22 mai 2000.

Nguyen Du (1725-1820) mit en vers un récit chinois et donna aux Vietnamiens ce que Dante, Cervantès, Melville et Ducharme, pour n’en nommer que quatre, donnèrent à leurs pays respectifs. KIM-VÂN-KIÊU est l’histoire de Kiêu, jeune fille aux joues rose, qui, après avoir juré un amour éternel à Kim, sacrifie son corps pour sauver son père. Sous l’empire du malheur, elle sera femme aux entrailles déchirées (courtisane), maîtresse (d’un jeune riche), épouse (d’un héros) et religieuse. Finalement… Une belle histoire comme seulement Hollywood sait encore en créer.

 

Bourdons en Occident et abeilles au Vietnam, les hommes. Des fleurs partout, les femmes. « O profanation ! Sur la tendre fleur de camélia s’abattit l’abeille qui en découvrit tous les chemins secrets ». Mon amour de la langue française empêche l’abeille de s’abattre et l’homme de découvrir des chemins secrets après s’être abattu. Ah ! les traducteurs. Première tentative d’amélioration.. Tous les chemins secrets de la tendre fleur de camélia découvrit la ronflante abeille. De mal en pis. Ce ronflant renvoie avec une facilité toute occidentale au vieil homme satisfait et borné. Pas assez vietnamien. S’empressa l’abeille dans les chemins secrets de la tendre fleur de camélia. Pas mal. Travaillota l’abeille…pas mal non plus, ce « travaillota » a son petit charme. Traducteur créateur.

 

C’est le traître So-Khanh qui, caché, ment à haute voix en sachant que Kiêu l’entend : « Ah ! si seulement la belle faisait confiance au héros. Ce serait un simple jeu que de briser la cage. » Parfait, Nguyen Du. — Traduction dans le langage des romans cynico-libérés qui salissent les devantures des idées : « Merde, la confiance. Mon beau p’tit mec, je vais te mettre, toi et ta bibitte, dans ma cage. »

 

Après quelques pages, à l’annonce que So-Khanh était de mèche avec la tenancière, c’est Kiêu qui parle : « De graves serments furent prononcés. Je ne peux croire à tant de machiavélisme ! » Machiavélisme ? Traducteurs assassins (ils sont deux) :  ils écrasent les tendres pétales de Kiêu avec un enclume. « T’en as pas marre d’exagérer ? Que les traducteurs trahissent c’est connu ! Ce n’est pas pour rien que la formule Traduttore traditore est universellement connue » Oui, tous les pamplemousses du monde pensent que le fait de traduire implique une trahison de l’auteur. Comme toute pensée pamplemoussienne elle est fausse au 90 % et pour le 10 % qui reste pas vraie. Et pourtant c’est si simple :

1)      En poésie, le traducteur, tout comme l’auteur, ne peuvent que trahir la langue (Nerval ne trahit pas le français et donc fait une « traduction » parfaite du Faust.).

2)      En littérature, le traducteur, tout comme l’auteur, ne peuvent que trahir les personnages et leur monde. La trahison la plus grave c’est sans aucun doute celle du créateur initial (comme dans une famille c’est celle de la mère. Trahie une fois trahie toujours).

3)      En philosophie, le mauvais traducteur trahit l’auteur car, en philosophie, seul l’auteur (ou son estomac) existe.

 

La littérature comme objectivité, pensée, logique et philosophie comme subjectivité, entrailles et états d’âme. Était-il nécessaire de passer par le Vietnam et par la traduction pour dire une telle banalité (pour ceux qui ont des yeux au milieu de la figure) et une telle énormité (pour les pamplemousses) ? Chai pas.

 

Retour à Kiêu.

 

On n’échappe pas au bonheur Après mille épreuves, elle retrouve sa famille et Kim. Celui-ci, sage comme un jésuite, se bat contre une Kiêu fataliste et dogmatique qui ne se sent pas digne de revenir avec lui. Kim, dans une dernière tentative de la convaincre : « De tout temps, dans le devoir auquel sont soumises les femmes, il y a bien de manières d’observer la fidélité. Il y a la situation normale, mais il y a aussi les circonstances extraordinaires et les exceptions s’imposent là ou la règle ne peut être suivie. » Il a gagné la bataille. Elle restera avec lui. Promis, Mais, il va perdre la guerre. Il doit céder, Elle ne couchera plus avec lui. Il accepte : « point n’est besoin de partager la même couche pour mériter le nom d’époux. » Montaigne dixit. On n’échappe pas au malheur.

