8 janvier 2001 Injection létale. Il a l’air de savoir de quoi il parle, lui qui, en compagnie de son frère, en 1991, tua, de manière pas tout à fait catholique, deux hommes et qui depuis huit ans vit dans le couloir de la mort d’un des pénitenciers les plus courtois des États Unis, celui de l’Arizona : « À toute personne condamnée à mort avant le 23 novembre 1992, il est offert le choix d’être exécuté par injection létale ou gaz létal. Les détenus condamnés à mort après le 23 novembre 1992, doivent être exécutés par une injection létale. » Robert Murray a été condamné le 26 octobre 1992 et il doit choisir même s’il est loin de croire que choisir est le signe d’une civilité quelconque. Choisir la méthode de son exécution est d’un si horrible mauvais goût que c’est imaginable seulement dans des peuplades qui se sont vues imposer les médias comme filtre dans tous les rapports publics. Selon les bonnes âmes qui ont introduit l’injection létale parce que « la mort par injection létale n’est pas douloureuse », il serait naturel que Murray la choisisse. Mais ce n’est pas la douleur du moment de la mort qui compte pour lui : « La douleur réside dans les années, le mois, les jours, les heures, les secondes, qui conduisent au moment de l’exécution. La douleur est dans le choix de sa propre méthode d’exécution. » Il n’y a pas d’exécutions humaines. L’homicide d’État symbolise l’inhumanité d’une humanité incapable de faire le moindre pas en avant. Aux âmes qui se croient sensibles, Murray montre qu’il n’y a pas de différence entre exécuter quelqu’un par injection létale ou en le jetant d’un avion : « Supposez qu’on me dit que le trois novembre, quelqu’un vient me prendre dans ma cellule, m’accompagne jusqu’à un avion et à trois heures, me jette de l’avion sans parachute. Après quelques minutes, mon corps frappera la terre et je serai mort. Une mort facile, instantanée, sans douleur (…) comme une injection létale. » La douleur c’est l’attente et de savoir qu’Elle sera donnée. Même si enveloppé et enrubanné de façon artistique, ce don-là est irrecevable. L’État devrait être là pour montrer que la mort ne se donne pas. Devrait. La douleur c’est de savoir que le train ne fera pas de détours, ou que, si détours il y a, ils sont comptés ; qu’une machine qui ne connaît ni hasard, ni pardon avance télécommandée par une folle abstraction — l’État — qui de la justice ne garde que le squelette sans vie.

 

Encore la comparaison de l’injection avec l’avion : « La peur de tomber pendant deux minutes n’est aucunement différente de la peur d’être lié sur une table (…) il y a la même attente avant l’exécution. »! Les âmes sensibles croient que l’injection est plus humaine ! Drôle de sensibilité, plus insensible que l’insensibilité ! Quand on sait des années à l’avance qu’un jour, dont l’éloignement ne dépend que des joutes oratoires d’avocaillons, un sale bourreau nous foutra sur un lit pour nous injecter une sale merde, mourir ce n’est pas comme s’endormir. Ceux que la vie condamne à mort peuvent mourir tranquillement dans le sommeil, ceux que l’État condamne non. Pour eux il n’y a pas de tranquillité. Il y a seulement la douleur du laps établi, l’odeur de la vengeance et la froide inhumanité de la compassion Étatique : « La mort par injection létale n’est pas douloureuse et le détenu s’endort (goes to sleep) avant les effets fatals du pavulon et du chloryde de potassium[1]. »

 

9 janvier 2001 Rois. Est-ce que le roi des cons est un con ? Pas nécessairement. Comme le roi des Polonais en 1573 n’étais pas un Polonais (le 15 mai 1573, le fils préféré de Catherine de Médicis, son « mignon », le futur Henry III de France, est proclamé roi de Pologne). Et le roi des pamplemousses ? Le roi des pamplemousses (Jean Daniel), parfois, n’est pas un pamplemousse : « Les religions (…) ont toutes le mot ‘amour’ à la bouche (…). Le mot ‘amour’ a des résonances alternatives de crime ou d’imposture. »

