26
juin 2000 Marcher
sur les crêtes de l’humain sans tomber dans le vide bestial que la souffrance —
sourde — et le bonheur — aveugle— nous tendent.
On n’a pas le temps de dire « ouf ! » qu’il
sort déjà son refrain : À Auschwitz c’était pire. Une fois, ça peut
être drôle ; deux, ça va encore, mais qu’au moindre signe de contrariété,
il sorte les gros canons ça ne va pas. Ça ne va pas du tout. Surtout pas Auschwitz.
Il ne comprend pas que c’est un crime contre l’humanité que de dire des bêtises
pareilles. On a la chance de ne pas avoir été dans les camps et on devrait
remercier notre bonne étoile et essayer de jouir de la vie. Cette tragédie
devrait nous avoir appris à lutter contre la souffrance, même les petites
souffrances, même si à Auschwitz c’était pire. Surtout parce qu’à
Auschwitz c’était pire. Surtout par respect pour ceux qui sont passés par
là. S’il est vraiment incapable de ne pas faire ses commentaires, il devrait
avoir la décence de trouver d’autres formules. On a le droit d’exprimer ses
sentiments quand ça va mal sans se faire servir une morale vile, sans qu’on
nous rappelle des images si tragiques. En voilà du Auschwitz, du vrai : « Je
vois quatre hommes-Canada qui traînent un cadavre : un énorme cadavre de
femme, gonflé. Sacrant, trempés par l’effort, ils libèrent à coups de pieds le
chemin des enfants égarés qui avaient été renversés tout au long de la rampe et
qui hurlaient comme des chiens. Les hommes les soulèvent par le cou, la tête,
les bras et les lancent dans les camions, sur le haut du tas. Les quatre hommes
ont des difficultés à mettre dans le camion le gros cadavre, ils en appellent
d’autres à l’aide, et tous ensemble hissent la montagne de viande. Des cadavres
énormes, bouffis, enflés, sont ramassés tout au long de la rampe ; par
dessus eux, sont empilés les invalides, les étouffés, les malades, les
inconscients. Le tas grouille, gémit, hurle. » (Tadeusz Borowski ).
Oui, c’était pire… trop… pire pour le banaliser.
27
juin 2000 Il n’y a
que des rapports sexuels. Le reste, c’est de la cachonnerie.
Peu après Peel, la rue de Maisonneuve prenait des
allures de rue industrielle du début du XXe siècle, se noircissait,
se salissait, se new-yorkisait. Elle devenait intéressante. Maintenant c’est
fini. Le pont-édifice qui enjambait le fleuve de Maisonneuve a disparu, mâché
par des machines sveltes et affamées. La rue respire. Trop.
Le dernier numéro de Media Studies Journal a comme
thème le courage. Le courage des journalistes dont les actions
« ont été embrouillées par le temps qui passe, cachées par les voiles de
l’anonymat ou effacées par une répression systématique. » Malheureusement,
il y a très peu de journalistes courageux. Il y avait un journal
courageux : LM. Mais il a été condamné à mort par des journalistes lâches et exécuté par des tribunaux anglais.
28
juin 2000 Selon l’abbé Mugnier, Gide avait
dit un jour que Paul Desjardins, chaque fois qu’il écrivait quelque chose,
avait l’impression que Nieztsche le lui avait volé. J’avais déjà entendu parler
de Paul Desjardins. N’était-ce pas celui qui avait eu dans les mains le stream
of consciousness et n’avait pas su l’exploiter — comme magistralement le
fera Joyce. Je l’imaginais mauvais littérateur, aux prises avec la peur de se
faire voler des idées et qui, une fois qu’il en avait eu une bien vivante entre
les mains, par médiocrité, la laissait mourir de solitude. Je m’étais trompé.
Celui du stream c’était Edouard Dujardin. Et pourtant j’étais sûr qu’un
Paul Desjardins j’avais déjà vu. Mais où ? Quand ? Chez qui ?
