12 février 2001. Aïe ! Il y a des vérités qu’on
dévoile devant ses amis et d’autres qu’on revêt de soie avant de les montrer.
Parfois on dénude les vieilles vérités avachies et on drape celles qui sont
flexueuses et cordiales : erreur, cruauté, ou amour ? De tout,
un peu. Pour diminuer les
erreurs, les personnes sensibles privilégient les drapages, c’est pratiquement
leur marque de commerce. « Sait-on vraiment ? », qu’elles
disent, ces maîtresses dans l’art d’épargner les amis. Mais la sensibilité, en
amitié, ne va pas sans problèmes : il n’est pas rare de voir des personnes sensibles s’étonner que
leurs amis trop « épargnés » se rebellent et les accusent de
paternalisme ou de mépris. Le compromis entre drapage et dénudement est un art
diablement complexe qui ne relève pas seulement de l’amour, de l’intelligence
et de la sensibilité, il dépend aussi du type de vérité qu’on croit avoir entre
les mains. On ne drape pas de la même manière une vérité politique ou
littéraire ou scientifique ou un mensonge moral. Imaginez : vous pensez
que Mussolini est une merde et votre ami estime qu’il est un grand homme ?
Que faire ? Comment en parler ? « Inutile d’en parler »,
disent les dogmatiques qui croient que les amis doivent partager la même vision
du monde et qui ne se sont jamais aperçus que le meilleur terreau pour l’amitié
est celui des différences politiques. Dans ce cas, ma foi bien simple, il
suffirait de draper la vérité politique et de dénuder le désir de changer le
monde, la curiosité, le mépris pour les « contents-de-soi » — ce qui
était jadis l’esprit bourgeois — et la mésestime pour les
« plaignards-sans-génie » — ou esprit petit bourgeois. Il est fort
probable que la vérité politique, quand on n’est pas en guerre, a tout intérêt
à être drapée entre amis et dénudée devant les autres. Mais il y a d’autres
vérités plus ancrées dans la chair, des vérités qui s’implantent dans le corps
et sur lesquelles on n’a aucun contrôle. Des vérités qui renversent les rôles
et nous drapent ou nous dénudent au lieu d’être elles-mêmes drapées ou
dénudées. Des vérités masculines. Comme les jugements littéraires. Vous aimez à
la folie l’auteur X que votre ami trouve moche ? Aïe !
13 février 2001. Soupçon. Que Marx, Nietzsche et Freud
soient les philosophes du soupçon fait partie du prêt-à-porter de tous ceux qui
ont un tant soit peu fréquenté les salles de classe ou les librairies. On dit
qu’ils nous ont enlevé l’illusion que l’évidence est vraie, qu’ils nous ont
enseigné à « chercher derrière » et à ne pas avoir confiance en ce qui
apparaît clair. Ils nous ont fait comprendre que, si on voulait avoir une
certaine certitude, il fallait ne pas croire aux sornettes que les gens de
pouvoir débitent (ou qu’ils font débiter) et que, au moins pour deux d’entre
eux — Marx et Freud —, il suffisait de suivre leurs méthodes et leurs idées
pour trouver de nouvelles évidences. Ce qu’on oublie souvent c’est que le
soupçon avait été magnifié comme élément de connaissance par les hommes de
science, bien avant la trinité moderne. Que fit Galilée, sinon soupçonner des
théories d’Aristote ? Mais les vrais grands « soupçonneurs »
sont les mathématiciens et, parmi eux, les géomètres excellent dans l’art de
douter : pour penser que, par un point extérieur à une droite, on peut
avoir plus qu’une parallèle ou même aucune, il faut vraiment avoir l’esprit
plus méfiant qu’un policier, un juge ou un mari ! On peut bien critiquer
la science et dire qu’elle érige de nouveaux dogmes, on ne peut passer sous
silence que tous ses « dogmes » sont relatifs. La science, en cela,
est post-moderne. Même trop. Qu’après la technique bâtisse des structures
pratiquement inamovibles, c’est une autre histoire. C’est une histoire
d’économie. De modernité.