 

10 janvier 2001 roman est gravé sur la Blanche mastic du volume de la nrf, achevé d’imprimer par la Société Nouvelle Firmin-Didot à Mesnil-sur-L’Estrée, le 15 mars 2000 et portant le numéro d’imprimeur 50569 et le ISBN 2-07-075611. Nulle raison d’être là, pour ce roman, le volume étant une simple mise en prose des XLVII mouvements d’une pièce de Satie. Soulte payée aux caciques de la CGT dans la coda de la Grève de février — ainsi appelé en l’honneur de la plus célèbre Émancipation de février (février 1963), qui détablia force femmes aquitaines — ce roman. Soulte que paya Gallimard prudent et soucieux du Venienti occurrite morbo[2] de Perse. Né en 1617 à Paris et mort à Rome en 1667, l’eau-fortier Meaume dont « le sexe est encore gluant et bleu » des attritions dans les secrets de la fille de Jacobsz, par le fiancé de celle-ci a le visage défiguré.

Il a vingt-sept ans.

Il hurle.

Il l’aime.

Il lui écrit : « Mon cœur ne voit pas mon visage, le vôtre… »

Elle répond : « Nous ne nous reverrons plus. Nanni. »

Il est à Bruges, à Ravello, en Espagne, à Paris, à Rome. Excessive, l’ombre du chapeau de paille seules les cicatrices légères musse. Sujets d’une religion — la catholique — et de l’autre — l’érotisme — alternent leurs présences incolores sur les planches de via Giulia.

« Le jeune homme abandonne brusquement Meaume à demi égorgé (…). »

Le jeune homme dit au graveur qu’il vint à Rome chercher son père.

Un graveur. Il s’appelle Meaume.

Le connaissez-vous ?

Non.

Répondit Meaume.

Œdipe, fils sage et aveugle, tua son père. Meaume, père sans visage, eut le cou tranché par le fils de Nanni, jamais perdue, qui lui écrivit un jour d’il y a vingt-huit ans, après que son fiancé l’avait défiguré : « Nous ne nous reverrons plus. ».

Il a vingt-huit ans et un visage fort et beau comme le sien,

Comme Beaume.

 

Pascal Quignard, Terrasse à Rome, Gallimard 2000. Trop précieux et musical, par moments. Trop d’érudition, facile, dans bien des mouvements. Intriguant toujours. Profond, jamais. Littérature. (Adolphe Demonc, 6)

 

11 janvier 2001 Je rêve d’une informatique-traversier pour le passage du Nord-Ouest. Pour relier science et culture. Pourquoi ? Parce que je la connais, un peu. Mais surtout, parce que je connais ses exigences intellectuelles et logiques. Son allergie au n’importe quoi. Je la vois noyer les gens pas assez rigoureux dans le verbiage ou dans les débris de programmes inachevés. Parce que je connais la liberté de ses ancrages au monde, la poésie de ses inventions : elle est allergique à la raison desséchée. Je la vois brûler les gens pas assez inventifs dans l’enfer économique ou la servitude au passé.

 

12 janvier 2001 Exégèse, par une militante. Sur les avantages d’être une femme artiste tels que présentés par les Guerrilla girls.

Travailler sans la pression du succès.

Le premier de la liste et il mérite sa place. À quoi d’autre sert l’art ?

Ne pas être en exposition avec des hommes.

Ça, c’en est un vrai !

Pouvoir échapper au monde de l’art en faisant quatre jobs comme free-lance.

C’est le prix à payer pour ne pas être salariées.

Savoir que votre carrière peut s’amorcer après quatre-vingts ans.

Que les femmes vivent plus que les hommes c’est bien connu.

