4 Septembre 2000 La conscience, surface au sens géométrique du terme, est sans épaisseur. Ceux qui en sondent la profondeur — les psychologues, les amis, les prêtres, les putes avec un Bac, etc. — sont des épais, pas parce qu’ils soient moins intelligents que les autres mais parce qu’ils croient d’avoir compris. Ils creusent là où il n’y a rien à creuser et au lieu d’abandonner la tâche quand ils constatent que leur pic rebondit sans laisser la moindre égratignure, ils bâtissent des structures, dont les reflets dans la conscience ils prennent pour profondeur. Mais une fois que les structures sont bâties, voilà que des manœuvres de l’intellect s’attaquent à leur amélioration sans douter un seul instant que tout cela n’a rien à voir avec la conscience. « Rien de mal », vous direz, « c’est mieux qu’ils s’amusent avec des concepts vides qu’avec des concepts nocifs. » Mais, malheureusement, quand ils sont assez nombreux à y travailler, ils créent des écoles de vacarme et bâtissent des structures si imposantes qu’elles empêchent à la conscience de respirer. Freud comprit. Il comprit que la conscience n’était que l’écume du monde, mais esclave de la raison comme les autres, alla chercher une structure dans la combustion de la vie. Il inventa une autre profondeur, moins claire mais pas moins structurée, ce qui rendit les obsédés de la profondeur qui les suivirent encore plus épais que ceux qui travaillent de l’autre côté de la surface.

 

5 Septembre 2000 Si le général Koutouzov (Michel Hilarionovitch), né le 5[1] septembre 1745, s’arrêta à Borodino le 3 septembre 1812, ce ne fut pas pour préparer la fête de son soixante-septième anniversaire. Ce général qui, selon Tolstoï, « ne prenait aucune disposition et se contentait de donner ou non son consentement à ce qu’on lui proposait » avait décidé de protéger la ville sainte contre l’invasion des Européens commandés par le grand-petit Corse (1,686 m) qui, par contre, n’était pas du tout un mec à consentement. À titre d’exemple, à Borodino il n’adopta pas le plan de Davout, considéré comme meilleur par tous les experts de matière militaire, car « il était incongru d’avoir des idées personnelles en présence de l’Empereur » (Dictionnaire Napoléon). Koutouzov et Napoléon, modeste l’un et mégalomane l’autre ? Vraisemblablement. D’un côté l’homme paisible, de l’autre l’ombrageux. Y a du vrai.

« Les forces de douze peuples d’Europe se sont ruées sur la Russie » (Tolstoï). Déjà. Encore.

Napoléon : « La campagne de Russie coûta moins de 50 000 hommes à la France ». Le reste du prix avait été payé par l’Europe des régions : « Autrichiens, Prussiens, Saxons, Polonais, Bavarois, Wurtembergeois, Mecklenbourgeois, Espagnols, Italiens, Napolitains, (…) Genevois, Toscans, Romains », c’est toujours celui qui « passait pour petit (…) à cause de son chapeau qui ne pouvait soutenir la comparaison avec les plumets et panaches de ses officiers » qui écrit. Pas d’Anglais. Pas d’Allemands. Trop d’Allemands. Déjà. Encore.

 

6 Septembre 2000 Musée Guggenheim. L’agrandissement ou le rapetissement, le changement de type de matériel, le fait de le mettre là où on ne le voit pas d’habitude ou de le modifier pour le rendre abstrait donnent à un objet des allures qu’ on appelle, avec trop de désinvolture, artistiques. Comme les répétition ratées de Claus Oldenburg. Il y a aussi des réussites : le fer à repasser et la tasse de Man Ray.

 

Grâce à la technique moderne, l’œuvre d’art a gagné en cabotinage ce qu’elle a perdu en aura.

 

Les conséquences du fait qu’on regarde les tableaux avec les yeux, mais on les voit avec une théorie sont parfois assez désagréables. Les gens souvent n’apprécient pas les nouvelles œuvres car la théorie qu’ils possèdent a été trop usée par l’observation des vielles œuvres. Mais, paradoxalement il est impossible de bâtir une nouvelle théorie sans que l’œuvre d’art soit déjà là. Les œuvres nouvelles qui résistent aux violences des vieilles théories (donc les nouvelles « vraies » oeuvres d’art) sont la semence qui génère les nouvelles théories : à partir de ces œuvres un discours « organisé », « structuré », « qui se tient » est introduit. Mais un discours « structuré » par la raison, peut être tenu sur n’importe quoi et sa structure donne l’impression d’une grande vérité même quand il n’y a rien. Il plie la matière « vivante » des œuvres d’art (vivante même dans les natures mortes) à ses règles, tout comme il plie le caca métallisé des pseudo-artistes. Le discours théorique, surtout quand il devient un domaine du savoir et donc une profession, se rend autonome et ne parle plus que de soi-même. La raison qui croit pouvoir décrire avec un langage théorique (structuré) et donc « appauvri » ignore que la seule manière de parler de quelque chose est de laisser que ce quelque chose parle — qu’il soit art. Art qui parle et non parole sur l’art.

 

Art et conscience, même combat. Contre qui ? Contre ce qui est.

