26 mars 2001 Éthique. L’autre jour j’ai reçu un courrier électronique disant à peu près ceci : « Je suis à la recherche d’un enseignant pour donner une conférence à des étudiants de secondaire IV et V sur l’éthique et la science. Si un membre de votre institut est intéressé, faites-le moi savoir le plus tôt possible. » Quel drôle d’idée, pensai-je, mélanger la légèreté et le ludisme de la science à la lourdeur de la morale masquée d’éthique ! Seuls des bureaucrates gavés de pâtée universitaire peuvent imaginer qu’on puisse parler de bioéthique, d’infoéthique, mathéthique, etc. à des jeunes personnes intelligentes et motivées sans les emmerder profondément. Et, pourquoi les emmerder avec l’éthique quand ils viennent visiter une université ? Il y a déjà tellement de gens qui les responsabilisent ! Mais… peut-être… si des cadres de l’UQAM le demandent officiellement au Trempet… peut-être qu’ils ne veulent pas emmerder… pourquoi pas essayer ? Je téléphonai à Émenoraï : « Pourrais-tu écrire les paroles pour une chanson drôle et caustique sur l’éthique ? sur un air de hip hop, par exemple. Il semble que les adolescents aiment ça. Ça te chante ? » L’idée l’amusait et il m’assura qu’il enverrait la chanson le jour suivant. Effectivement :

 

L’éthique à Nicomaque

 

 [Refrain]

Éthique à Nicomaque

Éthaque Annie comique

Éthique a la colique

État qui pue l’arnaque

 

Un gugusse archaïque

Un peu pharisaïque

J’n’ai rien de poétique ?

Pas du tout sympathique ?

 

Rien à foutre de l’éthique ?

Ch’uis trop bureaucratique ?

Tu veux être Cyrénaïque

Hais-tu les porcs épiques ?

 

Tu as l’esprit poétique

Bien loin des stoïques

Des machos héroïques

De ceux qui se piquent ?

 

Bien loin du politique

De ce misanthropique

Monde rempli d’flics

Et des gars poléthiques ?

 

 

T’en veux un bien chic

Qui ne soit pas cynique

Pas de barbe qui pique

Tu veux un gars mythique ?

 

Je ne suis pas une bique

Un soupçon laconique

J’peux être ironique

Ou encore sarcastique

 

J’aime l’amour physique

et les hommes qui niquent

s’ils ont une technique

Quand ils forniquent

 

J’aime le platonique

Quand y a pas d’panique

Quand c’est pas unique

Ni trop épidermique

 

Les mecs sardoniques

Quand ils sont ethniques

Même si un peu lubriques

Et pauvres en lexique

 

 

 


 

Pour moi pas d’iniques

ni de gros pique-nique

Près de la Martinique

S’il n’y a pas Monique

 

Bête bien drolatique

Votre amie Éthique

Fort aristocratique

Et ploutocratique

 

Souvent soporifique

Suis-je trop apathique ?

Une sotte pacifique ?

Pas assez hostilique ?

 

Grande cénobitique

Je vous fais Chieïque

Comme une Altaïque

Femme dans le Haïk

 

Je peux être lunatique

Mouillée d’érotique

Assise dans une caïque

Pourchasser un loustic

 

[Refrain]

 

 

On m’veut scientifique

Cerveau mathématique

Les pieds informatiques

Gros cul biologique

 

Cloner des moustiques

C’est bien sympathique

Et pourtant ça pique

Les moustiques cloniques.

 

Cloner les épais flics

C’est bien satanique

Toujours grands iniques

Pas de flics cloniques !

 

Cloner les politiques

C’est assez vomique

Un peu trop bourrique

Ils sont si faméliques

 

[grand final]

 

La centrale Manic

N’a rien de thermique

Elle n’est pas merdique

Comme les atomiques

 

[Refrain]

 

 

27 mars 2001 Noms. Je ne suis pas sûr qu’Henriette Rosine Bernard aurait eu le même succès si elle n’avait pas changé son nom en Sarah Bernhardt.

 

Glandes. La complaisance est un sentiment auquel je suis indifférent et la mélancolie un gris état d’esprit qui m’attire. Mais le mélange, ça non ! La complaisance du mélancolique m’horripile et, en dépit que j’en aie, elle excite mes glandes salivaires.

 

Retour au pays.

    N’aimerais-tu pas retourner en Italie ?

    Non.

    Rien qui pourrait te faire changer d’avis ?

    Si, l’introduction de la peine de mort au Canada.

 

Si. Pour moi, Italien qui essaye de parler français, le « si » (traduction en italien de « oui ») est tellement connoté que je ne l’ai jamais employé en vingt ans avant que je n’écrive l’échange précédent sur la peine de mort. Et alors ?

 

28 mars 2001 2001. Dans l’habitacle des voitures il y a dix-huit fois plus de benzène qu’à l’extérieur. Quel sera l’impact sur nos enfants qui, toujours plus souvent, vont à l’école en voiture ? C’est la GRANDE question que se posent les journaux. Moi, je ne le sais pas et, à vrai dire, je m’en fous un petit peu. Je sais que beaucoup de parents alarmés crieront comme des putois sadiques contre la méchante technique. Il y a une autre question qui m’intéresse beaucoup plus : pourquoi a-t-on toujours besoin de la peur pour changer quoi que ce soit ? On n’avait pas besoin du benzène pour comprendre que les enfants ont besoin de bouger, que, s’ils allaient à l’école à pied, ils auraient moins « besoin » de Ritalin, ils auraient moins d’allergies, ils seraient plus autonomes, ils regarderaient moins la télé…. J’attends une étude scientifique qui démontre que la protection excessive des enfants quand ils traversent les rues engendre un affaiblissement de l’étrier qui cause plus tard un relâchement du marteau et dans la maturité de très fâcheuses enclumites aiguës[1].