Être sûre, peu importe le type d’art que vous faîtes, qu’il aura l’appellation de « féminin ».

Pourquoi ne pas être orgueilleuses de cela ?

Ne pas être coincée dans une position de professeur régulier.

Art et académie, flirt mais pas d’intercourses.

Voir vos idées qui alimentent les œuvres des autres.

Avec cet avantage j’ai des difficultés dans n’importe quel registre : ironique, sarcastique, persifleur… La propriété des idées, comme la propreté des mœurs, me fait chier.

Avoir la possibilité de choisir entre la carrière et la maternité.

Ou les deux. Privilège ?

Ne pas avoir à étouffer avec de gros cigares ou avoir à peindre en complet italien

Encore l’argent. Pourquoi ne pas peindre nue ?

Avoir plus de temps pour travailler quand votre mec s’en va avec une nana plus jeune.

Pourquoi pas le faire chier avec un vieux riche et un jeune équipé ?

Être incluse dans une version révisée d’histoire de l’art.

Toute histoire est révisée, même la nôtre.

Ne pas être embarrassée parce qu’on vous appelle un génie.

Maintenant que même les chats sont géniaux…

Avoir votre photo dans un magazine d’art, masquée en gorille

Trop sexy (celle dans Bitch)

 

Et, pour finir. Pas sûre que, quand on parle de guerrilla, il ne faille pas troquer l’ironie avec la rage.

 

