5 juin 2000 Critique en
« en » et sans « s » final de deux livres qui font bande à
part.
Ce qu’ils sont :
ensoleillant, ensorcelant, enrageant (contre le pouvoir), enivrant,
enthousiasmant, engageant, enhardissant, enlevant, enluminant, ennoblissant,
entonnant (dans le sens du chant et non du tonneau), entraînant, envoûtant,
enrichissant.
Philippe Sollers, Passion
fixe.
Toni Negri et Michael
Hardt, Empire.
Ce qu’ils ne sont
pas : entravant, entartrant, engluant, engloutissant, engonçant,
engorgeant, engourdissant (surtout pas !), ensuifant, engrangeant,
enguirlandant, engrumelant, enharnachant (vraiment pas !), entourloupant,
enjougant, entassant, enlaçant, enrochant, enlaidissant (oh, non !),
enliant, enlinceulant, enlisant (à lire, plutôt), enrênant, enrésinant,
ennuyant, enquiquinant, enracinant, ensoutanant, enraidissant, enraillant,
enrégimentant (loin de là !), enrobant, enrôlant, enrouant, enroulant,
ensablant, ensachant (en sachant, ça oui), ensaquant, enseignant, enserrant,
ensevelissant, ensilant, ensilotant, ensouillant, enstérant, entachant,
enterrant, entêtant, entichant, entôlant, entonnant (dans le sens du tonneau),
entortillant, entubant, enrubannant, envahissant, enveloppant, envenimant,
enverguant, ennuageant, envoilant.
Deux livres, une
passion, Une invitation à circuler entre écrit
et action. Une demande d’envahir le monde — partez et multipliez-vous.
Un refus ferme de toute chape (de toute transcendance, comme on peut aussi
dire). Même désir de baiser et se faire baiser, par des femmes ; de baiser
sans se faire baiser, par l’État. Un seul livre, deux regards.
6 juin 2000 « Monsieur, faites
attention, Les parois de votre bureau risquent de s’écrouler sous le poids des
livres. » Dans cinquante ans, pour les nouvelles générations les livres
sur papier seront comme les incunables pour la mienne. Des manies de
bibliophiles, riches. Et il n’y aura aucune perte quoiqu’il en disent les
nostalgiques, aucun progrès quoiqu’il en disent les technocrates. Il y aura de
nouvelles technologies et de nouvelles générations : la terre continuera à
tourner et les hommes à verser semence et larmes, en vain. Parmi les millions
de livres électroniques il y aura comme encore des Sollers et des Negri et
Hardt.
V. Alfieri, Saül,
dans une édition de 1964 pour les lycées. Relu par curiosité et nostalgie. Du
livre il ne reste que le commentaire exquis et fascisant de Rafaello Ramat et
les quatre pages de critique d’Alfieri de sa pièce. Il va de soi qu’il n’y a
pas meilleur critique de soi que soi. Un écrivain mauvais qui écrit un mauvais
livre dira que son livre est bon (comme le bon écrivain qui écrit un bon
livre). Donc, le fait qu’un auteur nous dise que son livre est bon ne dit rien
sur le livre. Un bon écrivain qui écrit un mauvais livre (ça arrive) dira que
son livre est mauvais. Est-ce qu’un mauvais écrivain qui écrit un bon livre
dira que son livre est mauvais ? Oui s’il a un minimum de dignité. On
n’échappe pas à sa bêtise. Donc, le fait qu’un auteur nous dise que son livre
est mauvais ne dit rien sur le livre. Il va de soi qu’il n’y a pas meilleur
critique de soi que soi, c’est pour ça qu’il faut se taire.
7 juin 2000 « J’hallucine. Je
vois un vagin. » Elle me dit en montrant une affiche publicitaire de
Yellow. Moi, qui n’ose plus dire de semblables choses, craignant qu’on me taxe
de vieux pervers, je fus mis en tel contentement que je heurtai un
vieille dame, fort distinguée, qui ne se priva pas de me souffler un fort commun
fuck you. L’affiche, qui avait fait halluciner la jeune fille,
représentait deux jambes légèrement écartées, coupées quelques centimètres au
dessus du genou, les pointes des pieds légèrement tournées vers l’intérieur.
