16 avril 2001. Couillons. Ils se préparent pour contester le Sommet des Amériques et ils se font infiltrer. Dans des déclarations aux journaux, ils pestent contre la méchante police qui les a eus. Au lieu de pleurnicher comme des vielles tantes ils feraient bien mieux de remercier la police pour les avoir déniaisés.

 

17 avril 2001. Rothschild. Je ne me souviens pas quand j’ai vu pour la première fois le nom « Rothschild » mais, ce dont je me rappelle, c’est que sa graphie complexe et sa pauvreté de voyelles m’avaient énormément intrigué. Ma petite tête — petite surtout en termes d’âge et de circonférence, je l’espère — a donc commencé à nourrir une forte curiosité pour ce qui devait se cacher derrière ce nom si insolite qui échappait à toutes mes tentatives de prononciation. Un jour, en feuilletant un journal, j’ai su qu’il s’agissait d’une famille juive qui avait bien du foin au râtelier et, bien d’années plus tard, j’ai su que la branche française avait aussi bien des bouteilles au cellier, et pas n’importe quelles bouteilles ! Des bouteilles remplies de bordeaux de leurs vignobles avec une étiquette blanche —  j’en étais sûr ! sur laquelle, en bas d’un château, en tout petits caractères, on pouvait lire : « Château Rothschild »[1] Je m’empressai d’aller chez un célèbre marchand de vin de Milan :

    Avez-vous du Château Rothschild ?

    Certainement. Quel millésime, monsieur ?

    Beee… je ne…

    Avez-vous une année particulière en tête, monsieur ?

     Mille neuf cent cinquante neuf.

     Attendez-moi un instant, monsieur

J’attendis et découvris que ce château n’était pas à la portée du portefeuille d’un étudiant fauché comme moi. Des années se sont écoulées, j’ai vu d’autres noms étranges, je me suis même accoutumé à Swahborski et Nietzsche, mais Rotshchild continue à garder sa place privilégiée. Je n’ai donc pas été surpris quand, en lisant dans le livre de Derek Denton L’émergence de la conscience que Charles Rothschild « avait rassemblé une collection de trente mille spécimens de puces » et que Walter Rothschild avait une collection de deux millions de papillons et deux cent mille œufs, je me suis emballé comme le moteur d’une vielle Lada. J’avais bien raison : Rothschild est étrange ! Ces manies des Rothschild me replongèrent dans le règne des mots-vivants, dans l’enfance, où, si un mot est étrange c’est parce que ce qu’il signifie l’est. Si l’on pense à la fascination que l’excentrique et le lointain peuvent exercer sur une petite tête bien dressée, il n’y a rien d’étrange dans le fait que tous les mots étranges soient aussi étrangers.

 

Miriam Rothschid. Miriam Rothschid, fille de Charles, est une vieille dame anglaise très digne et comme toutes les dames anglaises très dignes elle aime beaucoup les animaux. Dans sa résidence (qui ne doit pas être un petit appartement dans un quartier populaire de Londres) elle a plein d’animaux domestiques ou domestiqués. Quoi de plus normal, pour la plus grande experte au monde en mécanismes de saut des puces (une autre confirmation que des Rothschild ne font pas des Dupont), que de préparer, pour ces petites bestioles, les terrains d’entraînement les plus variés ? Voilà donc qu’elle ne s’arrête pas, comme une Tremblay quelconque, aux chiens ou aux chats mais elle a des chevaux, des pies, des perroquets, des canards, des renards, des hiboux… Mais, si on a des chiens pour faire sauter des puces, on affectionne plus les chiens que les puces[2] et à partir de là on peut se mettre à réfléchir à la différence entre les animaux et peut-être même à la différence entre les animaux et les humains. Et comme nous dit Mme Rothschild : « [Les vieux] ne pensent plus en images, mais en mots. [Avec l’âge] la capacité à tout coupler en un éclair disparaît [les animaux] peuvent, mieux que nous, tout synthétiser, faire les choses en un clin d’œil. » Donc, en vieillissant, on ne devient pas nécessairement des bêtes !

 

18 avril 2001.Bateau 1. Le navire-hôpital de l’humanité avance, depuis des millénaires, dans l’océan du langage insensible aux changements de pilotes ou d’équipages et, surtout, indifférent à l’équipe médicale.

 

Bateau I1. Des lentes maries-salopes déchargent au large notre vase.

 

Bateau II1. Les machines à laver ont fait disparaître les bateaux-lavoirs et, avec eux, le mal au dos des femmes courbées sur le linge sale de la famille.

 

Bateau IV. La technique nous a menés en bateau : le mal au dos a repris sa place devant les ordinateurs sans que les croupes felliniennes des lavoirs aient retrouvé leur place.

 

Bateau V. Pourquoi n’entend-on jamais parler de naufrage de pinardiers ?

 

19 avril 2001. Dogmatiques. Dans l’antiquité les médecins qui disséquaient les corps d’hommes vivants s’appelaient dogmatiques. Il faut ajouter, à défense de ces dogmatiques, qu’ils ne prenaient que des criminels !

