12 mars 2001. 1889. Branle-bas sur le mamelon, là où les mughos et les derniers mélèzes, relais des corbeaux enroués, cèdent à la mousse et aux lichens. D’aucuns prétendent avancer et d’autres s’apprêtent à retourner cependant que des vieux, aux longs cheveux sales, s’entêtent à installer un campement. Tous craillent. Ici des coups d’armes à feu, là des piaillements d’enfants. Les râlements des femelles s’accouplent aux jurons amers des ivrognes qui écrasent le bleu des gentianes. Devant un mélèze on joue du luth et, derrière le rocher aux chèvres, on jodle. La caravane de la culture s’est embourbée. Les mots-guides se rebellent : Dieu, Nation, Homme, Démocratie, Progrès, Justice…n’acceptent plus les ordres d’intellectuels aux jarrets vacillants. Les artistes fument les restes du romantisme. Les hommes de science halètent en reluquant la technique à la caisse légère. Personne n’écoute. Lui seul prête l’oreille aux yeux qui fuient, à la main qui veut — et qui aura ou n’aura pas —, à la solitude qui proteste et à la vérité qui s’affaisse. Il écoute et il ne parlera plus. En Engadine, les torrents et les abies tressaillent indifférents.

 

13 mars 2001 Porno 1. Les fonctionnaires de CBC s’étonnent que les fonctionnaires du gouvernement canadien visitent des sites pornos pendant les heures de travail. Croyaient-ils être les seuls ?

 

Porno II. Dans le numéro de mars de la revue Penthouse on invite les lecteurs à écrire ou téléphoner au sénateur John Warner (202-224-3121) pour qu’il arrête son sale lobbying pour de nouvelles armes nucléaires.

 

Porno III. Accepter de travailler pour une entreprise qui développe du logiciel pour le ministère de la guerre américain (DoD) et ne pas semer quelques centaines de bugs.

 

Porno IV. Convaincre sa fille à s’inscrire au HEC.

 

Porno V.

    Merde ! Il n’y a pas de carottes.

    Ne t’énerve pas ! Va chez Tau… ça te prend deux minutes.

J’ai[1] essayé inutilement quatre dépanneurs avant de me résoudre à aller chez Tau, un magasin biolochic de la rue Saint Denis. Chez Tau, il y a les carottes de la ferme de Robert Desmarais 129 Route 116 Est, Acton vale, certifiées par Québec vrai qui nous assure qu’elles sont biologiques, organiques, fantastiques, saphiques, rougiques et longuiques mais surtout éthiques et merdiques. Chez Tau, tout est biologique, même la caissière qui a l’air d’avoir trempé pendant dix ans dans de l’eau biologique tellement elle est délavée. Pour ne pas parler des clients : ils ont les yeux mous comme la graisse du cul des phoques, choisissent les tisanes avec une concentration digne d’Einstein au prises avec la relativité et se meuvent au ralenti pour ne pas faire du mal à l’air et préserver ainsi l’écosystème. Des végétaux quoi ! Certifiés par le CHOPEBOUC (comité d’homologation des petits bourgeois à la con). Si Tau n’était pas si biolochic, je lui proposerais de faire un escompte de 11,23 % à tous les clients qui sortent avec une carotte dans le cul. Ça fera augmenter le chiffre d’affaire d’au moins le 43,12 % pourvu que, dans le dépliant publicitaire, ils écrivent que les carottes engraissées biologiquement dans un cul humain, biologiquement pur, réduisent du 14,03 % les risques de cancer des couillons et de 68,97 % celui du sein des couillonnes.

 

Porno VI. Convaincre des adolescents qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

 

14 mars 2001 Sagesse. Depuis quand les gens dans la vingtaine sont plus sages que leurs parents ? Depuis toujours.

 

Critique. Facile de critiquer quand on a la panse pleine et la tête vide.

 

15 mars 2001 Au collège.

