Impressions à propos de La Terre d'Émile Zola, suivies de quelques « J'accuse » inspirés par la célèbre lettre qu'il adressa à Félix Faure.


Il faut que je dise tout d'abord que La Terre est le seul roman de Zola que j'ai lu.


Pourquoi tu n'as jamais lu du Zola ?

Parce que je l'ai toujours considéré comme écrasé dans l'étau Flaubert-Proust.

Sans l'avoir lu ?

Sans l'avoir lu.

Pourquoi donc La terre ?

Parce que je cherchais une image des paysans français qui pût compléter celle des paysans polonais de Wladyslaw Reymont.

Tu t'es trompé d'adresse. C'est un livre sur la terre et pas sur les paysans. Un instant... Je cherche un passage pour te montrer ce qu'il écrit à propos de son roman... quatrième volume de la Pléiade... partie Étude... le voilà... page 1514 où ce passage est cité  : « C'est l'héroïne de mon livre, La Terre nourricière, la terre qui donne la vie et la reprend impassible. Un personnage énorme, toujours présent, emplissant le livre. L'homme, le paysan, n'est qu'un insecte s'agitant sur elle. »

Oui, des insectes. Quoi qu'il en dise, pour les lecteurs l'héroïne n'est pas la terre ((tellement livresque et emphatique dans ce livre)), mais les insectes qui s'agitent sur elle. De plus, en mauvais naturaliste il oublie que la classe des insectes est richissime en comportements, styles de vie, méthodes d'alimentation... il oublie qu'il y a à peu près un million d'espèces d'insectes et il se limite à observer le comportement du phtirus pubis. J'oserais presque dire que dans ce livre Zola est lui aussi un insecte : un geotrupes stercorarius.

Avec ce genre d'exagérations, tu perds toute crédibilité.

C'est lui qui exagère en donnant une représentation de la vie paysanne digne de la presse de caniveau. Mais, j'arrête.

Merci.


J'arrête de parler et je vais écrire quelques mots moins polémiques en partant de la préface que Zola rédigea le premier janvier 1877 pour L'Assommoir. Cette préface qui date de 10 ans avant La terre est un pièce à conviction que tout tribunal un tant soit peu objectif verserais au dossier à la défense des paysans et contre La Terre.


« J'ai écrit [L'Assommoir], comme j'écrirai les autres, sans me déranger une seconde de ma ligne droite. » C'est là que gît le lièvre ! Cette ligne droite l'empêche d'observer tout ce qui nécessite des détours, tout ce qui risque de bouleverser la progression abstraite et dogmatique vers un but cloué une fois pour toutes à sa planche de salut.


« Au bout de l'ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l'oubli progressif des sentiments honnêtes […]. C'est la morale en action, simplement. » Depuis quand la morale ((surtout la morale en action)) justifie-elle une œuvre d'art ? Depuis quand les « sentiments honnêtes » sont honnêtes ? Ignore-t-il ― lui qui dès la mort de sa maman, vécut bigame ― qu'on fait et défait et refait « les liens de la famille » sans nécessairement tomber dans l'ordure ?


« Mon crime est d'avoir eu la langue du peuple. » Trop facile. Émile, ça va ?


« C'est une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple. […] mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu'ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent. » Ô vérité, que de faussetés on dit en ton nom ! Et pour les paysans quelle odeur ? « La forte odeur de la litière » ou « une odeur de bonne ménagère » ou « odeur âcre de fille » ou « une odeur de fécondité » ou « l'odeur même du coït de la terre » ou « l'odeur de soupe au choux ». Ces paysans ne sont pas mauvais mais ignorants : mais quoi de plus grave que l'ignorance, pour un homme de culture ?


« Si on savait comment le buveur de sang, le romancier féroce, est un digne bourgeois, un homme d'étude et d'art, vivant sagement dans son coin […] ! » La cerise sur le gâteau pour l'accusation. C'est bien parce que tu es un digne bourgeois qui vit sagement dans un ton coin que tu n'as rien compris aux paysans. Ce n'est pas parce que ta grand-mère avait été beauceronne ou parce que tu as acheté une maison à Médan ou parce que tu as engrossé une lingère ou parce que tu as lu « tout ce qui est relatif à la politique des campagnes et [que tu as ] étudié Malthus à fond » que tu as compris quelque chose de la vie paysanne. Il faut plus que cela : il faut plus d'intelligence avec les insectes. Il faut moins que cela : il faut moins de couilles.


Et en guise de queue :


Mais ce texte est long, monsieur le lecteur, et il est temps de conclure.


J'accuse monsieur Émile Édouard Charles Antoine Zola, né le 2 avril 1840, à Paris, 10, rue Saint-Joseph, de Francesco Antonio Giuseppe Maria Zola et Émilie Aurélie Zola, née Aubert d'avoir été l'ouvrier diabolique de La terre, en inconscient, je veux le croire, et d'avoir ensuite publié cette œuvre arrogante, pitoyable, obtuse et pauvre.


J'accuse le susdit Italien, naturalisé Français à l'âge de 22 ans, le 31 octobre 1862, d'avoir trahi les paysans de la terre de ses ancêtres pour un morceau de succès en terre transalpine.


J'accuse le romancier auquel Gustave Flaubert

écrivit : « Vous avez un fier talent » de montrer, dans la susmentionnée œuvre, un piètre talent.


J'accuse le père des deux enfants de mademoiselle Jeanne Sophie Adèle Rozerot, née à Rouvres-sous-Meilly la même année que Wladyslaw Reymont, à savoir 1867, de n'avoir rien compris à la sensualité paysanne.