19 février 2001. Père et fille.
—
Rendez-vous
à midi, devant ta maison.
—
Tu
m’emmerdes ! Ce n’est pas ma maison.
—
Rendez-vous
quand-même.
Albert et Michel vont visiter la cathédrale. Elle s’en va vers le fleuve, triste. Plus triste que ce gris Adour qu’elle longe sans regarder. Ça fait presque quarante-quatre ans. Et c’est comme si c’était hier : « Ces petits fils à papa sont en grève. Pas besoin d’aller à l’école. On s’en va à Bayonne. » Il faisait exprès pour l’emmerder. Non seulement il l’empêchait d’aller à la manif, mais elle devait l’accompagner à Bayonne, en jaguar, pour signer le contrat d’achat d’un immeuble.
—
Moi
aussi je suis une fille à papa !
—
Oui.
T’es la fille de ton papa !
En voiture elle n’avait pas dit un mot. Seuls
quelques grognements en réponse à ses taquineries. Maintenant qu’il était mort
depuis bientôt vingt ans, elle regrettait d’avoir donné plus d’importance à la
« fille à papa » qu’à « la fille de son papa ». Elle
s’arrêta prendre un express au Café du théâtre. Voilà la France qu’elle
n’aimait pas. C’était toujours quand elle s’asseyait à la terrasse d’un café
qu’elle voyait clairement pourquoi elle était partie : cette façon de se
prendre au sérieux même en buvant un Perrier lui donnait envie de vomir.
« Lui, il ne se prenait pas au sérieux, mais j’ai tout mélangé. Je n’avais
pas de jugeotte. Pourquoi ça fait mal, après ? » Ça fait toujours
mal, après. Elle prit une copie du Sud-Ouest et jeta un coup d’œil à la
page culturelle
Sur Bayonne et sur
sa balade dans les Pyrénées
L’auteur de Pères et fils, l’ami de Flaubert et
Tolstoï, visita Bayonne en 1845…
« Pourquoi n’écris-je pas sur père et
fille, pour me faire pardonner ? Un peu. Pour lui faire comprendre que mon
conflit avec lui était surtout un conflit politique et de génération. Comme
dans Pères et fils. Ça doit être parce que j’ai peur. Peur de ce que je
pourrais dire sur ma mère. Là ce n’est pas un conflit de génération. Midi moins
dix. Allons les attendre. Ils seront en retard, comme d’habitude. »
20 février 2001 Ascenseur. Quoi de plus triste pour un
intellectuel que de passer aux étages supérieurs dans l’ascenseur des lieux
communs ? Passer aux étages supérieurs dans l’ascenseur des lieux communs
et ne pas le savoir. Quoi de plus triste encore ? Passer aux étages
supérieurs dans l’ascenseur des lieux communs et croire qu’on a pris les
escaliers. Et plus triste encore ? Passer aux étages supérieurs dans
l’ascenseur des lieux communs et penser qu’on a construit l’ascenseur.
Même. Est-ce important de savoir que Jean est le
fils de Sylvie ? Pas pour les amis de Jean. Sans doute pour son
psychanalyste. Est-ce important de savoir que ce roman a été écrit par
Françoise ? Pas pour les lecteurs. Sans doute pour les critiques
littéraires. Critiques littéraires et psychanalystes même quête des origines,
même parasitisme psychologique.
21 février 2001 Chemise et aubergiste sales. Yankel, un
schnorer[1], se
réchauffe dans l’auberge de Haïm, un riche avare qui a bien voulu lui permettre
de s’asseoir à côté de la cheminée mais qui n’a aucune intention de lui donner
à manger. Le parfum du yokh[2]
est si bon… si intense et Yankel a si faim qu’il ne peut se retenir de demander
à Haïm si… Mais l’aubergiste joue au malin : « Non, ce n’est pas du
yokh qui cuit, là… c’est une marmite avec quelques chemises ». Et alors
Yankel fait la seul chose qu’un pauvre, marqué par un fatalisme et un
persiflage millénaires, puisse faire : « Il enleva sa chemise […] et,
devant Haïm médusé, il la jeta dans le yokh fumant et parfumé. » Je
donnerais ma chemise pour pouvoir agir comme Yankel, quand ils se croient
malins à Télé-Québec.
