette autre encore « Le portait c’est dangereux. Il faut faire semblant de songer à son modèle. On se presse. On répond avant même que la question soit posée. On a des idées. » ou celle-ci « Comment me serais-je trompé ? Je ne savais pas ce que je voulais. » et cette autre, que veut-elle dire ? « En peinture, le tableau, c’est l’accident ».

Ça suffit.

Ça suffit, pour les citations de Braque. Et Paulhan dans tout cela ? Comme une glace aux brisures de chocolat, le livre fond dans la tête en laissant des restes qu’on ne voudrait pas qui disparaissent. Je pourrais citer des dizaines de phrases de Paulhan, autonomes comme les brisures que la glace fait glisser au fond des idées.

Après cette lecture j’ai l’impression de connaître Braque comme aucun autre peintre, je vois ses tableaux chercher leur fin à coup de d’encadrements, de reliefs, d’abandons…

« Le peintre avec eux [Braque et Picasso] avait une fois pour toutes fait sa découverte. Il se taisait désormais, tout abandonné au parti pris des choses, et l’on pouvait entendre jusqu’au murmure le plus timide du citron et du homard. »

Et pour finir : « [La peinture moderne] a certes raison de peindre des vaches vertes ou des cubes. Mais peut-être s’en contente-t-elle un peu plus qu’il ne faudrait. Avec trop d’insistance. Avec trop, dirait-on, d’indiscrétion. […] Mais Braque sait […] qu’à divulguer le mystère, on lui retire sa vertu. Il connaît un secret, ce serait peu. Il a le sens su secret. […] Bref, l’homme qui a inventé, après Cézanne, la peinture moderne, est aussi celui qui sait la protéger de l’indiscrétion. »

 



[1] Phrase que, j’espère, « mon » étudiant a lu. Avec cette autre, cette fois de Picasso à propos de Braque : « La femme qui m’a le mieux aimé ».