— Patrizio ! Ton père et ta mère arrivent.

Lui, les mains au parfum abiétin, l’œil espiègle et les muscles mal à l’aise sous la veste trop étroite. Elle, le regard perçant, l’enjambée ferme et la chair freinée par une intelligence maternelle.

 

— Marguerite ! Tes parents sont là.

Lui, élégant, le regard fier, et la joie de vivre mal à l’aise sous ses cicatrices trop nombreuses. Elle, le regard étonné, les cuisses serrées et l’intelligence freinée par l’insécurité filiale.

 

Si le biologique compte, ça n’a pas de sens de se demander pourquoi l’un est trop arrogant et l’autre pas assez.

 

16 mars 2001 Politique et proche.

    Je trouve votre incapacité de juger épouvantablement dangereuse. Ce que vous venez de dire non seulement me confirme que votre position est inacceptable mais, si je n’avais pas un certain respect pour votre âge, je vous dirais d’aller vous…

    Vous avez certainement raison. Dire  « Si j’avais fréquenté Hitler, je l’aurais compris », c’est criminel, mais je ne peux pas faire autrement.

    Ami d’Hitler ! Avez-vous réfléchi un instant sur ce que cela veux dire ! Vous pourriez être ami d’Hitler ?

    Je ne le sais pas et, heureusement, je ne le saurai jamais. Ce que je voulais dire c’est que tout discours politique ou moral fond au contact d’un individu concret.

 

17 mars 2001 Dixit. Ce qui m’avait toujours dérangé dans le ipse dixit c’était le ipse, depuis quelques temps c’est le dixit.

 

Temps. Il y a un mécanisme sûr pour savoir si on a vieilli : le changement de perception de la vitesse du passage du temps. Dans les neuf premiers mois il n’y a pas de temps, seul un espace : le corps de la mère. Lentement — de votre point de vue— votre corps se fait une place dans le monde. Dans l’enfance une semaine peut être interminable (si vous attendez l’arrivée de votre cousin colombien) ou terriblement courte (si vous êtes sur une plage à Cuba). Dans l’adolescence il y a des après midis interminables et des soirées qui se terminent avant de commencer. Combien de fois, dans la vingtaine, avez-vous essayé de tourner la roue du temps, à votre guise, sans succès ? Ensuite, lentement, le temps perd la consistance, devient pur, devient abstrait. Une semaine est une semaine, un mois un mois. Vous et les temps, vous êtes comme piston et cylindre. Mais à un certain moment, les choses se gâtent, sans que vous sachiez ni comment ni pourquoi le samedi arrive toujours trop tôt. Même l’hiver canadien est trop court. Un deuil d’un an est court.

 

18 mars 2001 M., un homme et un chien.

 

« Je ne me sens pas très bien », dit M. en posant son verre avec trop de précaution sur la petite table blanche, « je vais me coucher ». Elle alla à la cuisine et confirma à Claude qu’elle aurait dormi chez lui : « J’ai vraiment bu... Trop bu.. vin… et surtout vodka… je dors ici… non, je veux dire là » fit-elle en indiquant la chambre des invités. Pauvre Claude, toujours si gentil. Elle avait était dure avec lui. Elle avait passablement déconné. Passablement ? Il y en avait toujours un autre plus intéressant que lui. Cette fois c’était Alain, tellement plus distingué et à son aise mais, surtout, sans bedaine. Ça, les bedaines, elle ne supportait pas ça. Quand ça cliquait entre elle et un homme, elle était capable de tout. Pauvre Claude, mais il faut dire que les hommes sont vraiment bornés. Ils ne comprennent jamais quand les jeux sont faits. Il leur manque un bout de sensibilité dans l’interprétation des signes. Ça suffit que vous leur souriiez et poum poum… comme si c’était fait. Les rêves, ils ne savent pas ce que c’est.