Chez les Goncourt ? Non, je ne sais plus. Oui ! Chez Benjamin, dans
une pièce réservée à Baudelaire où Paul Desjardins disait que : « Baudelaire
est plus occupé d’enfoncer l’image dans le souvenir que de l’orner et de la
peindre ». Après Mugnier et Varèse, Mugnier et Benjamin. Ce ne sont pas
les surprises qui manquent (surtout quand on va les chercher !).
29
juin 2000 Il y a
quelques jours j’ironisais sur un spécialiste de la symétrie qui n’avait pas
osé penser à des femmes à quatre seins (deux devant et deux derrière). Ludwig
Feuerbach osa davantage :
Mais pourquoi celui qu’on appelle
homme
A un devant et un derrière ?
Pourquoi le dos n’a pas
Yeux et oreilles ?
Oui, pourquoi ?
Parce que :
Tu fus jadis enfant,
C’est pour cela que tu es aveugle
derrière.
Comme Freud, il ne badine pas avec l’enfance. Ça doit être
parce que la langue allemande n’est pas faite pour les rigolos.
Personnellement, je ne connais pas de comiques (volontaires) allemands, ce qui,
n’étant pas l’abbé Mugnier, ne veut pas dire grande chose. Mais...
Comme moi et comme mon ex-tilleul :
Tu ne te libéreras jamais de
l’origine,
Tu resteras toujours dans le ventre
de ta mère.
Je ne me suis pas trompé d’auteur comme avec Desjardins.
C’est le même Ludwig Feuerbach qui écrivit L’Essence du Christianisme.
Celui dont Marx parla.
30
juin 2000
Neuf heures, samedi, de retour du marché. Arrêt d’autobus
au coin de la rue Mont-Royal et Saint-Laurent. Une petite culotte blanche gît
sur une copie froissée d’Ici. Douze variations.
E.E. Âme pâle et triste, délaissée par un corps qui glissa
lointain. Âme vide, âme froide, âme jetée dans la saleté du jour. Âme seule. Je
rêve d’un corps qui te retrouve : un corps généreux, beau et triste. Elle
attend l’autobus après une pâle nuit, te sourit, te fait une place parmi ses
outils de beauté vides, te porte chez elle, te frotte, te ranime. Le soir, elle
te vêt et, fières, vous sortez.
P.F. Dans une société qui a perdu toute référence morale,
où la recherche du plaisir facile est la seule chose qui intéresse une jeunesse
absurdement démotivée, il n’est pas étonnant que l’ennui pousse à des actes
pseudo-iconoclastes. Cette culotte est le symbole d’un vide qui, partant d’une
vaine omniprésence du sexe, envahit toute la société moderne ; elle est le
symptôme du marais dans lequel la mort de Dieu noie les âmes les plus
sensibles. Seule une nouvelle éthique, qui renonce à la commodité d’une autonomie
sans risque apaisera la souffrance qui nous pousse à nous libérer des culottes,
parce qu’incapables d’être prisonniers de l’amour des autres.
J.B. Une petite conne accompagnée d’un grand couillon.
A.P. Ce qui est certain, c’est que ça oblige à réfléchir.
Et, réfléchir pour réfléchir, étant donné que je n’ai d’autres éléments d’appui
que ma fantaisie et ma pensée, j’aimerais voir cette petite culotte comme le
signe d’une lutte entre une sexualité socialement dominante et une autre
dominée. Avant tout, deux questions adressées spécialement à ceux qui croient
être en présence de l’emmerdeuse féministe de service : est-ce qu’on
aurait pu trouver un slip d’homme à la place ? Peut-être, mais seulement
dans un rapport homosexuel où l’homme-jouant-le-rôle de la femme dans
l’acte de se défaire de la couverture de ses pudenda se soumet au désir de
l’autre. Est-ce qu’on aurait pu trouver les deux culottes des deux
« partenaires » ? Peut-être, mais ce couple de culottes ferait
signe vers deux extrêmes : un qui est le bonheur de la joie du sexe sans
domination pré-établie et l’autre vers la fermeture des bêtes. Mais retournons
au cas qui nous a été présenté : une petite culotte blanche traîne à un
arrêt d’autobus dans une grande ville. J’ajouterais que l’arrêt est situé entre
un parc et une discothèque, ce qui a son importance. Voici la scène telle que
je l’imagine : une fille, au visage assez disgracieux, grisée par la vodka
et les compliments, libère son sac lacrymal sur l’épaule d’un bellâtre qui
aurait pu être son père. La voiture est stationnée derrière le Belmont, ils
font ça vite. Le goujat ne propose même pas de la raccompagner en voiture. Sa
femme ne va pas tarder, qu’il dit. Elle attend seule l’autobus et fait semblant
de lire. L’autobus tarde. Le sperme coule. Elle s’essuie avec la petite culotte
et la jette sur Ici.
