Premier mai 2000. Indemniser. Zimbabwe : 98 % de
noirs et 2 % de blancs qui possèdent plus de 50 % de la terre. Toute
la presse Occidentale attaque Mugabe qui, au lieu d’apaiser les esprits, pousse
les vétérans de la guerre d’indépendance à occuper les terres des blancs :
un dictateur exécrable —comme tous les dictateurs qui ne se plient pas aux
diktats des démocraties occidentales. Ils ont le culot d’écrire qu’il faut
indemniser les blancs et ils nous emmerdent avec l’éternelle comparaison avec
les « bons » gouvernants de l’Afrique du Sud ! Le pourcentage de
riches au Zimbabwe n’est pas très différent de celui des États-Unis. Et
pourtant tout est différent. Dans l’ex Rhodésie la couleur de la peau est un
trait encore moins secondaire qu’aux États-Unis et elle est bien plus
importante que le bout d’injustice envers les quelques blancs qui perdent
« leurs » terres. Il y a certainement des braves gars parmi ces
blancs, des démocrates qui appuient les réformateurs, par exemple ; il est
sans doute vrai que Mugabe vise surtout les opposants noirs mais il est surtout
vrai que les noirs ne doivent pas oublier la tragédie de leurs ancêtres. Ceux
qui participent à des manifs contre la mondialisation devraient plutôt
manifester contre les blancs du Zimbabwe, symbole bien vivant d’une
mondialisation qui persiste et signe depuis des siècles.
Peine de mort. Toscani laisse Benetton. Suite à la campagne
publicitaire montrant des condamnés à mort, Sears a décidé de ne plus vendre
les produits Benetton et Benetton a licencié Toscani. Sears a montré aux
photographes sans génie et engagés (ou engagés sans génie) qui critiquaient le
travail de l’officina de quel côté ils étaient.
2 mai 2000. Liberté. Trois journalistes et
cent-quarante-trois anarchistes ont été arrêtés hier soir pour une
manifestation contre la propriété privée dans le quartier plus riche de l’île
de Montréal. La fédération des journalistes justement s’insurge et, pour
souligner l’idiotie des policiers, souligne que cela se passe à la veille de la
journée mondiale de la liberté de presse. Mais les policiers ne sont pas plus
idiots que les journalistes. Si ces derniers ont été arrêtés « dans
l’accomplissement de leur travail », les policiers ont défendu la
propriété privée « dans l’accomplissement de leur travail ». Les
journalistes étaient censés couvrir la manifestation et non leur travail. Mais,
ils ne font que se défendre en défendant cette liberté de presse qui empoisonne
nos matinées avec l’arme de l’écrit, comme les méprisés fachos texans défendent
leur propriété avec des guns.
3 mai 2000. Ordures. New-York produit quatre millions de
tonnes d’ordures par années. Ça fait peur aux écologistes. Où les mettre ?
Les faire manger aux New-Yorkais ? Dangereux. On produit aussi un million
de tonnes de merde. Pour ne pas oublier les trois mille tonnes de sperme qui
potentiellement pourraient produire quatre millions et demi de tonnes d’humains
qui seraient encore plus difficiles à placer que les ordures.
4 mai 2000. Des pierres et des couilles. Dans une célèbre
bagarre qui eut lieu à Besançon en 1157, Otto de Wittelsbach sortit son épée
contre l’envoyé du pape, le cardinal Rolland, qui avait accusé l’empereur
Frédéric II du pillage de la suite d’un archevêque. Frédéric II eut la présence
d’esprit de bloquer son fougueux champion. Béni soit le temps où l’église et
l’État exploitaient la moindre occasion pour s’emmerder. Béni soit-il, surtout
quand on voit ce qui se passe dans la soue talibane. Pourquoi Dieu ne
s’inspire-t-il pas de Frédéric et n’arrête-t-il pas ses fougueux
champions ? Pourquoi n’écrase-t-il pas leurs couilles avec les pierres
qu’ils emploient pour lapider les femmes ?
5 mai 2000. Nouveautés. Tout emploi du terme
mondialisation contribue au relâchement de la pensée. Mais lorsque
l’indignation dépasse le seuil de garde, il est préférable de se laisser aller
si on ne veut pas imploser. Manuel Castells : « Une révolution
technologique, avec au centre les technologies de l’information, est en train
de donner une nouvelle forme, à une vitesse toujours plus grande, aux bases
matérielles de la société. Les économies de tous les pays sont
interdépendantes, introduisant ainsi de nouvelles relations entre économie,
État et société (…) les activités criminelles et les organisations de style
mafia (…) sont aussi globales et informationnelles ». Le proustisme de bas
étage qui, incapable de synthèse, analyse sociologiquement les pets des
grillons pour nous conforter dans nos attentes du nouveau et pour justifier le
salaire des chercheurs nous présente comme nouveau le fait que l’économie soit
mondialisée. L’empire romain ou mongol, l’État français ou l’Islande, l’empire
anglais ou la Grèce ancienne… l’économie a toujours été mondiale et a toujours
agi de conserve avec la délinquance. La nouveauté, très relative, c’est que le
monde est la terre entière et non seulement le patelin ou la nation — ce que
les mouvements progressistes disent depuis que l’émancipation a été ramenée sur
terre. Parlons donc d’économie terrifiée si on veut montrer un peu de précision
et de sarcasme.
6 mai 2000. Tunnels. Il y a cent quarante-quatre ans,
quelque part dans l’empire autrichien, naissait Sigmund Freud. Sa naissance est
aussi éloignée de nous que du traité sur l’optique de Newton ou de la dernière
exécution de sorcières en Angleterre. Dans le même sens : nous sommes
éloignés des bagatelles de 1968 comme le « soixante-huit » l’est de
la guerre d’Espagne. Le temps et la mémoire s’accouplent pour engendrer des
sphères montagneuses où les distances varient selon les pentes, les saisons, le
souffle et surtout, le nombre de tunnels qu’en vieillissant la culture a
offerts aux routes tracées dans la jeunesse. Certes, le fait de rapprocher les
événements par un tunnel empêche de contempler les fleurs qui bordent les
routes. Mais qu’est-ce que la culture sinon une taupe qui rapproche les
événements du passé dans le noir du présent ?
7 mai 2000. Nietzsche, Kant et les Américains.
Statistique « sérieuse » du New-York Time. Les Américains
deviennent toujours plus autonomes. Kant se réjouirait. À moins qu’il ne sache
que 51 % croient que des pensées immorales, quand elles ne se transforment
pas en action, sont O.K. et que 60 % pensent que parfois il faut mentir.
Ils sont aussi de sacrés optimistes. Mais cela, on le savait déjà. Nietzsche se
réjouirait du fait que 85 % des Américains pensent qu’on peut obtenir tout
ce qu’on veut — à moins qu’il ne sache que le 91 % pensent que le fait
d’être américain est fondamental et que seulement 28 % pensent que la
religion est moins importante pour eux qu’elle ne l’était pour leurs parents.
Mais ce sont des détails. Ce sont surtout les mathématiciens qui devraient se
réjouir.