 

1972. Conseil municipal de Talamona, un village de 4 000 habitants bien éparpillé sur un conoïde dans les Alpes. À l’ordre du jour, le transport des enfants à l’école. Sur vingt conseillers, seulement deux espèces de farfelus pseudo-révolutionnaires s’opposent. Et, pour être contre, ils s’appuient sur des arguments réactionnaires : à mon époque on faisait quatre fois par jour une marche de trente minutes ! Quand mon père était petit, il faisait deux heures de marche pieds nus pour aller à l’école ! On leur fit noter qu’ils résistaient au progrès, que se fatiguer pour aller à pied à l’école n’était pas nécessairement bien … Ils avaient raison, les hommes du progrès. Deux ans après, les autobus scolaires passaient timidement dans les rues étroites du village Ils avaient raison, les deux farfelus quand ils disaient que la fatigue c’était bien pour les enfants, qu’ils avaient bien plus besoin de marcher maintenant que cinquante ans avant. Que faire quand tout le monde a raison ? Laisser tomber la raison ? Passer au jeu ?

 

1994. Un des deux farfelus, expatrié à Montréal, propose sérieusement qu’on s’engage dans un mouvement pour planter des arbres dans la majorité des rues de Montréal et pour faire passer les autos dans les ruelles. Il faut que l’entrée des maison donne sur des jardins, qu’il dit. Ils le traitent de fou et ils ont raison. Mais il a raison car il est fou. Entre la folie de la raison et la raison de la folie, le choix peut bien difficilement être raisonnable.

 

29 mars 2001 Révoltée. Malinowski : « La culture se refuse de se comporter en révoltée et répugne aux excès. » Il serait plus vrai de dire que la culture définit comme « excès » ce qui est hors d’elle et quand elle l’intègre, cet excès perd sa désignation d’« excès » même s’il reste tel quel. Ce qui est bien normal car « intégrer » ne veut dire rien d’autre qu’éliminer l’excès.

 

30 mars 2001 Rire I. Je n’aime pas le rire malin de celui qui se moque de la fable de la Vierge et du Saint-Esprit. Je le trouve vulgaire comme un enfant fier d’avoir si bien singé un adulte.

 

Rire II. Je n’aime pas le rire ventral de celui qui, satisfait de sa petitesse, cherche mon appui.

 

Rire III. J’aime le rire qui rit.

 

31 mars 2001 Femmes. Elles ont entre soixante-dix et vingt-deux ans. Elles chantent, rient, se moquent. Aidées par le vin, elles ôtent les derniers restes de pesanteur. L’allégresse s’installe sans que la dignité déloge. L’intelligence pétille, les mains dansent dans l’air charmé, les yeux ne cessent de briller. La maison vit.

 

Premier avril 2001 Variations en Si pour trois jeunes Québécois.

 

A.

 

Si j’avais une baguette de fée

Les trois j’endormirais.

Si j’avais une baguette de fée

De mes parents, de mon aimé

Le temps j’arrêterais.

Si j’avais une baguette de fée !

Et puis je partirais :

« Aller simple, pour la Havane, s’il vous plaît. ».

Estudiar, bailar, cantar[2]

Y el tiempo devorar.

Deux ans, deux ans et après

D’un baiser

Les trois je réveillerais

Pour danser, rire et chanter

Et le temps arrêter,

De nouveau, d’un baiser.

 

* * *

 

J.

 

Si elle avait

Quelques saisons de plus,

Le cheveux roux et crêpelés,

La peau blanche comme ses cahiers

Les cuisses d’amours sans cesse férues

Les yeux de jade dissolue

Le rire mutin, la larme zélée

L’esprit coupant dans la mêlée

Alors…je téléphone

 

011 33 1 567253

    Je ne suis pas là. Si c’est important appelez à l’enfer, Toi Esther, appelle chez Isa.

    Salut, comment vas-tu ? Tu sais, notre voyage… la Grèce et la Turquie… J’ai peur que… je ne peux pas… je ne peux plus… j’veux dire elle ne veut… non… elle
ne peut pas… tu sais je l’aime… la première fois… elle m’aime aussi… Tu sais…
tous nos projets… la Grèce et la Turquie… j’y ai bien pensé… elle ne peut pas…
Alors moi… Tu vas comprendre…n’est-ce pas ?… Non, je ne viendrai pas… C’est bien dommage…

 

C’est bien dommage ! que puis-je faire

Si elle n’a pas ce qu’Elle avait ?

—Allô, Yann ? Je pars le treize.

 

* * *

 

M.

 

Si l’autre avait

Un peu plus de tout,

Si l’autre avait

Un peu plus de toi

Tu ne m’aurais jamais

Traînée.

Si je n’avais

La tête en feu

Jamais,

Te lo giuro[3]

Mai

La tête

Baissée

J’aurais



[1] En d’autres mots, une catastrophe pour le sens de l’ouïe. 

[2] Étudier, danser, chanter et le temps dévorer.

[3] Je te le jure, jamais.