16 octobre
2000 Impossible
de les débrutir, ces moines nordiques à la trop triste figure. La tourmente
romantique qui n’a cesse de souffler dans les forêts — noires —, les villes —
aux sonorités barbares —, la campagne — enfoncée dans le Moyen-Âge — et qui
tant de mal fera pendant quatre siècles, empêchait de sentir les souffles d’air
polisson qui venaient d’Italie à la fin du XVe siècle et au début du
XVIe. En cette période, il est impossible de trouver un vêtement
léger quelconque dans les pesantes
valises de ces Allemands toujours moins drôles — de ces intégristes ante litteram qui perdaient le nord dès
qu’ils passaient les Alpes. Comme le dira Nietzsche, c’était pourtant si
simple : ils mangeaient trop mal et n’avaient pas assez de soleil. Mais la
concentration de poids lourds qui ralentissaient les routes des idées et qui
firent reculer l’histoire de quelques siècles, aux alentours de Wittenberg,
dans les année vingt du XVIe siècle est impressionnante :
Luther, Karlstadt, Zwilling, Melanchthon et Müntzer. Un concours de lourdeur
sans précédent qui ne trouve d’équivalent que dans la branche espagnole de
l’Inquisition et quelques cent ans après dans un Pascal oublieux de la terre de
Descartes. Il faudra attendre un juif viennois de la deuxième moitié du XIXe
pour commencer à réintroduire un peu de subtilité et de théâtralité dans la
culture du nord et essayer de réparer les âmes rongées par le manque d’esprit
des réformateurs.
17 octobre
2000 Le
purs sont souvent durs et parfois blets sans être mûrs.
18 octobre
2000 Gymnases. Un train à haute vitesse
relie depuis des millénaires trois gymnases — Platon, Saint-Augustin et Luther
— où se gonflent ceux qui s’élisent
élus.
19 octobre
2000 Rome. Rome était pourrie. Elle l’a
toujours été, comme toute ville où se forgent les épais du pouvoir. Caton et
Dante, bien avant ces moines du Nord brumeux, le dirent. Michel Ange aussi,
l’écrit, dans ses sonnets, au temps de Luther :
(…) puisqu’à
Rome on vend même sa peau [du Christ] ;
et que la route qui mène au bien y est fermée.
Mais il sait le dire sans la vulgarité de
l’augustinien.
Michel Ange et Luther. Le jour et la nuit. Il y a
ceux qui préfèrent la nuit.
Michel Ange et Luther. L’image et l’écrit. Il y a
ceux qui préfèrent l’écrit.
Michel Ange et Luther. Le sud et le nord. Il y a
ceux qui préfèrent le nord.
Dommage.
Amen.
20 octobre
2000 Soûleries. Au nord de Mülhausen, sur la
route pour Ammern, mars 1525. Müntzer, à cheval, harangue la foule des
paysans : « Que tous ceux qui sont prêts à respecter la parole de
Dieu jusqu’à la mort et à prêter serment lèvent le doigt ! » Un
capitaine, exaspéré par ce fou de Dieu, les convainc de ne pas le faire :
« Chers citoyens n’avez-vous pas déjà prêté tant de serments que vous
pourriez remplir un panier entier. » Les paysans, pas assez loin de la vie
pour suivre ce Savanarole soûl de Dieu, retournèrent à Mülhausen pour se soûler
de bière, allèrent au couvent de Sainte Marie-Madeleine, firent sortir les
sœurs, « brûlèrent toutes les images et emportèrent un tonneau de
bière »1. À noter la classe de
ces soûlards qui firent sortir les sœurs avant de brûler les images. Et le
savoir vivre des sœurs qui, contrairement à Müntzer, ne semblaient pas renoncer
à tous les plaisirs de la chair et gardaient leur tonneau de bière qu’elle
n’employaient probablement pas pour arroser les fleurs.
21 octobre
2000 Iconoclastes. J’ai toujours eu de la
sympathie pour les iconoclastes. Je n’en ai plus (pour les destructeurs
d’images) depuis que je connais un peu mieux les débuts de la Réforme. Ces
Talibans du XVIe siècles ont lutté contre les dernières traces de polythéisme
qui survivaient dans le christianisme : le culte des saints et le paiement
des indulgences.
Il
luttèrent aussi pour le mariage des prêtres. Pour mettre un peu d’ordre dans le
sexe aussi. Pour le purifier, les pauvres ! Karlstadt, par exemple, maria une gamine de
quinze ans à quarante-deux, ce qui pour des ennemis de la chair…
P.S.
Un
seul regret de ces lectures des horreurs de la bande des cinq : je risque
de trouver trop d’excuses pour les catholiques et surtout pour les Jésuites
qui, depuis Saint-Thomas, contrairement aux blondes bêtes allemandes, n’ont pas
renoncé à une contribution minimale de la raison.
22
octobre 2000 Dialogue avec une Algérienne
dans une librairie sur Saint-Denis.
