Ces « bouches charnue », ces « bouches de faunes », cette « salive lourde » qui « tel le fil de l’araignée peut s’étirer en filaments clairs », ouvrirent le sac de l’antique peur. Les vents soulevèrent une courte lame de dégoût qui se brisa après trois pages contre ces « femmes pendues pas les cheveux » « dans le boudoir du souvenir » des hommes. Trois pages. Trois pages, puis la peur de l’uranisme se tut et aucune vague ne ralentit la traversée des 136 pages du livre de Breillat[1].

En apnée, hors du temps.

 

Pornocratie n’est ni un récit, comme la couverture aimerait nous faire croire, ni un essai, comme un lecteur courbé sous la réflexion pourrait protester ; un poème non plus — point ne suffit de bien écrire pour que la musique enchaîne la parole. C’est une oeuvre inclassable, superbe en images et forte en vérités.

 

La pratique de la caméra a laissé, dans les mains de l’auteur, des fils qui relient les concepts comme image à image. Nul besoin d’en tirer un film, comme elle veut faire. Ce livre est déjà un film, mince et résistant comme les idées vieillies en fûts de passion : il est une remise dans le flux du temps d’un scénario enfoui dans les sédiments de notre culture

 

Dans des centaines de milliers de pages des hommes nous parlent de la femme. Quelques pages de femmes nous parlent de l’homme. Jamais je ne vis un tel éclairage sur l’égarement des hommes. Jamais je ne lus, sur le sexe qui fait la femme, des paroles d’une force si tendre et ennemie de la mièvrerie.

 



[1] Catherine Breillat, Pornocratie, Denoël, 2001.