 

23 mai 2000. Elle naquit le 23 mai 1927, aima un homme et mit au monde cinq enfants. Jamais elle ne baissa le regard et ne se plia que pour donner à ses enfants leurs rêves. Le six mars elle est partie.

 

Elle me fit à son image.

 

Forte, elle me posa sur un socle fidèle. Amoureuse, elle m’insuffla le désir, généreuse m’apprit la grâce du don, curieuse m’introduisit à l’écriture et, intelligente, elle m’en montra les bornes.

 

Ses seins m’instillèrent la richesse qui ne meurt.

 

Je suis resté pour la continuer, stérile branche d’un arbre éternel. Dans mes soupirs elle soupire.

 

Je suis seul dans ma vie minuscule. Attends-moi. Je ne suis jamais en retard, tu le sais.

 

24 mai 2000. La réincarnation ? Certes qu’elle existe. Pas celle de Kiêu sur laquelle « un lourd Karma d’injustice pèse », mais celle qui est constamment devant nos yeux. Si présente qu’on ne la voit même pas. Comme l’air, comme le brigandage des friqués, les niaiseries des professeurs et les âneries des journalistes. Les femmes s’incarnent. Si simple et naturel, que ça donne le vertige. Les chrétiens qui dans l’art de la complication sont rois, y ont mis tout le paquet : c’est Dieu en personne qui s’incarne dans l’utérus de Marie. Tout ça pour cacher que c’est Marie qui s’incarna en Jésus.

 

Dieu peut tout, s’il veut. Une mère aussi. Mais alors, où sont les dieux et les mères de ces Talibans qui, entre deux lapidations, coupent les mains des voleurs ? Où sont les femmes de ces Talibans ? Je veux bien croire que 60 % d’entre eux sont pédés et 39 % impuissants, mais pourquoi parmi les femmes du 1 % qui reste il n’y en a pas au moins une qui arrache les couilles de son homme, les mâche comme jadis les paysans le tabac de Virginie et les crache à la figure des barbus dans la mosquée de Kaboul ? Allah, t’as assez déconné. Fais un effort. Imite ton fils Jésus (pour la lapidation), ton fils Sade (pour les couilles). Vas-y, arrête ces pervertis à barbes, donne-leur une coupe de main.

 

À propos de mains coupées. Grimm : la fable sur une fille belle et malheureuse, par exemple, avec un père niais, par exemple, qui croit que le diable a besoin d’un pommier, par exemple, et qui lui cède (au diable) ce « qui se trouvait derrière son moulin ». par exemple, mais derrière le moulin il y un pommier et une belle fille, par exemple, et qu’est-ce qu’il préfère le diable ? La belle fille, par exemple, et puis le père, par exemple, toujours avec le diable aux trousses, par exemple, coupe les mains de sa fille, par exemple et un roi, « comme elle était si belle », par exemple, lui fait des mains d’argent et l’épouse, par exemple, mais le diable, par exemple, crée de nouveaux troubles et sépare les deux, par exemple, mais Dieu fait repousser les mains à la belle, par exemple, mais alors son mari ne la reconnaît pas, par exemple, mais un ange montre au roi les mains d’argent, par exemple, et le convainc qu’il a la bonne femme, par exemple. Et ils « vécurent dans la joie jusqu’à leur heureuse mort ».

 

Morale de la fable : pour vivre dans la joie il faut être riche, se faire couper les mains et avoir le soutien de Dieu.

 

25 mai 2000. Elle prit un express allongée. Je pris une courte tisane.

 

26 mai 2000.

Je (Iketnuk) dis

Que lui (Ezra Pound) dit

Que Kung dit :

« Respectez les facultés de l’enfant,

Dès l’instant où il inhale l’air clair

Mais un homme de cinquante ans qui n’a rien appris

N’est digne d’aucun respect. »

 

Je (Iketnuk) rajoute : Kung (que je connais encore moins que Shou-Krou’te) m’a l’air d’un doltonien. Un autre de l’armée des droits des bébés. Dieu sait le respect que j’ai pour F. Dolto quand elle parle de l’orgasme des femmes (avec moi, elle est une des seules personnes qui en a compris la psychanique), mais, sapristi, quelle tarte quand elle parle des enfants !

 

Je (Bator) dis

Que lui (Ezra Pound) dit

Que Kung dit :

« Quiconque peut aller jusqu’à l’excès :

Il est facile de dépasser la cible,

Il est difficile de rester invariable dans le milieu. »

 

Je (Bator), rajoute : Kung (le fou qui voulait empêcher la chute des fleurs d’abricotier) savait de quoi il parlait. « Ce qui est facile est difficile » a dit le sage avant de mourir (ce n’était pas Nestor).