L’ellipse dessinée par les jambes m’avait déjà fait halluciner plusieurs fois
(à cause, aussi, de l’ombre projetée par une des jambes). Cette affiche a
vivifié pendant quelques semaines l’un des coins les plus tristes du centre
ville de Montréal : Président Kennedy et City Councillors. J’espère qu’un
jour ce chef d’œuvre de l’art érotique (mais érotique n’est pas un
pléonasme quand on parle d’arts visuels ?) sera exposé à côté d’une
femme de Rembrandt ou de Picasso. Maintenant, à la place du tableau de Yellow
il y a une croûte d’Élita avec deux crétines souriantes qui se veulent
sensuelles. Le coin est encore plus triste.
Diane Warren est une
des plus célèbres et riches auteurs de chansons populaires. C’est elle, par
exemple, qui a écrit Because You Loved Me pour Celine Dion. Dans une entrevue,
elle est orgueilleuse de citer l’explication de son psy sur les motifs de sa
thérapie : « Vous avez beaucoup de succès, vous êtes belle, vous êtes
intelligente et votre meilleur ami est un perroquet. » Enseignement à
tirer : même si vous avez tout ce qu’on dit qu’il faut, si vos amis sont
des perroquets, vous aurez besoin d’un psy.
8 juin 2000. L’indignation — la
vraie, celle qui emporte toutes les protections patiemment dressées pendant des
années de dur labeur, celle qui libère de mégatonnes de vitalité pour nous
entendre — est déclenchée (au moins,
dans mon cas) par l’imbécillité des ignorants-instruits. Heureusement (pour
l’indignation) que la communauté des ignorants-instruits attire des adeptes à
un rythme prodigieux (si ça continue comme ça, dans pas longtemps tous les
instruits y seront intégrés). Qu’il s’agisse d’une communauté ne fait pas de
doutes : tous les mécanismes d’hébétement et de dévitalisation des vraies
communautés (celles des Asini asinos fricant) sont là..
Un tas de fumier (dans
les tas de fumier ne naissent pas seulement les fleurs). Un quidam qui sort en
vrille. Virilio. Trois feuilles sales de châtaigner disposées en pelure de
banane sur la tête, les yeux fermés et le front plissé par la profondeur des
pensées, la bouche pas encore complètement sortie de la merde :
« Aujourd’hui on se dit qu’il n’y a plus besoin de guerres pour tuer la
réalité du monde. » Quelle apophtegme ! Il est hors de doute qu’un
jour il sera célèbre comme celui de Diogène à Alexandre ou celui de Socrate à
propos de la poule ou le alea jacta est de César.
L’apophtegme naît d’une
considération d’Agata Christie : « Les années de guerre ne semblaient
pas être de véritables années. Elles faisaient partie d’un cauchemar durant
lequel la réalité était abolie. » Si on suppose que le traducteur d’A.
Christie était seulement un traditore et pas un assassin (ce qui, vu les
antécédents de Mme Christie, est tout autre que sûr !) on voit comment M.
Virilio ne sait pas ce qu’il dit. Probablement il cite A. Christie parce
qu’actuellement, dans la pamplemousseraie post-moderne, ça fait plus branché de
citer un écrivain « populaire » que l’éternel Heidegger.