 

M. s’assit sur le bord du lit. Elle ne se souvenait pas que l’armoire avait une porte-miroir. Une sale gueule… la tête des mauvais jours... Ce n’est pas drôle de vieillir : vingt-neuf ans… l’année prochaine, c’est le grand saut… même les seins commencent… Elle se leva, ouvrit le chemisier et s’approcha du miroir en continuant sa lutte avec l’agrafe du soutien-gorge qui finit par céder. J’exagère, c’est encore pas mal. Vraiment pas mal, je les trouve beaux… Putain quels cheveux ! il faut que j’aille les faire couper. Pas chez Denise cette fois. Elle fait toujours à sa tête… C’est le cas de le dire : à sa tête. Je me trouve drôle… Putain, y en a marre de me sentir seule. Elle ouvrit l’armoire. Quel bordel ! il n’a pas de femme pour mettre de l’ordre, le petit… moi non plus je n’ai personne et je suis encore plus désordonnée que lui. Elle retourna vers le lit et s’y installa, bras ouverts et pieds croisés, comme l’autre sur la croix. Pendant une bonne dizaine de minutes, elle resta immobile, sans penser, vaguant dans la brume qui suit la ronde exaltation de l’alcool et précède le mal de tête, à la recherche de quelque chose de clair, de solide, d’un corps. Du sien, par exemple, qu’elle ne retrouvait plus dans cette confusion d’excitation, rage, nostalgie et mélancolie. Quelle heure est-il ? Elle traîna comme un animal traqué le regard sur la montre. Presque quatre heures, quatre heures moins sept… ce qui fait… trois heures et quarante-trois… non… non… trois heures et cinquante-trois. Putain, je n’ai pas enlevé les bottines ! Elle essaya de défaire les lacets sans se relever. Impossible.  La maudite jupe était trop étroite. Elle se rassit sur le bord du lit, lentement, soigneusement, avec la concentration mécanique des ceux qui ne se croient pas saouls, défit les lacets de la bottine droite, saisit avec les deux mains la cheville et porta péniblement le pied sur la cuisse. Il ne veut pas sortir le malin !

 

m. Veux-tu me lâcher les baskets !

 

La bottine droite. Eh ! Du calme ma cocotte ! Et toi, veux-tu casser le talon ? Ouvre un peu plus !

 

m. Écoute ma chère, je n’ai aucune envie, aucune, tu m’entends ? aucune envie de me faire engueuler. Reste donc tranquille. Je n’ai pas besoin d’ordres ! Surtout pas d’une vieille bottine sale.

 

La bottine droite (tout bas). C’est toujours la même histoire quand elle prend un verre de trop. Si elle continue comme ça, elle va finir par me casser. Quand il n’est pas là, je suis son bouc émissaire. Jamais la gauche ! C’est comme ça, quand ça va mal. Quand, en fin de soirée, ses orteils deviennent hyperactifs il n’y a rien de bien à attendre.

 

Le lacet de la bottine droite. Arrête de grogner. Et moi, que devrais-je dire ? Avec ses ongles de harpie elle a failli m’écorcher. Elle avait commencé à peu près correctement mais elle a encore trouvé le moyen de s’énerver.

 

m. (en levant le bras comme pour les lancer) Arrêtez ou je vous pitche dans l’armoire !

 

La bottine droite (avec sa voix aiguë des pires jours de février). Non s’il te plait ! Je te promets que je ne me plaindrai plus.

