23 juillet 2001. That’s all. Je préfère les réflexions intelligentes de la droite au baratin de la gauche. Ça existe, les réflexions intelligentes de la droite. Je sais très bien que certains pensent non seulement qu’une droite intelligente n’existe pas, mais qu’on ne peut plus parler ni de droite ni de gauche et que désormais « tout est plus complexe et flou ». Et pourtant les réflexions de P. Ostellino sur la mort d’un jeune à Gênes sont clairement de droite, intelligentes et justes. Dans le Corriere della Sera d’aujourd’hui il écrit : « Celui qui lance des Molotov, détruit des vitrines […] n’exerce pas un droit démocratique, mais une violence opposée, antidémocratique. Il est, à sa manière, un révolutionnaire. […] Le jeune tué n’est pas un martyr de la démocratie, mais de la révolution. » Qui peut ne pas être d’accord ? Seuls des gens de « gauche » qui veulent avoir le beurre et l’argent (surtout l’argent !) du beurre. Seule une gauche confuse qui ne voit plus les différences, pourtant si claires, qui fondent la lutte politique. Sans doute qu’il ne faudrait pas leur en vouloir de cette confusion non-voulue, fruit d’un vieillissement neuronal ou d’une pauvreté neuronale innée, mais j’en suis incapable : j’ai l’impression que ne pas leur en vouloir est trop méprisant, c’est comme les libérer du minimum de responsabilités qui est le lot même des débiles. La démocratie est la démocratie parlementaire et elle appartient à la droite, voilà ce qui devrait être clair, au moins depuis l’existence du suffrage universel. On ne peut pas avoir de démocratie de gauche car à gauche il n’y a ni « cratie » ni « demo ». That’s all. (Le fait qu’au XVIIIe elle ait appartenu à la gauche indique seulement que le point[1] qui sépare gauche et droite se déplace sur l’axe de la politique, sans vouloir dire, pour autant, que la lutte pour l’émancipation soit relative. Pour voir qu’il y a une iniquité ahistorique qui donne un sens à gauche et à droite, il suffit d’un minimum de réflexion et d’intelligence pour aller lire, en dessous des mots courants, ceux que les perdants ont ensevelis. Après, que ceux qui se disent de gauche ne le soient pas nécessairement, c’est une toute autre histoire.) Donc, si on laisse la démocratie à la droite, que nous reste-t-il ? On reste avec le reste. Qui n’est pas petit, ni simple, ni facile à transformer. Qui, un jour, quand il aura un nom, ne sera plus un reste et à partir de ce jour-là la démocratie sera le reste. En attendant que le nom prenne place, je propose, dans cette période de transition, de nommer le reste Aaara. (À prononcer avec le « r » roulé pour rendre un peu plus sauvages ces doux « a » allongés).

 

24 juillet 2001. Tristesse. Idiots, les hommes donnent à Lesbos plus que biologie et culture alliées. E. s’affiche, B. non. Elles vont vivre ensemble. Je ne sais pas si elles sont amies ou plus qu’amies. Et alors ? Elles sont tribades comme moi castor.

 

Vent. Les yeux de B. flottent dans la détresse de l’amie perclue. Vînt le vent ! Le vent nonce de tempête et père des vagues. Vînt le vent morosophobe.

 

Cybèle. Orne l’amie d’occabe et laisse le vent mâle fouiller ses entrailles. Sois plus qu’amie. Soit de Cybèle, amie.

 

Outre-amie. Montre-lui les couleurs légères du monde. Ouvre la fibule sévère serrant sa liesse. Sois son outre-amie.

 

