29 mai 2000 Semences et larmes en vain versées (Vittorio Sereni, devant des tombeaux d’enfants).

 

La mort ne court pas inlassable d’un corps à l’autre. Elle naît avec la vie et s’accroupit dans un coin de l’âme où elle tisse sa robe pour la grande sortie. Comme la vie, elle s’agite pour défendre sa place. Il lui arrive de s’endormir et de nous laisser dans l’illusion d’une vie éternelle ; mais… comme ça… comme par hasard… elle se réveille et se lève du mauvais pied. Elle s’en veut et nous en veut à mort car elle n’aime pas perdre conscience et risquer de perdre sa vie dans le sommeil. Elle devient agressive et, si on ne veut pas qu’elle coupe le fil trop tôt, il faut réaménager son coin, lui sourire, s’occuper d’elle, lui dire qu’on sait qu’elle est bien vivante et prête à nous avoir quand bon lui semblera. Malgré nos cajoleries, elle décidera un jour que c’en est assez. Elle abandonne son coin et, dans sa robe auguste tissée d’ombres et de mystères, elle occupe toutes les clairières de l’âme. Elle nous a. Pendant un long instant, elle nous a. Un long instant dans le noir. Et puis… les immortels chevaliers de la souvenance arrivent et la repoussent dans son coin obscur où elle tissera à nouveau une robe vaine.

 

La mort meurt.

 

30 mai 2000

Ce n’est pas la légèreté de Robert Walser. Ce ne sont pas des ailes de vanesses qui ventilent de frêles âmes. C’est du solide. Du Spielberg, par exemple. « Une flèche le perce au milieu de la poitrine ; sa main mourante lâche les rênes et il glisse lentement de côté sur l’épaule droite de sa monture. » C’est le premier fils de Niobé qui meurt comme un cow-boy dans un film des années cinquante. De Niobé qui veut que le peuple lui fasse des sacrifices au lieu d’honorer la déesse Latone qui n’a su engendrer que « la septième partie des fruits de (son) ventre ». Niobé, dont l’orgueil condamnera à mort ses quatorze enfants. « Une flèche a pénétré en vibrant dans le haut de son cou et le fer sort, mis à nu, hors de sa gorge. » Et c’est le deuxième fils, Sipyle. « Une flèche les transperce dans l’attitude où ils étaient, liés l’un à l’autre. Ils gémissent ensemble ; ensemble, courbés par la douleur, ils s’abattent sur le sol. » Deux autres, d’un seul coup. Et puis le cinquième : « Le jeune homme arrache la flèche, mais une partie de ses poumons vient avec la pointe. » Et encore le sixième et le septième. Et puis les sept filles. Un scénario parfait, signé Ovide, pour un film sur l’amour maternel et l’orgueil, écrasés par les dieux.

 

Ce n’est pas la réflexion de Primo Levi. Ce ne sont pas les musulmans (ceux qui ont perdu toute forme humaine) mais les canada (ceux qui sont en forme et transportent les musulmans vers…). C’est dur, brutal, cinématographique. Pas les jeux intellectuels ingrats à la Claude Lanzmann. Un autre scénario, aussi Hollywoodien que le premier, aussi puissant. L’amour maternel et l’esprit de survie écrasés par les canada. Cette fois ce n’est pas Ovide mais un jeune écrivain polonais qui signe : Tadeusz Borowski. « Il n’est pas à moi, monsieur, pas à moi !’ Elle crie, hystérique, et elle court, couvrant son visage avec ses mains. Elle veut se cacher, elle veut rejoindre ceux qui n’iront pas sur les camions, ceux qui iront à pied, ceux qui resteront vivants. Elle est jeune, en santé, belle. Elle veut vivre. Mais l’enfant la suit, hurlant : ‘ Maman, maman, ne me laisse pas  ». Elle ne se sauvera pas. Le Russki du Kommando, lui jettera l’enfant entre les pattes après l’avoir frappée et jetée dans le camion comme « un sac de semences ».

 

Elle est mère mais elle est aussi jeune, en santé, belle. Elle veut vivre.

 

Encore Borowki,. Fort, simple. Prêt pour le cinéma. « Et d’un coup, au dessus de la foule grouillante avançant comme un fleuve poussé par une puissance invisible, une fille apparaît. Elle descend légère du train, saute sur le gravier, regarde autour d’un air interrogateur, comme surprise. Ses doux cheveux blonds sont tombés comme un torrent sur ses épaules, elle les jette en arrière avec impatience. (…) Ici, devant moi, il y a une fille, une fille avec des splendides cheveux blonds, avec des seins magnifiques, portant un petit chemisier en coton, une fille avec une lumière sage et mûre dans les yeux. Elle est ici, ses yeux dans mes yeux, en attente. Et là, la chambre à gaz. »

 

Tadeusz Borowski ouvrit le gaz le premier juillet 1951.