 

Elle hocha la tête sans répondre et les déposa à côté du lit avec une délicatesse exagérée — pour une bottine de quatre ans et son lacet de deux. La cérémonie se répéta identique, mais en silence, pour la bottine gauche qui, maligne comme une salomé[2], ne broncha pas quand M. la tordit avec un excès de vigueur. Le talon se posa, sans trop de cérémonies, sur le lacet de sa copine qui n’osa pas crier. M. se laissa tomber lentement, cette fois-ci, sur le lit. En s’aidant avec les coudes se traîna vers le centre, allongea ses jambes et se retourna sur le ventre. Elle déplaça l’oreiller, trop ballonné à côté des genoux. et s’encercla la tête avec les bras. Ce n’est pas un oreiller, c’est un… c’est un gros coussin… cou sain… un saint coup… pas drôle. Estomac, pensées, ventre, tout bourdonnait. La cantilène de Kashtin continuait. Claude est vraiment emmerdant avec ses Moahwks ! Il a parlé au moins une dizaine de fois de l’Indien qu’il avait conduit de Havre St. Pierre à Québec. C’est vrai qu’il l’imite bien : « Nos territoires… pas de démocratie… les Blancs ont tout volé… ». Je m’en fous des Indiens, des Blancs, de tout. Pas vraiment de tout. Ça fourmillait dans son âme, si on a encore le droit de l’appeler ainsi. Et quand ça forniquait dans son esprit, pour le dire de manière un peu moins chrétienne, elle avait envie de se faire schtroumpfer. Même par Claude. Mais l’alcool fut plus fort que le désir et elle passa presque sans transition d’un demi-sommeil à un ronflement léger que les bottines interprétèrent, justement, comme un sommeil profond qui leur permettait de papoter. Pour ceux qui ne connaissent pas le monde des bottines il faut dire qu’elles, contrairement à la majorité des animaux, hibernent en été[3], tandis qu’en hiver, dans des pays comme le Canada, elles ne dorment pratiquement jamais.

 

Du rythme de la basse à celui d’un train c’est ce qu’il y a de plus facile pour le dieu des rêves qui ne manqua pas au rendez-vous. En train, en Europe. Ça devait être en Toscana ou en Umbria. Le compartiment était vide. Elle s’enleva les bottines, les plia sous sa tête et ferma les yeux pour que le sommeil n’échappe. La porte du compartiment coulissa et entrèrent un jeune homme torse nu, pantalons serrés blancs, collier en cuir noir avec des clous d’acier et un doberman avec une chaîne d’or et un borsalino blanc. Un léger mouvement de la tête du jeune homme fit sauter le chien sur les filets réservés aux bagages. Le jeune prit place devant elle. « Bonjour, je m’appelle Patrizio. Et vous ? Est-ce que vous aimez les véroniques précoces rouges ? Je vois que vous aussi vous venez de Saint Jérôme. » Elle répondit pour lui préciser que les véroniques précoces ne sont pas rouges mais jaunes[4] et que le train Milano-Roma ne peut pas passer par Saint Jérôme mais ses mots furent muets  et dès qu’ils abandonnèrent les lèvres se transformèrent en feuilles de persil et s’envolèrent vers le chien qui toussait sans cesse. Je n’ai vraiment pas envie d’étouffer ce pauvre doberman, je dois arrêter de parler. Elle arrêta et croisa lentement les jambes pour laisser le temps à ce petit italien de guigner. Ça fonctionne toujours, même quand ils n’ont pas les hormones qui leur sortent par les oreilles, ça fonctionne. Je ferme les yeux et je lui donne trois minutes max.… Deux minutes suffisent. Deux minutes après il se plaqua à côté d’elle et commença à lui caresser les cheveux, délicatement, comme seulement Paul et Marie savaient faire. Les doigts très écartés, il remonta de la nuque vers le front, il arrêta la pulpe des doigts sur la suture coronale — elle a toujours aimé ça, la suture coronale. Ça fait royal. Il garda le pouce immobile et fit faire une dizaine d’ellipses aux autres doigts rigidement solidaires, les délia ensuite, tout en gardant le contact, pour leur faire faire de petits cercles. De la haute technologie, ce mec ! Il approcha sa bouche à moins d’un centimètre du cou, expira par petits coups, posa ses lèvres sèches sur l’épaule qu’il venait de dénuder et commença à lui laper le grand complexus.