 

7 Septembre 2000 7 septembre 1812 : bataille de Borodino. La raison et les armes européennes gagnent contre l’âme et les armes russes. Quatre-vingt mille morts.

 

Borodino. Victoire à la Pyrrhus de Napoléon et ses Européens. L’âme armée des Russes va gagner la guerre[2].

 

Napoléon vu par Tolstoï : « Ce n’est pas seulement (…) en ce jour que furent obscurcis l’esprit et la conscience de cet homme (…) jamais jusqu’à la fin de sa vie, il ne parvint à comprendre ni le bien, ni le beau, ni le vrai (…) il calculait à vue d’œil le nombre de Russes par rapport aux français et que se leurrant lui-même, il trouvait des raison de se réjouir en constant qu’il en avait cinq pour un. » Et pourtant quand il participa au concours de l’Académie de Lyon de 1791, il semblait y tenir, au bonheur (des autres) : « Quelles vérités et quels sentiments importe-t-il le plus d’inculquer aux hommes pour leur bonheur ? » Que le hic soit dans inculquer? ou dans bonheur ?

 

8 Septembre 2000 Recette.

 

Tyran domestique

Pour 0 personne

Préparation 12 ans, cuisson 40 ans.

 

Ingrédients :

·           un homme âgé entre vingt-deux et vingt-quatre ans et la femme de vingt ans.

·           un petit village de la Valtellina ou de la vallée du Kerulen. Si vous trouvez les habitants des Alpes et de la Mongolie trop acides allez dans la vallée de Santo Tomás (Pérou) ou de l’Ourika (Maroc).

·           Un milieu paysan qui commence à être lézardé par l’industrie et le tourisme.

 

Préparation :

1.                     Choisissez un homme et une femme intelligents et généreux, La femme plus ambitieuse que l’homme, par contre l’homme plus fêtard.

2.                     Parez et bridez la femme.

3.                     Huilez le moule à gamins et faites tremper l’homme pendant quinze minutes.

4.                     Faites travailler durement la femme pendant huit mois,

5.                     Sortez l’enfant, badigeonnez-le et accrochez-le aux seins pendant six mois,

6.                     Protégez-le contre tous et toutes pendant trois ans.

7.                     Versez dans la petite tête amour et rigidité. Mélangez et pétrissez 2 ou 3 ans

8.                     Ramassez la pâte et distribuez-la sur toute la surface de l’esprit (veillez à qu’il n’y ait pas de zones découvertes)

9.                     Badigeonnez avec de l’ambition de jeunesse que vous aurez eu soin de baigner dans une sauce d’orgueil.

10.                 Faites fondre l’écriture dans son esprit avant de l’envoyer à l’école.

11.                 Habillez-le comme un petit homme pour qu’il ne se mélange pas trop avec les autres enfants.

12.                 Après l’avoir fouetté, frappez-le quotidiennement pour rendre la croûte bien ferme et imperméable.

13.                 Envoyez-le tous les matins à cinq heures à la messe et faites-le viser la papauté.

14.                 Ne le badigeonnez plus après trois ans surtout si vous l’aimez avec une sexualité aiguisée.

15.                 Faites-le travailler durement en lui disant que ce n’est jamais assez. Saupoudrez-le de compliments indirects.

16.                 Faites réduire l’importance de l’argent.

17.                 Pochez un œuf de solitude. Faites une incision assez large dans la croûte. Décalottez-la. Retirez le maximum de grains de paisibilité, déposez l’œuf au centre de l’âme et refermez délicatement.

18.                 Débridez-le.

19.                 Déposez-le dans des assiettes de clous nappez de cyprine et poudrez avec du rouge à lèvres.

20.                 Pauvrez-le et servez de préférence saignant

 

9 Septembre 2000  Choix pour la couverture de Conjonctures sur le Copyright : un cerveau ou un cul. Un cul d’homme ou un cerveau de veau. Faux choix, les deux sont mâles.

 

10 Septembre 2000 « La communauté c’est tout le monde. Enseigner à des étudiants qui ont une déficience motrice, auditive, visuelle » : titre d’un pamphlet distribué à tous les professeurs de l’Université du Québec à Montréal. Ils ont oublié les déficients qui sont le fondement et la raison d’être des universités : les déficients intellectuels.

 

Ils ont douze et sept ans. L’un vient de Bordeaux et l’autre de Montréal. C’est la première fois qu’ils visitent New York. Ils sont très orgueilleux de leur casquette qu’ils portent avec la visière en arrière. Un petit new-yorkais les toise. Quoi ! ils ne savent pas que la visière se porte sur le côté ! Comme le célèbre bicorne. Les grenadiers le portaient avec les ailes perpendiculaires aux épaules et Napoléon comme le petit new-yorkais.

 

 



[1] Le 16 selon le calendrier russe du XVIIIe siècle.

[2]  Si quatre-vingt mille morts ce n’était pas sacré, j’aurais fait un jeu de mots : l’âme armée des Russes gagnera contre l’arme amé européenne. Pour ceux qui ignorent  le terme Amé : Adj. Aimé (terme utilisé autrefois dans la chancellerie). Féal* et amé.