Qui ne dit pas de
connerie ? Mais, alors, pourquoi s’acharner contre ce pauvre
Virilio ? Parce qu’il ne se limite pas à dire des conneries. Il est un
butor qui se croit fin et qui pollue — en plein jour ! — avec son cerveau
débandé des idées potables. Par exemple, au lieu d’analyser pourquoi la lecture
(n’importe quelle lecture) peut débrancher le lecteur du courant de la vie et
faciliter ainsi la débilitation des idées, il nous présente un tableau
apocalyptique de l’invention de l’imprimerie : « En effet, la
typographie industrielle, en répandant l’habitude de la lecture solitaire et
donc silencieuse, devait progressivement priver la population de cet exercice
de la parole et de l’ouïe que comportait auparavant la lecture à haute voix
(publique, polyphonique…) nécessitée par la relative rareté des manuscrits.
L’imprimerie imposait ainsi un appauvrissement du langage qui perdait non
seulement son relief social (L’éloquence primordial), mais également son
relief spatial (ses accents d’intensité, sa prosodie…) Une poétique populaire
qui ne tardera pas à dépérir, puis à mourir d’elle même, littéralement à bout
de souffle, avant de sombrer dans l’académisme » Quel couillon !
Est-ce qu’il a une idée de quel pourcentage de gens lisaient jusqu’à si pas
longtemps que ça ? Est-ce qu’il sait que la poétique populaire était
plutôt la pauvre rengaine de la pauvreté ? Pense-t-il que le « relief
spatial » du langage peut être perdu ? Croit-il vraiment que les
ignorants-instruits qui passent leur temps dans les livres soient les
dépositaire du langage ? Mais l’impression n’est qu’un début. Le monstre
de la technique depuis lors n’a cessé d’envahir tous les espaces vitaux. Il
parle de technoculte totalitaire où « chacun se trouve pris au
piège, non plu de la société, de ses lois ou de ses interdits, moraux, sociaux,
culturels… mais de ce que justement ces siècles de progrès ont fait de nous, de
notre propre corps. (…) Et ça s’amplifie : « Privés
progressivement de l’usage de nos organes récepteurs naturels, de notre
sensualité, nous sommes hantés (Parle pour toi, crétin ![1])
comme le handicapé par une sorte de dé-mesure cosmique, la recherche
fantasmatique de mondes et de modes différents, où l’ancien « corps
animal » n’aurait plus sa place où serait réalisé la symbiose totale entre
l’humain et la technologie. » Amen.
Savanarola doit se
réjouir pour ce « corps animal » qui aboie avec tant de conviction et
si peu de discernement contre le Belzébuth technique. .
9 juin 2000 La prostitution est le
papier-tournesol social qui vire au noir dès qu’il vient en contact avec des
abrutis. Pourquoi ? Parce qu’elle est le lieu où les deux fondements de l’humanité,
le sexe (comme porte-parole du plaisir) et l’argent (comme porte-drapeau du
pouvoir) se court-circuitent et le court-circuit allume un incendie. Pour les
membres de l’institut Trempet le thème de la prostitution est si personnel
qu’ils ont décidé de signer leurs propos et de les faire suivre de leur date de
naissance.
Marguerite Deville (1952) Je n’ai
pas de grandes théories sur la prostitution et je n’ai jamais cru aux
croisades. Je n’ai que des histoires à raconter.
Depuis quinze ans elle
est mariée avec un homme qu’elle aime énormément et depuis quatre ans elle a un
prostitué. Il vient une fois par semaine : le mardi ou le mercredi ou le
jeudi, selon. Cela peut paraître étrange mais elle ne se rappelle pas comment
le tout a commencé. Bah, ça ne doit pas être si important. Bernardo est sur le
bien-être social et est toujours disponible le matin (son mari, comme un petit
robot bien programmé, part pour l’université à dix heures piles). À onze heures
pétant commence le rite immuable.
Quand elle entend son
pas dans l’escalier, elle met la cafetière sur le feu. Ils boivent leur café.