22 février 2001 Médecins sans frontières. Les médecins de l’Afrique du Sud s’en vont dans
des pays où la vie est plus facile — au Canada il y en a 1 500. J’imagine
qu’ils sont tous des Blancs, comme le docteur Vogel, en Alberta, qui raconte
des jokes en afrikaans et qui dit : « Vous devez créer un
environnement où les gens se sentent en sécurité, où ils peuvent se réaliser et
prospérer ». Vous qui ? Les noirs ? ceux qui ont pu
« prospérer » sous la matraque des blancs ? Et les Vogel ont le
courage de parler et nous avons la lâcheté de les laisser parler.
Jeunes avec frontières. Ça va mal quand la jeunesse d’un
Parti, avec des origines plus ou moins socialistes, cite Charles Maurras. Mais
ça fait encore plus mal quand ils pensent démontrer qu’ils ne sont pas
fascistes et disent que : « […] l’ultime idée qui prime, c’est
l’indépendance de la patrie. » Patrie ? De peuple à patrie
le glissement n’est pas indolore. Si le peuple est vide, la patrie est pleine
de… merde.
Hommes politiques sans frontières. Rien d’étonnant dans le fait que
Bouchard passe d’un parti à un autre ou que des marxistes-léninistes comme
Duceppe deviennent les chefs d’un parti nationaliste. Mussolini, avant de
fonder le parti fasciste, était bien socialiste.
Aide sans frontières. Suite à la poursuite contre IBM
pour aide technologique aux Nazis, je propose des procès pour aide idéologique
(Nietzsche), aide culturelle (Gallimard), aide spirituelle (Pie XII), aide
politique (Poutine en tant que descendant de Staline), aide démocratique (le
peuple allemand). Et, afin qu’il soit clair que le nazisme est en nous tous,
auto-poursuivons-nous !
23 février 2001. Biaiser. Elle était trop directe,
impossible de biaiser avec elle.
Forage 1. Pour ceux qui ne le savent pas, les foreurs
et les foreuses sont des spécialistes des forages. Quoi penser du fait qu’en
Abitibi on cherche des conducteurs de foreuses et pas des conductrices de
foreurs ? Que la parité entre les sexes est encore loin ? Entre
autre.
Forage II. Terminaux du bureau de l’emploi, en date du 23
février : en Abitibi il existe 70 foreurs et 0 foreuses pour un total de
65 spécialistes des forages. Où se sont-ils fourrés les cinq foreurs qui
manquent à l’appel ? Dans une foreuse ?
Plein. Le top model Carolyn Murphy a posé
enceinte pour Vogue. Elle est de profil, habillée d’un collier, de
boucles d’oreilles, de bracelets, d’une bague et d’une paire de souliers. Le
ventre est beau ! Quand il est plein.
24 février 2001. Neiges éternelles. Ils disent que les
changements climatiques risquent de faire disparaître les neiges du
Kilimandjaro. Impossible. Hemingway les a rendues éternelles.
25 février 2001. Danseurs nus. Trois danseurs et une danseuse. Vrais. Amour, acide et noix, de Daniel Léveillée, à l’Agora de la danse. Quand ils entrent en scène on est frappé surtout par les trois morceaux de viande pendouillants qui semblent être liés à la reproduction, mais on les oublie assez vite. Une danse racée, forte, avec seules quelques concessions à un auditoire gay qui regarde médusé ces corps vriller dans le vide entre deux positions statuaires. Ils montrent souvent leur cul (même leur trou) mais sans vulgarité et encore plus souvent ils se figent dans une position accroupie, comme s’ils chiaient, mais, là aussi, sans vulgarité. Difficile de penser à une danse avec des danseurs nus sans tomber dans la provocation facile, l’érotisme de bas étage ou une porno dure. Et pourtant Lévéillée et son groupe réussissent à garder un très bel équilibre. Pas difficile d’imaginer que ce spectacle donnera des idées à d’autres groupes et qu’on en verra des belles dans les prochains mois. Un seul point dérangeant : trop souvent les positions fixes semblaient être calquées sur des photos naturistes nazies des années trente. Léveillé doit connaître les photos de Gerhard Riebicke.
En marge I. Et si la pénétration n’était pas une nécessité
biologique liée à la reproduction mais une simple nécessité esthétique ?
Celle de cacher un surplus ridicule.
En marge II. Cela ne fait aucun doute, les corps des hommes
et des femmes peuvent être beaux ou laids. Seuls ceux des hommes sont
ridicules,
En marge III. Les homos de la Grèce antique vivaient dans le
mépris des femmes. « Elles ne sont que des ventres à enfants ! »
Les homos modernes vivent dans la peur des femmes. « Elles vont nous
mettre dans leur ventre ! »