25 juillet 2001. Du charme de Proust. C’était bien pire qu’hier. Pire qu’avant-hier. C’est comme toujours. C’est le temps de prendre la foudre d’escarpette. Quand on n’a rien de better à se mettre sous la dent, il faut déguirper avec sa bitterave entre les bas bines. Je ne suis pas comme cet hostie en papier peint qui se noie dans une flaque de nuances avec ses « préoccupations littéraires » ! Il m’écœure avec ses gratouillements de pissenlit, avec ses obsexions de derrière (je n’ai pas écrit du derrière. Même quand mon âme est grosse de cylindres de peur comme une enceinte de Texaco, je ne lâche pas ma classe). Il faut voir ce qu’il y a derrière, qu’il dit. On cache toujours quelques chose, qu’il ajoute. On ? Toi espèce de traîneau à roue. Toi peut-être. Moi, non. Pas maintenant. Pas avant. Pas demain. C’est quoi tout ce cailletage puéril sur la littérature ? Les mots n’ont pas les choses. Même les mots des plus grands couillons sont découillonés. Les mots comme les intellactuels dans les révolutions ou les croque-morts aux funérailles arrivent toujours après. Quand c’est fini. Ils enterrent avec leurs gloses. Les mots ne font rien naître qui ne soit pas déjà là. Ils ne ressuscitent rien. Nada. Niente. Il en faudrait mille milliard pour décrire pauvrement l’instant de la madeleine. Voulez-vous que je fasse du Proust ? Voulez vous que je vous montre comme c’est facile de faire de la grande littérature ? Me voilà grand littératureur à l’œuvre :

Les regrets que j’en éprouvais, tandis que je restais seul à rêver un peu à l’écart, me faisaient tant souffrir, que pour ne pas le ressentir, de lui-même par une sorte d’inhibition devant la douleur, mon esprit s’arrêtait entièrement de penser aux vers, aux romans à un avenir poétique sur lequel mon manque de talent m’interdisait de compter. Alors bien en dehors de toutes ces préoccupations littéraires et ne s’y rattachant en rien, tout d’un coup un ton, un reflet de soleil sur une pierre, l’odeur d’un chemin me faisait arrêter par un plaisir particulier qu’ils me donnaient et aussi parce qu’ils avaient l’air de cacher, au delà de ce que je voyais, quelque chose qu’ils invitaient à venir prendre et que malgré mes efforts je n’arrivais pas à découvrir.[2]

Trop facile. Honteux. Il suffit de se laisser nouiller par le rythme. Les mots engendrent des phrases. Les phrases pissent des mots qui s’accouplent pour créer de nouvelles phrases. La littérature, c’est de l’inceste. Tu l’as eue en hostie, ta maman, petit Marcel. Tu l’as bien baissée ! Arrête de déconner[3] ! Je dois te dire, mon petit Marciel, que malgré tout, c’est en me drapant dans tes mots que je me libère de la peur, de la vraie, de celle qui gonfle la peau des coudes.

 

26 juillet 2001. Peur. Son regard me traverse et ses mots se plantent sans aucune vibration entre elle et moi : « Jamais je ne céderai à l’ordinapeur ! »

 

27 juillet 2001. Les fantasmes. Les fantasmes masculins n’existent que dans la tête des femmes. Racontez à une femme les comportements pas tout à fait catholiques d’une autre femme et elle vous dira « C’est des fantasmes d’homme ». Racontez maintenant à la deuxième les prouesses de la première : elle vous dira qu’elle en a marre de voir plaquer sur des femmes les fantasmes des hommes. Les fantasmes des hommes comme protections pour les femmes contre l’étrangeté des autres (femmes) ? Fort probablement.

 

Kubrick. Il aurait eu 73 ans celui qui, dans son dernier film, a laissé ses fantasmes s’incarner.

 

28 juillet 2001. Le côté joli de ma clôture. « Je l’ai acheté et donc j’ai le droit de regarder son côté le plus joli ». Elle parle de la clôture qui entoure sa maison à Haverstraw dans l’État de New York. L’administration de Haverstraw a approuvé une loi qui oblige les propriétaires à mettre le côté non fini — non joli ou laid, si vous préférez — vers l’intérieur. De nombreux citoyens, comme madame Werlitz citée au début, sont contre la décision de l’administration. Si ce n’est déjà fait, il n’est pas difficile d’imaginer que la Cour Suprême des É.U. établira que : « La clôture étant un moyen d’expression des propriétaires de maisons, les lois de l’État ne peuvent limiter cette liberté quitte à défaire les fondements que les pères de la constitution (…) etc., etc. »

 

