Vies imaginaires[1]. Il ne sait plus sur quelle idée danser. Qu’il connaisse ou non le personnage, il ne peut s’empêcher de se demander ce qu’il y a de vrai et ce qui est inventé dans ces tableaux-biographiques. Et il ne devrait pas. Comme Marcel Schwob écrit dans l’introduction : « Le biographe n’a pas à se préoccuper d’être vrai ; il doit créer dans un chaos de traits humains. (…) Le biographe, comme une divinité inférieure, sait choisir parmi les possibles humains, celui qui est unique ». Position de tout repos, côté écrivain, mais, côté lecteur, les rouages de la mémoire grincent. Même s’il sait que les biographies sont imaginaires, quand il trouve de éléments historiques qu’il connaît, il y greffe ce que l’auteur dit et il se retrouve avec un personnage qui ne tient plus en place. Il a l’impression qu’il faudrait plus que deux pages : un roman historique, par exemple. Deux pages, c’est une photo et, comme dans la majorité des photos, c’est l’âme du photographe qui se montre sur les traits du photographié.

Comme dans certains contes de Borges, au début on ne sait pas où accrocher les idées : tout est mobile ou pourrait l’être. Les idées se mêlent… se démêlent… se mêlent… et puis, à l’improviste, de nouvelles idées surgissent et alors il a envie de retourner aux sources. Il cherche sur Internet les peintures de Paolo Uccello et ensuite il vérifie si Nicola Loyselleur parla vraiment à Jeanne ; il aimerait revoir le film de Jean-Marie Straub sur Empédocle. Il relit le XXVIIIe chant de l’enfer

Toi qui dans peu doit le soleil revoir,

Dis à frère Doucin — s’il ne souhaite

Bientôt me suivre ici — que de vitaille

 

Il s’arme, afin qu’un double assiègement,

De neige et d’ost, ne baille au Novarais

Une victoire, autrement, dure à prendre !

pour retrouver frate Dolcino. Et Clodia ? Il retourne au lycée et il réentend Maria Rosa réciter : Da mihi basia mille/deinde centum/deinde mille[2]...

Certaines formulations sont déroutantes dans leur fraîcheur, d’autres pêchent par excès d’érudition : « Viride » le prend au dépourvu ; il s’étonne de « il leur aida à nettoyer leurs herbes » ; il aime « je suis colère », même s’il craint l’affectation. Ce que Marcel Schwob dit des personnes, il pourrait le redire de sa langue « Il n’est pas utile qu’elle soit pareille à celle qui fut crée jadis par un dieu supérieur ».

 



[1] Marcel Schwob, Vies imaginaires, Gallimard 1957.

[2] Donne-moi mille baisers/cent après/et puis cent encore…