U.A. Je trouve qu’on prend n’importe quel prétexte pour ne
pas aborder les vrais problèmes qui nous entourent. On se fout de cette petite
culotte abandonnée. Par contre, on ne doit pas se foutre des filles qui
« perdent » leur petite culotte pour ramasser quelques sous pour une
dose. Allez dans les quartiers pauvres de Montréal et vous verrez qu’il y a
bien d’autres choses par terre qui méritent d’être analysées et, surtout, pour lesquelles
il faudrait lutter.
M.D. Rendez-vous à la gare Mont Parnasse. Il ne prit pas ma
valise comme d’habitude.
—
Je veux que tes mains soient occupées.
—
Mais pourquoi ?
—
Tu verras. On va prendre un verre dans notre
café.
Nous prîmes la rue de la Gaîté. Il sortit des ciseaux et
coupa les bretelles du soutien-gorge.
—
Mais,
qu’est-ce que tu fais ?
Il le dégrafa. Le jeta sur un sac devant deux jeunes
arabes. « Prends-le… Quels roploplos !… Fou, le mec… »
—
J’ai
honte.
—
On n’est pas sur la rue Berri. Personne ne
nous connaît. Ralentis. Attends que le feu devienne rouge. J’ai besoin que tu
restes immobile pour quelques secondes. Mets un pied sur la valise.
Il me colla. Il fit semblant de nettoyer une tache sur la
jupe. Il coupa l’élastique de la culotte.
—
Baisse ta jambe et marche avec les cuisses
bien serrées pour ne pas la faire tomber.
—
C’est assez désagréable.
—
Ce ne sera pas long.
Nous traversâmes la rue de Rennes. Feu rouge.
—
Ouvre.
—
Il y a trop de gens.
—
Ouvre.
La culotte tomba. Il se plia pour me dégager le pied.
« Certaines cochonneries, vous devriez les faire chez
vous. Quelle indécence. »
Vert. Merci. mon dieu.
—
Donne-moi
la valise.
T.W. C’est le propre d’une nodosité sémantique excessive
dans l’objet que de débrider la fantaisie du sujet. Le réel, vide de signification
en soi, ouvre aux sujets des champs où les interprétations les plus variées
croisent leurs fers. La petite culotte, en tant qu’objet qui est en contact
direct et apaisé avec le sexe de la femme, est le centre d’une explosion
interprétative qui couvre tout le spectre des significations d’une langue et
d’une culture. S’il fut un temps dans lequel on pouvait encore dire, sans
rougir, que l’humanité était née de la mise hors-la-loi de l’inceste, un temps
viendra où, sans chevroter, on parlera du saut dans l’outre-humanité facilité
par ce simple triangle d’étoffe qui étouffe la violence tout en magnifiant le
désir.
I.M. À l’ombre du mûrier les adultes somnolaient, attendant
deux heures pour retourner le foin. Roberta était assise avec eux. Ses longs
cheveux noirs coulaient sur son dos, ses bras, ses genoux. Elle avait treize
ans et elle était si belle. Sous ses épaules dorées, les poils brodaient déjà
des blanches aisselles. Marta et moi, nous n’avions que sept ans et jouions
encore au cheval. Un caillou trop pointu et le cheval s’abattit. « Hop,
hop, relève-toi cheval. » Le cheval était incapable de se lever.
« Cheval, lève-toi ». Impossible. Entre les branches des cheveux et
les plis de la jupe, le cheval avait vu une lumière blanche. Blanche, pure.