Loin de moi toute idée de ridiculiser les déclarations de la Cour Suprême. Surtout que, dans ce cas-ci, la liberté d’expression est liée à des jugements d’ordre esthétique et, dans le domaine du beau encore plus que dans celui du vrai, on ne connaît pas de meilleure politique que celle du laisser-aller. Les administrateurs d’Haverstraw, comme leurs collègues de la ville de Montréal qui décident comment doivent être les façades des maisons, représentent le « bon goût » d’une petite bourgeoisie qui a une vision du beau souvent fade et toujours atemporelle. Si chaque propriétaire montre la façade qu’il veut et si les façades ne s’intègrent pas « harmonieusement », il est fort probable que l’harmonie de l'un sera différente de celle de l’autre. Ou, tout bêtement, que de l’harmonie on s’en calisse. Ces mêmes législateurs, quand ils visitent des villages de la vieille Europe tombent en pâmoison devant leur désordre et leur manque d’harmonie « qui montre une harmonie profonde fruit d’une longue histoire, etc., etc. » Qui nous dit que dans cent ans les touristes argentins ne trouveront pas, dans le mauvais goût des Montréalais, une harmonie plus profonde etc., etc. ? La beauté des choses a besoin du ponçage du temps.

 

Comme aurait dit Franz Zappa : « Gardons le gouvernement hors de nos jardins. »

 

Mais, est-ce que madame Werlitz est zappiste ? Je soupçonne que non[4]. Surtout qu’elle n’aurait pas approuvé une autre déclaration (probable) de Zappa sur les jardins : « Et surtout, gardons les clôtures loin de nos jardins ». Mon soupçon a de bonnes fondations : elle veut employer le côté joli, elle veut probablement s’épanouir dans son jardin. Je la vois très bien : il est quatre heures de l’après-midi d’une très belle journée de juin. En maillot de bain avec des dégradés magenta, sur une chaise longue. Elle dépose sur une petite table blanche les poèmes de Pound, elle augment légèrement le volume du CD qui joue l’impromptu D 899, No 1 c-moll de Franz Schubert dans l’interprétation de Maurizio Pollini, elle prend une gorgée de Brouilly et elle regarde, extasiée, sa clôture. L’agencement parfait des planches, les clous qui font si moyenâgeux, cette couleur qui dégrade de manière presque imperceptible le bleu lapis-lazuli vers le bleu Lise Wattier, ne cessent de lui renvoyer une image d’elle-même si positive qu’elle peut par la suite supporter toutes les méchancetés des collègues envieux de son jardin. « Chérie, c’est l’heure du tennis. Prépare-toi, tu sais que quand tu regardes trop longtemps la clôture tu n’es plus compétitive et alors on perd contre les deux nouilles d’à côté ». Elle regarde trop : seul excès de sa vie paisible. Seul trop dont elle ne réussisse pas à se défaire.

 

Il faut que les administrateurs de Haverstraw soient vraiment bêtes et insensibles pour lui enlever ce paisible plaisir et l’obliger à sacrifier le bonheur sur l’autel de l’harmonie. Qui peut évaluer les conséquence d’un tel traumatisme ? Elle pourrait acheter un fusil mitrailleur ou violer un berger allemand.

 

29 juillet 2001. Force I. La force, c’est ce qui fait de quiconque lui est soumis une chose. (S. Weil, L’Iliade ou le poème de la force).

 

Force II. La force, c’est ce qui oblige certains à être encore plus forts. (Iketnuk, Proverbes d’ici et de là)

 

Force III. « Les souvenirs de Gengis Khan  ne sont rien en comparaison », écrit Alan Schom à propos de Napoléon[5]. Comment l’interpréter ? Le Mongol perdrait-il le palmarès de la violence à cause de son éloignement historique et géographique ? La puissance économique de l’Europe aurait-elle besoin de nouveaux boucs émissaires ? Ou simplement, on en a marre de frapper toujours sur les mêmes ?

 



[1] Il s’agit d’un point au sens géométrique (sans dimensions) et c’est pour cela que la droite et la gauche proches du point de séparation semblent indifférenciées. Mais il suffit de s’éloigner de quelques pas et les différences sautent à la figure.

[2] Singer Proust étant trop facile, j’ai transcrit l’original (Du côté de chez Swann, page 178 dans la Pléiade.)

[3] Note inutile : cet ordre est adressé à moi et non à Proust.

[4] Elle est éventuellement zapatiste vu que ce mouvement, aussi, s’intéresse aux clôtures.

[5] Schom Alan, Napoléon Bonaparte, Harper Perennial, 1997.