14 février 2001. Saint Valentin. J’avais toujours cru que le massacre de la saint Valentin, qui eut
lieu à Chicago le 14 février 1929, avait été une bataille de la guerre
italo-irlandaise pour le contrôle du marché de l’alcool et que Al Capone en
avait été le grand stratège. Eh bien ! non. Même si les retombées vont à
Capone, c’est Mc Gurn (qui, à mon avis, n’a pas un nom tout à fait sicilien)
qui prépare le piège où sept contrebandiers trouveront la mort. Quatre hommes,
deux Italiens et deux Irlandais (ces Irlandais ne sont jamais
solidaires !), habillés en policiers, à 10 :30, fusillent sept
Irlandais venus chercher du whisky de bonne qualité dans un garage. Dans les
affaires de pègre et de politique, si on oublie le fond, les choses sont
toujours plus complexes qu’on ne le pense. Ça ne m’étonnerait pas, par exemple,
que les Kennedy aient été impliqués d’une manière ou d’une autre. Ça, c’est du
passé et le passé n’est pas bon pédagogue, comme on dit. Prenez Bush et Powell,
par exemple. Que font-ils ? Soixante-douze ans après, ils jouent à Al
Capone et Mc Gurn. Mais, contrairement à Capone qui eut la classe de ne pas se
vanter du massacre — Moi ? J’étais en Floride ! Une gaupe m’a même
donné la syphilis. Je n’en sais rien. Je suis un homme d’honneur, moi —, Bush
s’est vanté de l’attaque contre l’Irak. Il avait l’alibi du Mexique mais il ne
l’a pas exploité. À moins que sa fille et son père, le couple diabolique bon à
vendre vache foireuse, ne lui aient mis en tête une de ces idées… « Faites
attention Mexicains ! On peut frapper même sans le vavasseur Blair, on
peut frapper même ici… »
15 février 2001. Normal. Je comprends très bien qu’elle
ne veuille plus me parler de ses aventures. Je n’aurais jamais dû lui dire
qu’elle n’était pas normale quand elle m’a raconté son aventure avec le fils de
Sylvie. Il est vrai qu’il a seulement seize ans et elle cinquante-quatre. Mais…
je continue à ressasser cette histoire… et si c’était normal ?
Qu’est-ce que « normal »? Est-ce
normal de se faire prendre sur le lavabo par le menuisier, dans les escaliers
par le plombier ou de se calfeutrer avec des concombres, des poireaux, des
manches à balais, des saucisses ou des boudins ? et le manche d’une
hache ? et se masturber assise sur la laveuse qui vibre ? et
s’asperger le ventre pour le faire lécher au chat ? est-ce normal d’emprisonner
le chien entre ses cuisses pour qu’il frotte le bouton, de gober le merlan dans
le stationnement de Place des Arts ou de se faire foutre en aisselle dans une
réunion syndicale ? et, s’enfiler un œuf, une bouteille de Coke, de
shampooing ou de parfum ? et foutre en tétons dans les toilettes du MOMA
ou se faire taquiner le bouton au Metropolitan? normal de lui sucer les
ballottes au parc Jarry, jouer de la petite flûte dans un camion ou user des
doigts sur un inconnu dans l’avion ? tout cela est-ce normal ? est-ce
normal de se trémousser sur une chaire à l’UdM, tendre sa rosette dans le stade
olympique, tacher sa jupe dans la station Crémazie, céder de guerre lasse dans
le lit de votre copine ou se faire harponner sur votre perron ? et faire
les yeux blancs dans un cinéma ou le postillon en attendant le psy ? et
quoi dire si, assise entre votre mère et un ami, dans un taxi, vous le faites
arroser ? Tout cela est-ce normal ? comme de laisser ses culottes
crottées sur une chaise des Petites Halles, de s’enfiler un
cierge dans un confessionnal, de baiser sur un toit enneigé, dans les toilettes
de la Baie, dans l’autobus Voyageur, dans l’ascenseur (bloqué) de la Place
Ville Marie, dans le stationnement du Carré Philips, sur l’ escalier de
l’oratoire St. Joseph ? et se faire trousser dans des salles de cinéma ou
caresser les seins dans un salon mortuaire et le con dans une réunion de la
garderie ? Faire le tire-bouchon américain chez Gallimard, se faire
seringuer dans la librairie du Square ? et les pattes d’araignée dans les
couloirs de l’Hôtel Dieu ? et se faire foutre en artilleur dans une ruelle
ou ouvrir ses draps dans le métro bondé, est-ce normal ? est-ce normal de
lui pisser dans la bouche ou de cracher son sperme dans le risotto? Et lui
faire voir la feuille à l’envers dans un parc plein d’enfants criards ? se
faire cracher dans les broussailles à Radio Can, normal ? Normal d’arroser les
poils et faire lécher le chat, normal ? et lui faire une pipe en attendant la 51 ou faire
la diligence de Lyon sur l’express pour Toronto ? se faire gamahucher au
bureau des impôts ou le faire en levrette dans une expo ou faire la crapaudine
sur le divan du psy, normal ? Normal ? Est-ce normal, tout ça ?