Plus belle que tout ce qu’il avait jamais vu. Plus belle que Jésus.
O.B. Je ne comprends pas toute cette morbidité des
Occidentaux envers les petites culottes. Moi, je n’y trouve rien de malsain.
Elles sont pour moi des choses d’adultes, claires et propres sans aucune
traînée dans l’enfance, source inépuisable de dépravation. La morbidité
s’alimente de la sexualité enveloppante de l’enfance, de cette période où la
sexualité couvre tout le corps laissant
respirer seulement les ongles, les cheveux et les dents. Pour des
Mongols, qui dans leur enfance ont vu d’autres signes de luxure, les culottes,
comme les préservatifs, sont des « outils du métier », comme ceux que
les danseuses s’enlèvent péniblement dans les nouveaux bars topless d’Oulan
Bator, Des hameçons sans vers.
I.A. Je ne vois pas pourquoi en faire tout un plat. On
ferait mieux de se demander pourquoi on en trouve si peu. J’ai une réponse.
L’amour du risque et le risque de l’amour s’évaporent.
B.V. Les petites culottes n’existent pas. N’existent que leurs
couleurs. J’aurais dû écrire, plus proprement, qu’il n’existe que la couleur,
car leur renvoie à un objet auquel la couleur en tant que qualité
secondaire est censée appartenir. La couleur de la petite culotte n’est pas une
qualité secondaire — primaire non plus. Elle est la substance. Il faudrait dire
que la « culottitude » est une qualité de la couleur et non
vice-versa. La couleur est certainement une qualité secondaire pour un
chemisier, une voiture, un chapeau ou même pour la peau. Le fait que, dans ces
cas, ce soit une qualité secondaire, ne signifie pas qu’elle ne soit pas
importante ou qu’il n’y ait pas des situations plus ou moins favorables à la
couleur. Qui oserait nier que la couleur dans un tableau de Van Gogh est plus
importante que la couleur de l’intérieur des tuyaux d’égout ? Plus proches
des petites culottes : la couleur des slips d’homme ou des
soutiens-gorges, est beaucoup moins importante que celle qu’on est en train de
regarder. Dans les slips et les soutiens-gorges la « boursouflure »
limite l’éclat de la couleur — il va sans dire que la petite culotte
n’existe que devant ! Il ne faut pas voir de contradiction entre
l’affirmation initiale concernant la non-existence des petites culottes et le
fait « qu’elles n’existent que devant » : cette dernière
affirmation naît de la nécessité de communiquer à l’intérieur des contraintes
de la langue que, n’étant pas poète, je ne peux pas forcer. Les culottes ont
une couleur seulement lorsqu’elle sont produites ou vendues mais du moment
qu’on les regarde sur le corps d’une femme, elles remplissent leur fonction de
signe — elles n’en ont pas d’autres — et disparaissent en tant que culottes
pour devenir une couleur. J’ai bien écrit « qu’on les regarde », car
c’est seulement pour le regard de l’autre que la petite culotte a un sens. Il
faudrait donc éliminer le substantif culotte et garder la couleur.
« Elle avait du blanc » ou « J’ai mis du noir » ou
« Apporte-moi de l’orange ». Garder le blanc, le noir ou l’orange qui
font signe vers ce qu’ils ne cachent pas.