 

Ils se recomposèrent quand on ouvrit la porte pour annoncer : Perugia ! C’était le contrôleur qui demanda à Patrizio, d’un ton fort désagréable, si c’était son chien..

    Oui monsieur.

    Vous n’avez pas honte de traiter comme ça un pauvre chien ! Faites-le descendre et gardez-le à votre côté si vous ne voulez pas une amende bien salée de…de 300 000 lires ! Ne savez-vous pas que, sur les trains, les chiens ont les mêmes droits que les hommes ?

    Non, je ne le savais pas.

    Maintenant vous le savez. Ignorantia non scusat, cher monsieur. Pour cette fois…

 

Le doberman eut l’air de comprendre et sauta sur le siège à côté de Patrizio.

 

    Les billets, s’il vous plait. Celui de votre femme aussi.

    Ce n’est pas ma femme.

    Ah ! Je vois. Vous êtes un petit malin

    Madame, le billet, dit le contrôleur à M. en lui touchant l’épaule d’une manière un tantinet…

 

Je veux voir jusqu'où il arrive. J’ai bien le droit d’avoir le sommeil dur.

 

    Elle dort tellement bien. Je reviendrai avant Rome, dit-il à Patrizio en lui souriant comme un héros d’un film américain des années cinquante.

 

Comme elle entendit la porte se refermer elle s’allongea en prenant garde que la jupe reste à mi-cuisse. Patrizio s’agenouilla à la hauteur de sa tête et le doberman, qui commençait à comprendre qu’il avait plus de droits qu’il ne l’imaginait, s’assit en face de ses pieds. M. sentit la chaleur d’un corps qui s’approchait et, les yeux toujours fermés, ouvrit la bouche pour donner sa langue à une autre bouche — au moins ça avait le toucher d’une bouche — qui commença à sucer comme elle ; comme elle, quand elle travaillait leur andouille. Elle ne pouvait plus dire que c’était l’âme qui fourmillait : son corps et son esprit commençaient à se délier ce qui est très dangereux pour les rêves. Pour se sauver d’un réveil trop abrupt, elle rétracta sa langue, mollement, comme un escargot ses cornes. Elle avait toujours aimé rêver de rêver, son rêve étant de passer d’un rêve au rêve d’un rêve sur un pont aux cordes de rêve[5]. Elle se retrouva couchée sur le ventre. Il commença à manœuvrer autour de la jupe pour essayer de la relever. Ça forçait trop. Elle souleva légèrement le bassin, il glissa une main à l’intérieur des cuisses et, en poussant le bord avec le poignet remonta le devant de la jupe. Il reprit le bord derrière pour l’enrouler autour des hanches. Le rouleau la gênait. Elle remua du cul, pour lui donner un coup de main. Il prit cela comme une invitation à se presser. Toujours le même malentendu, avec les mecs ! Ils prennent tout au premier niveau. Il plaça ses mains sur la peau dénudée entre la jupe et les bas-culottes, il la serra avec force, trop de force, pendant quelques secondes. Il veut me montrer qu’il est fort ! Oui, tu es fort mon petit rat ! Il glissa la culotte et les bas aux chevilles. J’aime ce genre de ceps. Mais le doberman aussi avait l’air de les aimer car il les attrapa et tira jusqu’à libérer les pieds de la prisonnière. Pendant que le chien léchait la petite culotte, pas tout à fait propre à vrai dire, Patrizio promenait sa langue sur le derrière des cuisses sans que ses mains cessassent de caresser l’intérieur. Il lui écarta légèrement les jambes et ensuite les fesses pour picoter la rondelle[6] pendant que ses mains cherchaient la praline[7]. Shit, j’ai oublié… Il semble qu’il aime… pas mal, lui... Elle était si petite et sensible qu’ils avaient tous leur apprentissage à faire. Il est vraiment bon, du premier coup la bonne place, la bonne pression et le bon rythme. Elle ramena le bras droit le long du corps, la paume vers le haut, à demi ouvert. Il se mit à califourchon sur ses reins, sortit, par à-coups, la chemise de la jupe, dégrafa le soutien-gorge et releva le chemisier sur les épaules. Il promena sa langue sur l’épine dorsale, sur la soie coxale avant de picoter soigneusement l’embouchure fessale. Il descendit, se remit à genoux devant elle et, en lui tordant légèrement l’épaule, il lui fit comprendre de se retourner sur le dos. Elle le fit, très lentement, comme une personne réveillée qui fait semblant de dormir. Il s’attaqua aux boutons du chemisier mais, ce ne fut pas facile. On aurait dit que les boutonnières s’étaient fermées pour protéger un buste dont la tête ne se souciait guère. Il finit par réussir. Il posa le chemisier sur le visage de M. Les langues se retrouvèrent à travers la soie. Pendant qu’il l’embrassait, il ouvrit la ceinture et baissa son zip. Elle fut contrariée par le bruit. Trop tôt. Elle le gravonna pour faire une diversion. Il reprit à l’embrasser à travers la soie qui devenait toujours plus blanche. Blanche et pâteuse. Toujours plus pâteuse. Toujours plus blanche. Elle voulait arrêter mais elle ne pouvait ni bouger ni respirer. Blanche. Toujours plus blanche. Pour ne pas mourir, elle s’endormit. Elle était dans une île. Petite. Ronde. Avec un moulin, blanc et rond, au centre. Elle montait un escalier blanc en colimaçon, avec sa belle jupe blanche plissée. Un chien, un doberman, avec un collier en cuir noir et des clous d’acier, s’élança silencieux vers son ventre blanc, lui enfila le museau entre les cuisses… Nooon ! elle se réveilla. Claude, agenouillé devant le lit, usait des doigts et la contemplait. « Je t’aime », lui dit-il. Elle regarda ses yeux de chien battu et ne put s’empêcher de lui répondre : « Moi aussi ».