 

27 mai 2000. Inscription au forum de discussion de Libération sur le freudisme. Sans intérêt. Et c’est normal. Les forums sont l’équivalent des discussions de café avec en moins la présence physique, donc ne sont rien — du point de vue de la discussion. Un lieu de cris et de plaintes. Utile, certes, comme le psy. De l’agora, au café, à Internet ? Internet comme une nouvelle agora ? Je ne vois pas comment. Ce qui me semble certain, c’est que les tenants de la démocratie électronique se fourrent le doigt dans l’œil s’ils croient que les forums sur Internet font avancer quoi que ce soit. Comme les tenants de la démocratie tout court quand ils disent que celle-ci est fondée sur la libre discussion.

 

Pérou. Fujimori est le seul candidat à la présidence depuis que A. Toledo s’est retiré de la course pour protester contre les manœuvres anti-démocratiques du président. Clinton lui dit de faire attention s’il ne veut pas que les États-Unis se fâchent : « des élections libres, justes et ouvertes sont les fondements d’une société démocratique ». Libre et juste sont devenus des attributs des élections. Democracy is coming from the USA.

 

 

28 mai 2000. Saint Augustin. Le grand maître des enculés. Ce saint a fait plus de mal au genre humain que Blair, Berlusconi, Bouchard, Diana et Le Nouvel Obs réunis.

 

La mer avec un dé à coudre tu n’as pas su vider

                                               Ton dé était troué

 

Le racisme et l’imbécillité ta grâce nous a donnés

                                               Et Hitler est né

 

Le commencement du langage tu voulais expliquer

                                               Ta langue t’a berné

 

Sur jeunesse, femmes, plaisir et corps tu as craché

                                               Tes couilles étaient blasées

 

Avec les balbutiements de l’âme le monde tu as émasculé

                                               Rousseau tu nous a collé

 

Après avoir écrit cet hymne, dans la joie, je me suis aperçu que le 28 mai ce n’est pas la fête du bon Augustin, c’est-à-dire du mauvais. Le bon, c’est-à-dire le mauvais, celui du noli fora te ire pour nous entendre, qui naquit à Thagaste en 354 et mourut à Hippone en 430 et qui écrivit les Confessions, La Cité de Dieu et De trinitate, pour ne citer que quelques-unes de ces herd-books, est fêté le 28 août.

 

Le 28 mai, c’est la fête de l’autre Augustin, « bénédictin de Rome, Augustin fut, en 597, envoyé en Angleterre par le Pape saint Grégoire Ier, avec quarante autres moines, pour évangéliser les Anglo-Saxons. Il s’établit près de Cantorbéry, alors capitale du royaume. Par sa parole et le rayonnement de sa sainteté, il convertit le roi, qu’il baptisa avec un grand nombre de ses sujets ». Mais les complicationes Augustinianae ne s’arrêtent pas ici. Dans le calendrier de la Pléiade (comme dans Le petit Robert des noms propres), il est écrit que la fête de l’autre Augustin, c’est le 27 mai, tandis que le Missel quotidien des fidèles (par le R.P.J FEDER s.j., éditions Maison Mame) parle du 28 mai. Passéiste et amant de l’autorité comme on dit que je suis, j’ai préféré me fier au calendrier du missel plutôt qu’à celui de la Pléiade. Quand on publie un missel, on ne publie pas n’importe comment :

·        Nihil Obstat à Toulouse le 20 juin 1961 par A.-G. Martimort, Directeur du centre de Pastorale Liturgique.

·        Imprimi potest à Reims le 28 juin 1961 par E. Pillain s.j. Provincial.

·        Imprimature à Tours le 10 juillet 1961 par Louis, Archev. de Tours.

 

N’ayant pas la patience d’attendre le 28 août (anniversaire de Tolstoï et Goethe), pour remonter un peu le moral, voici une courte liste (pas en ordre alphabétique) d’anti-augustiniens, c’est-à-dire de gens qui n’avaient pas de dés à coudre troués, ni d’âme mollasse, ni de mépris du corps, etc. : Saint-Thomas d’Aquin, Nietzsche, Pound, Colleoni, Joyce, Lénine, Ducharme, Madonna, Guevara, Valéry, Flaubert, Rommel, Dante, Bohr, Gengis Khan, Sollers, Montale et, pour ne pas pécher par humilité, Iketnuk.

 

La fin d’un événement ou d’une personne (ce qu’on appelle normalement la mort) c’est une occasion d’en parler en bien. Même Dieu, pour reprendre du poil de l’agneau, a dû mourir. Même Maurice Richard (dans une entrevue : Maurice Richard est important pour le Québec comme Diana pour l’Angleterre).