Il lui masse le cou pendant qu’elle fume une cigarette. Il s’agenouille devant
la chaise, il enlève sa culotte, il lui met un doigt dans l’anus et il la lèche
jusqu’à l’orgasme « normal ». Il se lève. Il s’essuie le visage sur
ses joues. Il lui met deux doigt dans le vagin et il lui fait avoir sept ou
huit orgasmes « lacustres » — c’est la seule concession aux noms cucu
qu’ils font. Elle est debout pour son dernier orgasme. Le foutre s’écoule le
long des jambes. Pour l’auto-lavage, comme dit Bernardo. Elle essuie le
plancher. Midi. Elle s’habille. Elle lui paye un repas à l’Express. Ils parlent
de tout et de rien (souvent elle lui parle des rapports difficiles avec sa
mère).
Il ne lui a jamais rien
demandé. Elle ne lui a jamais rien demandé. Seuls un repas et quelques
centilitres de cyprine, à onze heures du matin, le mardi, le mercredi ou le
jeudi.
Emenoraï Ematze (1955)
Dessous ou
dessus ?
J’avais dix-sept ans
elle entre seize et
cinquante.
Elle tendit la main
Viens
Dans sa main mon corps,
moi dans sa lumière,
Un tapis rouge et gras
vers le deuxième.
Lave-toi
Je me lavai.
Laisse lui un petit
cadeau,
elle est si gentille
Je laissai cent francs
à la veilleuse
Sa jupe glissa
sa blouse vola et
nue l’âme apparut
Déshabille-toi.
Je me déshabillai.
Dessous ou
dessus ?
Je ne sais pas ce que
je répondis.
Je ne sais pas si je
répondis.
Je ne sais pas si elle
était dessous ou dessus.
Je ne l’ai jamais su.
Elle se frottait avec
un gant rose et
me disait que j’étais
un brave garçon et
que j’aurais pu lui
faire un petit cadeau et
que je pouvais lui
mettre une main sur les seins
je suis gentille, tu vois?
et que j’aurais pu même
les embrasser
ne sois pas si timide.
Je n’osais pas.
Je lui laissais mes
derniers cent francs.
J’étais un brave
garçon.
Elle un ange.
Pablo Fuentes (1970) « Et
voilà qu’une femme, une pécheresse de la ville (…) se tenant en arrière
à ses pieds et pleurant, commença à lui arroser les pieds de ses larmes et les
essuya avec ses cheveux, elle lui baisait les pieds et les oignait de
parfum. » Que d’iconoclasties faciles sur la prostituée et Jésus
n’avons-nous pas dû endurer ! Que de paresse intellectuelle ! Si on
mesurait l’intelligence et la profondeur des athées et des anticléricaux en
partant de leurs sarcasmes à propos de Marie-Madeleine et Jésus, on risquerait
de voir zéro partout.
Jésus rencontre la
pécheresse dans la maison du riche Simon et en aucun moment on ne peut douter
du choix de Jésus. C’est là l’enseignement fou, bouleversant et révolutionnaire
du Christ : mieux vaut être prostituée que riche. Et non seulement parce
qu’il est pratiquement impossible pour le commerçant d’accéder au règne de Dieu
tandis que c’est facile pour la prostituée, mais aussi parce que la prostituée
contribue à atténuer les douleurs que le riche amplifie.
Iketnuk (1950) Ceux qui
me font le plus chier ce ne sont pas les commerçants et les bons pères de
famille qui veulent un quartier propret pour leurs affaires et leurs enfants.
Je laisse à d’autres moins exigeants la tâche de les critiquer. Les bornes
qu’on a fixées à leurs cerveaux les rendent presque sympathiques. Non, ceux qui
me font vraiment chier n’ont pas de bornes : leur « intelligence »
s’étale partout comme la célèbre confiture mais se réduit à un film si mince
qu’elle devient imperceptible ; ce sont les âmes belles qui défendent les
putes avec une impudicité révoltante. Ceux qui, pour avoir le courage de les
défendre, se sentent obligés de faire des paquets cadeaux de l’exclusion :
putes, squeegees, sans-abris et drogués ; tous dans un même sac
(biodégradable). C’est quoi ce melting-pute ? Ils nous disent que les
putes « C’est des braves gens. Des gens comme nous. » Non, elles ne
sont pas braves et elles ne sont pas des gens comme vous. Si elles l’étaient,
elles seraient bien installées dans un appartement avec beaucoup de lumière à
Outremont ou dans un duplex sur Prince Arthur ou sur Drolet (en bas de
Marie-Anne).