A.D. Ce ne sont pas les clients bizarres qui manquent,
mais, ces deux là, oh non, j’ai encore la petite culotte sur le siège, je dois
m’en débarrasser au prochain feu, ici ça va, c’est même parfait à un arrêt
d’autobus, sur Ici, quand ils sont montés dans la voiture je n’imaginais
pas qu’ils étaient de tels maniaques, lui si souriant et elle l’air d’une bonne
mère de famille, ça vous dérange si on fait des trucs un peu érotiques, je leur
réponds automatiquement non, les chauffeurs de taxi disent toujours oui, comme
les esclaves, et puis je me disais qu’ils se seraient embrassés ou caressés,
elle dépose sa petite culotte blanche sur le siège en avant, pas gênée la
blanche, puis elle met un pied sur le dossier de mon siège et l’autre sur le
siège à côte, lui il trafique avec son cartable, il sort un pénis en
caoutchouc, il s’agite, elle commence à grogner, arrêtez-vous dans le
stationnement de la montagne, oh non, oh non, son mollet frottait contre ma
tête, j’avais une envie folle de lui caresser la jambe, mais comment commencer,
est-ce qu’on peut baisser le dossier, oui, on est arrivé au stationnement, elle
retire ses jambes, je baisse le dossier, est-ce qu’elle peut se mettre devant,
oui, je peux sortir, non restez-là, elle s’assoit devant, jupes et blouse
déboutonnées, c’est la première fois que je vois une femme blanche pratiquement
nue, le poils noirs font un contraste infernal avec la peau si blanche, bien
plus fort que ce que j’avais vu au cinéma, elle prend ma main et elle me la met
entre les cuisses, je la caresse timidement, n’ayez pas peur, il descend de la
voiture, il monte devant, il la déplace un peu plus vers moi, elle lui sourit,
sort mon sexe, qu’il est beau, parfait, prend-le dans ta bouche, je fais une
photo, dès que ses lèvres m’effleurent je viens, elle m’essuie avec sa culotte,
3327 de l’Esplanade, s’il vous plaît.
Premier
juillet 2000 Laplace
(1749-1827) est très célèbre parmi les ingénieurs pour sa Transformée si
utile dans l’étude des systèmes. Il est connu des gens moins près de la
technique par son affirmation que si l’on avait les conditions initiales de
l’univers, on pourrait calculer la position de tous les corps à n’importe quel
moment. Les formules « à la Laplace » courent aujourd’hui les rues de
la psychologie (cognitive et non) : donnez-moi les conditions initiales de
l’être vivant x et je vous prévois son évolution. Mais, les conditions
initiales on ne peut donner. Et ce n’est pas parce qu’on décode le génome
humain qu’on peut mieux prévoir — ce qui ne veut pas dire qu’on n’en tirera pas
des éléments utiles.
Le célèbre passage d’Aristote sur le mouvement des
animaux : « Le mouvement des animaux est comme celui des marionnettes
qui sont mises en marche quand il y a un petit mouvement : les cordes sont
relâchées et les piquets frappent un contre l’autre (…) Car ils ont des parties
fonctionnelles du même type : les muscles et les os. » Passage
souvent cité hors contexte pour souligner une vision mécaniciste des vivants.
Mais, dans le même paragraphe, Aristote ajoute que le corps des animaux,
contrairement aux marionnettes, se transforme à cause de la pensée et de la
fantaisie. Deux millénaires après, on entend souvent dire que l’ADN est comme
un programme informatique et que l’humain est comme un ordinateur.
Contrairement à Aristote on n’ajoute pas souvent de mais.
2
juillet 2000 En
Mongolie les communistes ont repris le pouvoir. Quels communistes ? Les
mêmes qui en Russie, en Italie ou en France, se définissent communistes,
socialistes ou libéraux. Des hommes qui continuent à croire que le pouvoir
passe par les mécanismes politiques traditionnels (parlements, votes ou
révolutions).
Étudiant, syrien. Il doit commenter un article sur
l’héroïsme et les camps de concentration. « Je trouve que les Juifs
exagèrent. À cause du pouvoir économique qu’ils ont aux États-Unis, ils
conditionnent l’opinion publique mondiale. On parle beaucoup moins du drame de
l’Arménie. » Des lieux communs, avec une touche historique pour les rendre
moins fades. Je lui parle de la différence entre le racisme épuré des nazis et
la violence trouble d’un État qui soumet les gens d’un autre territoire.
J’arrive même à lui dire que le problème de l’Arménie est plus proche de celui
du Québec que de celui des Juifs — avec les morts en moins, ce qui n’est pas peu.
Ce qui, peut-être, est tout. Rien à faire. « Quand on parlera des
Arméniens comme des Juifs… ». Sa mère est arménienne. Insondable pouvoir
des mères.
Comme : canot pour ceux qui craignent les rapides du langage.