13 janvier 2001 Déluge et poésie. Le dieu des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans laisse plutôt à désirer en tant que poète — il aurait des difficultés même à gagner le concours Poésie de chez nous, créé par Jean Coutu à Jonquière. Lisez l’histoire du déluge, par exemple. Trop abstrait ce Iahvé qui : « vit que la malice de l’homme sur la terre était grande » ou trop concret quand il donne les détails de construction de l’arche : « longueur de l’arche trois cents coudées, sa largeur cinquante coudées, sa hauteur trente coudée. » Sans mouvement, sans finesse. Surtout pas drôle. Tandis qu’Ovide, poète divin, lui sait mouvementer le déluge. Il est vrai que le déluge de Jupiter est dramatiquement plus riche à cause de tous ses compères, mais il reste qu’Ovide est un poète mieux outillé que Iahvé. Où est-il écrit que Dieu doit être un poète ? Certainement pas dans Le Livre. Donc, Jupiter aussi, avait ouï-dire de la méchanceté des hommes et, camoufleur invétéré, transformé en homme — bien avant Jésus — sans beaucoup de détours, entre « sous le toit inhospitalier qui abritait le tyran d’Arcadie » où Lycaon, après avoir essayé en vain de le tuer, fait bouillir des otages et s’apprête à les manger quand « De ma foudre vengeresse j’ai renversé sur lui sa demeure. », dit Jupiter devant le parlement réuni en plénière. Mais, ça ne lui suffit pas, et, rouge de colère, il annonce son intention de faire disparaître les hommes de la face de la terre. Chose assez rare dans la politique Olympienne, les dieux acceptent la proposition à l’unanimité : les Jupitériens applaudissent et les opposants « s’acquittent de leur office par des marques d’assentiment. » Par amour de la vérité —  historique —, il faut ajouter qu’une petite frange de la gauche de l’Olympe, les humanistes, timidement, essayèrent de trouver un compromis et titillèrent Jupiter dans sa plus profonde vanité : « Qui portera l’encens sur les autels ? » Rien à faire. « Je créerai une autre race qui ne ressemblera point à la précédente et dont l’origine sera merveilleuse. », répond Jupiter pendant qu’il prépare sa foudre. La foudre ? Attention, la colère n’a jamais été une bonne conseillère. Réfléchit vieux Jupi, le feu risque « d’embraser l’éther sacré ». C’est vrai. Allons-y avec l’eau. Et le déluge fut. Mais sans Arche. « Déjà on ne distingue plus la mer de la terre; tout était océan. » Et les hommes ? « L’un a gagné à la hâte une colline; l’autre est assis dans une barque recourbée et promène ses rames là où naguère il avait labouré (…) celui-là prend un poisson sur la cîme d’un ormeau (…) là où récemment les chèvres élancées ont brouté le gazon, des phoques posent leur corps informe (…) les dauphins habitent les forêts. » Ici je dois faire une parenthèse. C’est quoi cette double injustice envers les animaux terrestres ? Non seulement ils sont tués à causes des hommes mais, en plus, leur place est prise par des poissons, des phoques et des dauphins. Fin de la parenthèse. Pire que le tremblement de terre de San Salvador : « La plus grande partie des êtres vivants est entraînée par les eaux ; ceux que les eaux ont épargnés périssent faute de nourriture. » Et, les poissons se marrent, j’aimerais ajouter. Mais, le Parnasse est haut. Et au Parnasse habitent les poètes. Mais, non, que dis-je ? Sur le Parnasse habitent Deucalion et Pyrra « « jamais homme ne fut plus vertueux que celui-là (…) jamais femme n’eut plus que la sienne la crainte des dieux[3] ». Vous commencez à comprendre ? Pas besoin d’Arche. Il ne reste qu’eux sur terre et Jupiter décide de se calmer « il montre le ciel à la terre et la terre au ciel. » Oui, mais ce n’est pas drôle d’être seulement deux. Au moins le Dieu des Juifs, celui pas très calé en poésie, avait embarqué avec Noé et sa femme ses fils avec leurs femmes et on pouvait s’attendre que dans une époque sans préservatifs, ça se repeuplerait vite. Mais, notre poète, qui pourtant ne semble pas être ignorant des choses du sexe, a oublié que deux vieux, même s’ils s’aiment beaucoup, peuvent avoir des difficultés à forniquer et… sans fornication pas d’enfançon[4]. Par contre, deux vieux peuvent être sages. Ils consultent une experte : « Par quels moyens peuvent être réparées les pertes de notre race ? ». L’experte qui, comme souvent à cette époque-là, était une déesse, rendit l’oracle : « Jetez derrière vous les os de votre grande-mère. » Ouais. Tu ne trouves pas qu’elle exagère un peu. Je respecte trop ma grande-mère ! On est con. On aurait dû lui demander de nous faire bander et on aurait fait des enfants avec la méthode traditionnelle. Que veux-tu ! On comprend toujours après coup. Deucalion a une illumination : « Notre grande-mère c’est la terre ! » et les pierres sont ses os. Et les deux commencent à lancer des pierres derrière eux et « Ces pierres perdent leur dureté et leur apparence rigide, elles s’amollissent peu à peu[5]et, en s’amollissant, prennent une nouvelle forme. » Elles deviennent des humains. Des hommes et des femmes : « les pierres lancées par des mains masculines prirent la forme d’un homme et le sexe féminin dut une nouvelle vie à celles qu’une femme avait jetées. » Voilà une démonstration, si on en avait encore besoin, que le dieu des trois grandes religions monothéistes est plus réactionnaire que les dieux grecs. Comme quoi, le pape, dans son opposition à la fécondation artificielle, a de qui tenir.

 

14 janvier 2001 Quoi qu’en disent.

Quoi qu’en disent

Bitte molles et

Ovaires secs

Y a qu’un père :

Père ès sexe.



[1] Tiré de la description donnée aux détenus pour leur permettre un choix avisé de la méthode de mise à mort.

[2] Contre le mal luttez sans attendre

[3] Ici même des féministes moins féministes que les Guerilla girls auraient du pain sur la planche (Alice est en vacance !).

[4] Décidément, en poésie, je ressemble plus à Dieu qu’à Ovide !

[5] Ovide, t’exagères ! Pense à Deucalion qui pourrait prendre très mal ces allusions.