 

In electricitate veritas. Un neurochirurgien américain s’est amusé à stimuler électriquement le cerveau (après avoir ouvert la boîte crânienne) et la stimulation « de l’aire septale faisait naître des sensations de plaisir, de vigilance et de tiédeur, accompagnées d’une vive excitation sexuelle. De surcroît, la répétition de cette procédure, dix jours durant, conduisit le sujet, jusque-là exclusivement homosexuel, à une réorientation hétérosexuelle, suivie plus tard par un passage à l’acte. » Ça fait penser. Penser aux perversions (des médecins), à la psychanalyse (l’homosexualité masculine comme une défense du surmoi, de l’ordre et de la loi, contre le désordre féminin ?), à la technique (pourquoi pas un petit machin dans le cerveau qui stimule en profondeur), à l’amour (l’amour peut-il exister sans un courant électrique induit dans l’aire septale ?), aux rapports entre végétaux et humains (« septal » fait référence aux cloisons de l’ovaire en botanique, et à une aire du cerveau dans les humains), à la vérité (est-ce qu’on est ce qu’on est, avant la stimulation ou après ?).

 

20 avril 2001 Gros gars bête. Il y a des gros gars bêtes qui deviennent policiers. Il y a des gros gars bêtes qui entrent dans la mafia. Il y a des gros gars bêtes qui flânent sur la rue Saint-Laurent. Il y a des gros gars bêtes qui devisent de tout et de rien. Il y a des gros gars bêtes qui dirigent des pays. Tous ces gros gars bêtes ont-ils choisi d’être des gros gars bêtes ? Certainement pas. Et alors ? Et alors on peut les mépriser et faire partie de la bande des petits gars cons ou se dire que s’il n’y avait pas de gros gars bêtes il faudrait les inventer pour ne pas devenir, à notre tour, de gros gars bêtes.

 

Dans la foulée. Quand on se targue de réfléchir, il faudrait arrêter les mouvements les plus naturels, ceux qui viennent du cœur, car les mouvements qui viennent du cœur ne viennent que de la vanité et du désir d’unicité.

 

21 avril 2001. Rome. Il y a 2754 ans, sur une péninsule de la Méditerrannée, à quelques kilomètres de la mer, un jeune homme fratricide, fonda une ville qui, pendant quelques siècles, put se définir caput mundi[3] sans risquer d’être gaussée.

 

Caton. Quelques siècles plus tard, Caton, le grand réactionnaire, courait sur le haricot des Romains avec l’éternelle histoire de la perte des traditions. Je ne suis pas certain que les valeurs traditionnelles de ce troupeau de rudes paysans qui commençait à dominer la Méditerranée étaient bien meilleures que celles des Grecs efféminés.

 

Luther. Il y a 484 ans, un Allemand borné comme un Taliban, beuglait contre la ville éternelle et son pape, pas très catholique sur les bords. Si on m’obligeait à choisir entre la débauche romaine et l’obtusion luthérienne, je m’envolerais vers Rome.

 

Padania. Aujourd’hui des descendants des inventeurs des pantalons, bien établis dans la vallée du Pô, crachent sur la paresseuse capitale italienne. Entre la paresse romaine et la bêtise nordique, je n’ai pas de doutes.

 

22 avril 2001. Québec. J’en ai tellement ras le cul des Sornettes des Amériques que même l’idée d’en parler indirectement me donne mal au cœur. Mais les journalistes ont réussi à proférer tellement d’âneries — et ils savent le faire avec un tel mépris de la langue et de l’intelligence des spectateurs — que, si je ne veux pas risquer un ulcus, je doit désobéir au « motus ! » que les plus sages de mes neurones m’envoient.

 

Donc.

 

Donc, quelques centaines de jeunes violents n’ont pas respecté les règles de la démocratie et quelques centaines de policiers violents ont respecté les règles de la démocratie. Tout est parfait. Tout est comme on s’y attendait : le grand réalisateur ne s’est pas écarté du scénario. Ce qui est bien, pour ceux qui ne veulent pas des nouveautés coûte que coûte. Mais je crois que le tout est encore mieux qu’on ne le pense. Ces jeunes violents sont l’expression plus belle, plus propre, plus intelligente d’une jeunesse qui veut un autre monde : un monde vivable aussi pour les non chanceux, pour les gros gars bêtes aussi — éventuellement. Qu’importe si une partie de ces jeunes s’intégrera et deviendra encore plus réactionnaire que ceux qu’elle conteste[4] ? Même si certains d’entre eux deviendront des tranquilles médecins avec piscine à Brossard, qu’importe ? Le fait que certains, un jour, cheveux gris et muscles pendouillants, continueront à deviser de révolution dans leur salon, qu’importe ? Il y aura même ceux qui continueront à se piquer et tomberont dans les bras de la vieille vache avant trente ans, mais qu’importe ? Si certains se ferment dans un mutisme animal, qu’importe ? Ce qui importe c’est que des forces vitales cherchent un espace, que de nouvelles vies mettent à l’épreuve les injustices que les générations précédentes ont su bâtir avec une telle perfection. Que des têtes ne soient pas prises dans un réseau byzantin de distinguos fades, que des corps n’aient pas peur de crier, de courir, de vivre et d’être injustes par esprit de justice : voilà ce qui pourrait mettre un peu d’espoir dans toutes ces têtes sages qui nagent dans les nuances parce qu’elles savent. Ce qu’ils ne semblent pas savoir, ces savants, c’est qu’il existe un monde hors des livres, du cinéma, de la télé, etc. où ce sont ceux qui ne savent pas qui savent.

 



[1] Les vignobles Mouton furent achetés en 1853.

[2] À ce propos, il y a certainement un tas d’explications très savantes. Mais, même si je n’ai pas trop réfléchi à ce problème, je crois ne pas me tromper en disant que les humains trouvent que les puces sont trop agitées et trop laides. Avez-vous déjà vu des puces agrandies ?

[3] Le centre de la civilisation.

[4] Comme des Roch Denis quelconques.