Ça doit être normal. Je suis bien une femme normale, n’est-ce pas ?
16 février 2001. ISO 9000. Vous avez sûrement déjà vu de la publicité
d’entreprises qui se définissent ISO 9000. Cela veut dire que leurs
produits ou services ont un niveau de qualité jugé correct. Dans une des leurs
normes de la série 9000, les bureaucrates d’ISO présentent les arguments qui
font le succès d’une compagnie et le dernier est « [les produits] sont
fournis à un coût qui donne un profit. » Faut il s’étonner que dans une
norme pour la qualité on souligne le profit ? D’un certain point de vue
oui, de l’autre non.
ADN congolais. Des tests d’ADN sont demandés pour s’assurer
que Joseph est le fils de Kabila. Et une fois qu’on sera sûrs ?
ADN israélien. Si Jésus était né quelque deux mille ans plus
tard il aurait pu passer un test d’ADN. Et si Dieu était sans gènes ?
Génome humain. On s’étonne que le génome humain ne soit pas
beaucoup plus complexe que celui des vers. Pourquoi ?
Génome divin. Il est probable que le génome de Dieu ne soit
pas plus complexe que celui des hommes. Et s’il était exactement le même ?
17 février 2001. Défenses. J’ignorais que Sartre avait
défini Foucault comme étant « le dernier rempart de la bourgeoisie[1] ».
Seul. Je me suis toujours vanté d’avoir été
léniniste et d’avoir couru dans les manifs avec Zarathoustra dans ma poche et
quand je lis que Foucault se définissait comme un communiste-nietzschéen je ne
suis pas content. Mieux vaut être seul qu’en bonne compagnie ?
Recherche. Freud, le Newton du système parental, chercha
inutilement le périastre des enfants.
18 février 2001 Parler de sexe. « J’en ai marre d’entendre les hommes parler de l’orgasme des femmes. Qu’ils parlent du leur ! On n’a rien à foutre de leurs vérités surtout qu’elles cachent si mal leurs désirs. » Je dois admettre qu’en me disant cela elle m’a cloué le bec. Moi qui cite toujours une très belle scène du film Malcom X où à une blondinette qui lui demande ce qu’elle peut faire pour la « cause » Malcom X répond « Rien », moi qui crois que le clivage entre les sexes est bien plus grand que celui entre les races, comment pouvais-je ne pas me taire ? Et je me suis tu. Je me suis tu, mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser. Et voilà donc mes pensées brutes qui valent ce qu’elles valent, mais qui me chatouillent tellement les neurones que je ne peux pas ne pas les décharger sur l’écran : « Parler de sa sexualité n’est pas intéressant sinon pour des études médicales ou pour des psy ou des policiers je veux dire en parler sans le drapage de la littérature c’est un peu de la bouillie pour les chats mais parler de la sexualité des autres c’est différent des autres je veux dire des femmes pour un homme aux femmes ou des hommes pour une femme aux hommes bien sûr il faut avoir connu plus qu’une femme on peut trouver des dénominateurs communs on peut comprendre des choses qui nous échappent dans notre propre sexualité on est porté à la croire unique notre sexualité ou même si on ne la croit pas unique si on n’a pas eu des rapports avec des hommes on doit se fier à leurs paroles donc elle devient théorique peut-être que la poésie a été inventée pour rendre les paroles sur le sexe moins rasantes c’est là où le saut entre la parole et l’acte est le plus grand un homme qui a vu plusieurs femmes jouir ou ne pas jouir peut dire peut-être qu’il ne doit pas le dire mais il peut il a les éléments pour dire où sont les différences et les similitudes là aussi il y a des similitudes là surtout le problème c’est que les hommes ont toujours parlé de l’orgasme des femmes dans leurs intérêts moi aussi probablement mais alors alors c’est aux femmes de savoir si elles se retrouvent les choses plus justes sur la sexualité des hommes je les ai entendues de la bouche des femmes et pourquoi le contraire ne pourrait pas être vrai si les hommes sont un tant soit peu honnêtes ou les personnes d’un sexe parlent de celle de l’autre ou il faut s’en tenir aux poèmes ce qui ne serait pas une mauvaise idée mais les poèmes peuvent aussi aider à continuer à garder le statu quo ce qui pour les femmes merde je parle encore en leur nom n’est pas la meilleure solution c’est un bordel tout est tellement simple qu’on s’y noie »
[1] Je traduis de l’italien et donc je ne suis pas sûr que l’aller-retour français-italien-français nous ait donné la même phrase.