[1] Il s’agit d’Iketnuk dont la hargne et la vulgarité dépassent parfois les limites de la bienséance (Alice. P).

[2] Par analogie avec « malin comme un singe ». Une Salomé, selon le Robert, est une « Chaussure basse pour femme, très ouverte, à bride axiale par laquelle passe la bride de fermeture. » Dans la partie étymologie on ajoute que le nom est « d’origine incertaine et une allusion au nom propre Salomé ». Il faut mal connaître Lou Salomé (il n’y en a pas d’autres, n’est-ce pas ?) pour l’imaginer mettre des salomés à ses pieds.

[3] Ce qui, avec un vilain néologisme, pourrait se dire ététer (à ne pas confondre avec étêter.).

[4] Pour ne pas induire les lecteurs en erreur, je tiens à préciser que Véronique précoce (Veronica praecox) contrairement à ce qu’affirme M. est une spermatophyte angiosperme à fleurs bleues dont l’androcée est dimère de formule 2S+2P+2E+2C. Pour les plus curieux il faudrait sans doute ajouter que, tout comme les Valériannelles et l’Holosteum umbellatum, Veronica praecox est une plante messicole vernale à évolution rapide

[5] À ceux qui trouvent qu’il y a trop de « rêves » j’aimerais dire que je fais partie de ceux qui croient qu’il y en a jamais assez.

[6] On voit ici à l’œuvre un principe bien connu de psychologie de compagnonnage, le principe CAA (Comme l’Ami,  l’Ami). Les odeurs des parties les moins nobles de M. étaient peut être le moyen que le dieu de l’amitié avait trouvé pour renforcer le lien entre Paolo et le doberman. Comment expliquer autrement que M. pour la première fois de sa vie, depuis l’âge de cinq ans, ne s’était pas nettoyé dans la toilette du train ?

[7] Notez la délicatesse des choix lexicaux !