Vous n’êtes pas comme
elles, chers pamplemousses avec tendances humanitaires. Qu’est-ce que c’est que
cette histoire de la surveillance des clients ? Vous nous faites une tête
avec le client roi et puis, comme ça, sans explication aucune vous nous dites
que les clients des putes ne sont pas des vrais clients. Qu’est-ce qu’ils ont
de si spécial ? Même s’ils sont spéciaux, ce sont eux qui font vivre le
commerce. Voulez-vous faire augmenter le chômage? C’est cela que vous
voulez ? Donc vous introduisez une surveillance policière « à l’égard
des clients plutôt que des prostituées. » pour affamer les vendeuses de
sexe ! Malins ! Vraiment des petit malins ! Vous voulez sauver
la chèvre et le chou. Mais, vous n’y réussirez pas car le sexe rend intelligents
même les cons. Les clients trouveront le moyen de contourner les policiers (qui
n’ont jamais brillé par leur perspicacité) et le commerce de la chair ne
périclitera pas.
Un conseil pour
terminer. Si vous voulez vraiment sauver la chèvre et le chou, payez les putes
à ne rien faire. Soyez à l’avant-garde ! Cassez le lien entre salaire et
travail ! Donnez-leur assez d’argent pour leur permettre de faire la vie…
qu’elle veulent. Je suis sûr que vous êtes assez malins pour trouver une
manière de récupérer cet argent (en vous prostituant dans vos maisons
proprettes, par exemple).
Ivan Maffezzini (1948) Dans ma jeunesse
j’avais un rêve fort romantique : faire la révolution dans l’Italie du
nord à la tête d’une armée de putes siciliennes. Les putes siciliennes
incarnaient pour moi un monde solaire, sensuel, riche d’histoire et de culture
méprisé par une bourgeoisie blafarde et vulgaire qui s’enrichissait dans la
grisaille des ternes usines de la morne banlieue milanaise. Maintenant, je n’ai
aucun soubresaut romantique à la vue de l’armée des prostituées des pays de
l’Est qui ont envahi la riche Europe.
Alice Premiana (1965) Le débat
sur les maisons closes qui vient de faire surface dans les milieux politiques
québécois devra être élargi aux maisons closes pour femmes. L’évolution des mœurs
sexuelles, l’importance (en nombre et qualité) des discours sur le corps de la
femme, l’indépendance économique toujours croissante (même si de manière
conjoncturelle nous assistons à des retours en arrière), permettent finalement
d’approcher le « problème » du plaisir des femmes. L’écran des
sentiments, la maternité et la peur des hommes ont, jusqu’à présent, empêché de
penser le plaisir de la femme dans toute sa splendeur. Penser le plaisir n’est
bien sûr possible que là où le plaisir s’est déjà trouvé une place. Cette
recherche de la place du plaisir féminin n’a jamais été réellement engagée à
cause des contraintes économiques et culturelles de nos sociétés dominées par
les hommes. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut blâmer seulement les hommes de cette
condition « défavorable au plaisir » comme fait Marlène Dagetrheim
dans son essai sur les causes ontologiques du lesbianisme. Nous ne pouvons pas
présenter des solutions en quelques lignes. Ce que nous pouvons faire, par
contre, c’est de présenter les pistes de réflexions que nous avons engagées
dans un livre à paraître chez Minnesota University Press (The Big Bang of
Female Sexuality). Nous n’avons pas l’espace non plus pour justifier notre
choix d’appeler les « maison closes » pour femmes Open Houses (acronyme
OH). Voici donc quelques-uns des éléments que nous considérons importants dans
la thématique du plaisir des femmes :
Nous sommes sûrs qu’une
fois qu’on se sera aperçus de l’augmentation de productivité causée par les OH,
les séances seront financées par les entreprises ou l’État (le partage entre
financement public et privé dépendra des niveaux de pivatisation). Les
résistances plus fortes contre les OH viendront sans aucun doute des milieux
homos masculins et des milieux psy. (surtout psychanalyse). Il est
malheureusement très difficile à admettre, pour une femme qui a milité en
faveur du mouvement gai, que l’homosexualité masculine soit l’ennemi principal
des femmes qui revendiquent le droit à la jouissance et que cela soit vrai
surtout quand l’homosexuel mâle est lié d’amitié avec les femmes.