Elle est sérieuse, engagée et
correcte, ce qui d’habitude est acceptable seulement si la personne est jeune
et n’a pas encore eu le temps de dédramatiser le spectacle de la vie. Elle
a été choquée par les Annales du 28 juillet : « Pour comprendre que
jadis nous fûmes des animaux il suffit de regarder le bas du bas ventre d’une
femme en pantalons. Pourquoi ? Pour deux motifs — que je n’ai pas envie
d’expliquer. »
—
C’est quoi ce jeu à la
con sans aucun intérêt ?
—
Ce n’est pas un jeu à la
con et l’intérêt, ça dépend…
—
Selon toi, ce n’est pas
un jeu à la con de dire qu’il y a deux motifs et puis dire qu’on n’a pas envie
d’expliquer, dans un texte où l’on contrôle tout ?
—
Non. Je n’avais
simplement pas envie de dire le pourquoi.
—
Parce qu’il n’y a rien à
expliquer ou tu ne savais pas quoi dire ou tu es simplement bête !
—
Si tu en es sûre !
—
Tu n’as rien d’autre à
penser ? Moi, j’ai des choses bien plus importantes auxquelles penser.
—
Moi, je ne sais pas. Les grands thèmes sont
tellement pleins de flaques où on patauge depuis des siècles qu’il vaut
peut-être la peine de s’amuser autour de petites choses.
—
Toi qui dis ne pas aimer les lieux communs tu
es en train de t’y noyer.
—
D’y nager. De temps à
autre j’aime y prendre un bain. Et puis, pour moi c’est difficile de vraiment
penser sans m’amuser
—
Ça c’est de la purée
post-moderne pour vieux édentés !
—
Vieux sans doute, édenté
un peu, la purée je l’aime mais les post-modernes je me les mets dans le post…
érieur. Oui, plein d’autres choses importantes. Mais je ne fais pas de
différence de valeur entre les choses auxquelles je réfléchis. La manière
m’intéresse beaucoup plus.
—
Vas-y donc !
Explique.
—
J’imagine que tu as déjà
regardé le « bas du bas ventre » d’une femme en pantalon…
—
On l’appelle entrejambe…
—
Il y a deux
extrêmes : les pantalons dont la couture entre entre les lèvres et ceux
qui pendouillent comme un chiffon inutile.
—
Oui…c’est une manière de
voir
—
Tu as bien dit. C’est
une manière de voir. Dans les deux cas le sexe est mis en évidence : dans
un cas par une présence qu’on ne peut pas ne pas noter et dans l’autre par une
absence pareillement ostensible.
—
Une absence ostensible…
complètement débile…
—
Le
« pendouillement », en signalant quelque chose qui manque, signale en
effet la présence de ce qui ne peut pas manquer. La présence de la présence…
—
N’importe quoi ! Je
n’y comprends rien. Je ne vois que des fantasmes de vieux pervers gauchiste qui
veut aller contre les idées machistes de Freud sur la femme et la castration…
—
Tu vas un peu trop loin,
mais si tu veux. Donc, les deux sont un plus-que-signe du sexe de la femme. Ce
qui ne peut qu’indiquer au mâle le, disons, le… centre de la rencontre…
—
Le sexe ce n’est pas
seulement la pénétration…
—
Je ne suis pas en train
de dire cela. Mais pour l’espèce c’est surtout cela…
—
L’espèce ?
—
Oui, car le sexe a
peut-être une certaine importance pour l’espèce, pour ne pas dire une
importance certaine Donc, si tu me laisses continuer, il fait signe vers un
centre qu’on peut bien plus facilement atteindre si la femme est à quatre
pattes. Comme un mammifère quelconque.
—
Comme une vache.
—
Comme une vache aussi.
—
Il est atteignable même
debout. Tu manques de créativité, tout pris dans ta vision conformiste de la sexualité.
Avec une jupe on ne voit rien, c’est mystérieux, d’accord, mais on vit dans une
époque beaucoup plus franche et avec moins de tabous par rapport au sexe.
—
Je n’ai pas dit qu’on ne
peut pas l’atteindre. J’ai dit que c’est bien plus facile et naturel. Et la
franchise dont tu parles, c’est bien un pas vers le naturel. Mais j’ai
l’impression que tu confonds l’érotisme avec le sexe. Une jupe qui cache, fait
signe elle aussi mais de tout autre manière et, en fonction de sa largeur ou sa
longueur, elle peut nous faire rêver au vent, aux mains… une jupe se lève et
les pantalons se baissent…
—
Rêves de vieux cochons
pervertis.
—
T’exagères.
—
Avant de parler de tout
ça, tu iras essayer de te faire prendre par une femme debout en pantalons.
—
Beh…
—
Tu m’as encore plus
convaincue qu’il s’agit de réflexions d’intellectuels de gauche blasés qui
cherchent à s’émoustiller les neurones. Leur idéalisme, las de s’être frappé à
des murs, les pousse à se protéger et finalement, par lâcheté, il ne se mêlent
pas à ce qui se passe au coin de leur rue. Des mouvement de masse qui auraient
besoin de gens bien placés avec des plugs pour faire passer de nouvelles idées
dans les mass media.