 

31 mai 2000 Anna Kournikova est la joueuse de tennis la mieux payée même si elle est seulement quinzième au classement mondial. Sports Illustrated : « Voilà ce que Kournikova prouve à propos de l’homo sapiens, division mâles, dans les années 2000 : l’apparence est encore importante. » Et pourquoi ne devrait-elle pas être importante ? Le sport, surtout le sport, est né pour exalter la beauté des corps. Et si une fille non seulement se débrouille en frappant des balles mais, avec son corps, fait rêver des millions de personnes, on devrait remercier les dieux parce qu’ils ne nous ont pas encore complètement abandonnés. La perfection de l’aine d’Anna K., le mouvement léger et ferme de ses seins et l’éclat de sa culotte liquéfient sans doute le cerveau des spectateurs pendant une heure, mais après il se solidifie sous de nouvelles formes, avec de nouvelles fenêtres ouvertes sur l’espérance. Chers pamplemousses où voulez-vous qu’on emprisonne la beauté : dans les bordels, dans les maisons, dans les défilés de mode ? Certainement pas. Vous êtes trop corrects. Je vois. Vous voulez, tout simplement la faire disparaître. Même à Auschwitz vous n’avez pas réussi. Tadeusz Borowski : Ici, devant moi, il y a une fille, une fille avec des splendides cheveux blonds, avec des seins magnifiques, portant un petit chemisier en coton, une fille avec une lumière sage et mûre dans les yeux. Elle est ici, ses yeux dans mes yeux, en attente. Et là, la chambre à gaz. » Et elle sera toujours devant nous. Toujours derrière nous pour nous pousser à résister.

 

Premier juin 2000 Le premier juin 1926 à Los Angeles naquit Norma Jean Mortenson. Comme Marlène Dietrich, de vingt-cinq ans son aînée, elle aurait pu se vanter d’avoir la culotte salie par J.F. Kennedy. Elle ne s’en vanta pas. Elle n’avait ni le caractère ni la beauté de l’allemande. Elle interpréta quelques films et se suicida en tant que Marilyn Monroe à trente-six ans.

 

Dans un article écrit pour Newsweek, Ulrich Lars, le batteur de Metallica, défend le procès que son groupe a engagé contre Napster accusé d’avoir enfreint les droits d’auteur : « Et la fin de tout ça ? Est-ce que le journalistes doivent travailler gratuitement ? les avocats ? les ingénieurs ? les plombiers ? ». Oui.

 

2 juin 2000 Il semble que l’État polonais aimerait être dans l’Europe tout en restant sous le protectorat de l’OTAN (lire des États-Unis). Les américains disent que les polonais disent que la France ne veut pas la Pologne dans l’Europe car elle serait leur cheval de Troie. Et le cheval de Troie made in England ? Ça doit être l’entourage de Blair qui fait circuler le bruit que les Américains disent que… ? Deux chevaux de bois c’est trop, même pour des présidents moins nationalistes que de Gaulle.

 « Non, n’achetez pas De Gaulle dans la Pléiade ! » Me dit la jeune libraire avec un sourire désarmant. Mon dieu, qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Je suis un vrai collectionneur et je n’ouvre jamais mes Pléiades. De Gaulle ou Flaubert ou Corneille ou Kant, au fond c’est seulement la couleur qui change— pour nous, les collectionneurs. En baissant sa tête mignonne elle m’offrit une calotte adoucie par un duvet semblable à l’autre… celui du centre. À propos de centre, le deux juin 1740 naquit Donatien Alphonse François de Sade. Je suis sûr qu’elle n’aurait pas bronché si j’avais demandé les œuvre du Marquis dans la Pléiade. La petite ne sait pas de quoi elle parle. Comme tous ces intellectuels qui lisent Sade comme ils lisent Kant, sans le comprendre.

 

3 juin 2000 Harcèlement des noirs (riches) par la police. Ils espéraient que l’argent les auraient libéré de leur race mais les policiers, les remettent à leur place. Ils se plaignent qu’ils sont harcelés comme la majorité des noirs (les pauvres). Dès qu’ils les voient avec une grosse bagnole, ils ne peuvent s’empêcher de penser qu’ils sont des délinquants. « Vos papiers… où allez-vous… la dame à côté aussi… ». Voilà une bonne occasion pour engager un procès contre la police. Ridicule et mauvais comme d’habitude. La police fait bien son travail :  il est plus probable qu’un noir se soit enrichi de manière illégale qu’un blanc. La pauvreté pousse au crime et c’est normal (la criminalité des riches est institutionnalisé). Le noirs sont plus pauvres donc. La logique des policiers est sans bavure. Les bavures sont ailleurs. Faisons donc des procès à la pauvreté en choisissant les bons juges (ceux qui ne craignent pas de la condamner à mort) et laissons l’injuste police représenter l’injuste société.

 

4 juin 2000 Dubay Transport Corporation. Pour la première fois des femmes (sept) ont obtenu un permis pour conduire des taxis à Dubay. Elles peuvent conduire seulement des enfants et des femmes. Un succès pour les femmes ? Pas sûr. De servantes à la maison à servantes sur la route. Ça ne change rien à la servitude. Ça change au niveau symbolique. Inch Allah.

 

Le cheik Mohamed Bin Rashid al Maktoum, prince héritier du Dubay, ministre de la défense, etc. a cinquante ans, il est bedonnant, il gagne dix millions de dollars par jour (dans l’article on souligne le par jour en le mettant en évidence tout seul dans la phrase qui suit l’annonce des dix millions) et il participe à une course très dure de résistance (à cheval), avec ses trois fils (trois petits cheiks comme on écrit avec un peu trop de mépris). Pourquoi les journaux insistent-ils tellement sur sa richesse, son physique, son népotisme, ses titres ? Parce qu’il est arabe. Comme dans les années trente on parlait des riches financiers juifs au nez crochu.

 

Il a vingt ans. Il y a trois ans son père lui a donné mille dollars pour faire un voyage à Vancouver. Il doit les rendre. Il faut qu’il apprenne à être responsable. Quelle envie de boucher, avec un énorme étron bleu, le trou à mots des parents qui responsabilisent avec l’argent ! Argent et merde, même chose — à un symbole près.