J. Barone (1945) Dans une
des moments les plus réussis de l’histoire du cinéma Nagisa Oshima filme une
geisha qui masturbe un vieux clochard. Une séquence qui refuse d’accepter que
la laideur, l’indigence et la vieillesse n’aient pas leur droit à un instant de
bonheur.
Ursula Alexandrovna (1977)
Et la pute, sans-abris
qui se pique ?
T. Weisenstein (1944). La
prostitution est le phénomène humain le plus important que la sociologie et
l’anthropologie aient pillé à la philosophie. Pour s’assurer que les
philosophes ne fassent pas un retour en force sur le terrain de la prostitution
— et, plus en général, du sexe — elles se sont empressées de l’inscrire dans
les problématiques « sociales ». Le fait d’ajouter l’épithète social
à un phénomène leur semble suffisant pour se protéger contre les incursions
philosophiques — exactement comme la physique avait éloigné la philosophie avec
la mathématisation de le nature introduite par Galilée, en la reléguant à un
rôle de couverture épistémologique. Se demander si la prostitution doit être
légalisée et comment (maisons closes ou quartiers comme à Hambourg) est selon
nous un problème politique qui n’a aucune corrélation avec la pensée
philosophique. Il serait facile de trouver des philosophes appartenant à la
même école ayant une vision très différente de la prostitution comme il serait
aisé de trouver des philosophes à la pensée très éloignée parlant de la
prostitution de la même manière. Et ceci, pas parce que la prostitution est un
thème léger qui peut être abordé de milles manières différentes sans que le
fond soit influencé, mais exactement pour la raison contraire : parce que
la prostitution renvoie au rapport entre espace public et privé du corps. Si à
cela on ajoute la dimension économique, il est aisé de comprendre pourquoi les
philosophes modernes laissent très volontiers le sujet aux sociologues : ils ne veulent pas se faire écraser par le
poids de leur propres sexualité ou non-sexualité. L’exception Foucault qui
aborde la sexualité en partant de la sienne doit se protéger avec une dimension
historico-généalogique qui enlève beaucoup de force à sa pensée — d’un certain
point de vue, il doit devenir sociologue et anthropologue et donc rester dans
une dimension phénoménologique sans aucune épaisseur. Les sociologues avec
leurs choix méthodologiques réducteurs (nous n’employons pas ici réducteurs
dans un sens axiologique) sont obligé à nous livrer n’importe quoi — ce qui,
tout en n’étant pas un mal en soi, ne fait pas progresser la réflexion. Nous ne
pouvons donc qu’affirmer que le terrain n’est pas prêt pour permettre à nos
faibles forces de penser la prostitution sans tomber dans les autoroutes
sociologiques; la philosophie, en abandonnant ce champ de pensée à la
sociologie, oblige ceux qui aimeraient y accéder dans une optique moins
« scientifique » à un travail de nettoyage des étables digne d’un
nouvel Héraclès, et nous n’en sommes pas. Ce que nous pouvons par contre faire,
c’est poser quelques questions qui, tout en étant assez personnelles, devraient
avoir une tonalité plus philosophique que les considérations des mes amis du
Trempet.
Considérons, comme
point de départ, une définition de la prostitution bien connue et qui nous
semble refléter de manière assez précise le concept courant de « livrer
son corps aux plaisirs sexuels d’autrui pour de l’argent. » Est-ce
l’argent qui fait problème dans cette définition, ou le fait de « livrer
son corps » ? Est-il possible de donner une signification quelconque
à « livrer son corps » sinon dans un vision naïve d’une âme séparée
du corps (ou d’une volonté, si on préfère ce terme plus neutre) qui dirige la masse
d’os et de chair que l’on subsume sous le concept de corps ? Ou, ce qui
fait problème est-ce le fait qu’il n’y a pas d’échange de plaisir ? Mais,
si tel est le cas, doit-on considérer que l’économie (le do ut des)
est au fondement du plaisir ? Le rapport de prostitution n’est-il pas le
rapport le plus pur (mais qu’est-ce que pur ?) ; celui qui,
comme la prostitution sacrée de l’Antiquité, permettrait à l’humain de sortir
de soi (du rapport économique du si je te donne tant tu me dois tant)
pour s’inscrire dans le cercle du divin et donc du don ? Et comme dernière
question, à saveur un peu trop sociologique à notre goût : est-ce que la
violence est consubstantielle à la prostitution ou est-elle un simple accident
historique ?
Post Scriptum
Nous n’avons pas parlé
de Freud et de la psychanalyse car le mouvement psychanalytique depuis au moins
cinquante ans masque derrière le vague du désir et l’attrait du symbole son
impuissance à penser la sexualité.
10 juin 2000 Dans un journal
américain : « Contrairement à de la majorité des conflits en Afrique,
qui sont le résultat de la désagrégation des États, dans le conflit entre
Éthiopie et Érythrée il s’agit de peuples qui se définissent comme
nations. ». Dans un journal italien : « Nos ancêtres ont donné,
ou ont contribué à donner aux Érythréens leur identité. Ils ont crée une nation
avec son territoire, ses frontières, ces frontières actuellement
contestée. » Mais n’est-ce pas ce qui c’est passé dans toutes le
colonies ? Les européens (qui stupidement s’étonnent que les É.U. ont
toujours plus de pouvoir en Afrique) ont créé des nations et des États
« abstraits ». Des États qui n’ont plus de sens. Comme tous les
États, actuellement.
« Un grand peuple,
un certain jour, a reçu de Dieu le don, l’admirable don, d’une poésie
nationale, d’une poésie sincère et forte, qui répond véritablement à toutes ses
croyances religieuses comme à toutes ses idées politiques et militaires. Ce
peuple a pu condenser, en un poème supérieur à tous les autres, toute la mâle
beauté de sa poésie épique. » Il s’agit de la chanson de Roland et du
peuple français. Du peuple qui n’a jamais hésité à employer les étrangers pour
massacrer d’autres peuples dont, peut-être, il ne comprenait pas « la
féminine beauté de sa poésie lyrique ». Comme quoi, avec les peuples et la
poésie on peut faire n’importe quoi.
Le peuple syrien pleure
la mort de son chef Hafez el-Assad. Son fils prend la relève.
11 juin 2000 Quand ils sont à côté
et ils le savent ils m’irritent. Quand ils sont à côté et ils ne le savent pas
ils m’agacent. Je parle des Nietzschéens. Mais, pas lui (Gottfried Benn) :
« Et puis il dit : ‘Le monde est rêve, et fumée sous les yeux d’un
insatisfait éternel’ — et lui qui disait cela, voilà qu’il se fit lui-même rêve
pour nous, et nous ne faisons plus un pas sur notre route sans adorer ce
rêve. »
La mer
est lointaine
Chaste
Je vague sur le flanc
Que vous dévalez sans
rougir
Et je vous regarde
Drainés dans la
conduite
Forcée
Pulvérisés par les
aubes
Inutiles
La mer est lointaine.
Non
De conduites forcées
Je n’en veux pas
Je suis le flanc
Et nappe tiède
J’attends
Fils adextres
Je tâte
Pour un plaisir seul
La mer est lointaine.