8 octobre 2001 Tas de gens. Boèce (480-525) écrit que peuple et tas sont des unités obtenues par agrégation de multitudes. Il ne fait pas de différence entre peuple et tas. Vision d’aristocrate ? Je ne crois pas. Ignorant curieux, je parlerais plutôt de glissement de signification de peuple. Le peuple de Senatus Populusque Romauns n’était pas une communauté ethnique et  n’avait pas d’âme nationale. Le peuple romain comme un tas de gens et les peuples du XXe comme des tas de merde ? À vous la difficile réponse.

 

Tas de bombes. Ça y est. On a attaqué Kaboul. Ça n’ira pas.

 

Tas de choses. On en dit de choses sur le terrorisme, sur les Américains (méchants), sur les Taliban (fanatiques), sur l’Occident (prétentieux), sur les Musulmans (intégristes)… On veut récupérer les « bons » musulmans pour qu’ils nous aident contre les méchants (Taliban). Grave erreur. Il n’y a pas de bons Musulmans, ni de bons Chrétiens, ni de bons Juifs. Il y a des gens (bons et méchants, si vous êtes intéressés à de catégories si mauvaises) que les religions rendent fanatiques. Dans un monde où on n’a plus besoin de religion, la religion ne peut qu’être artificielle — bien plus artificielle que la technique. Mais, si « l’artificialité » de la technique nous déstabilise, celle de la religion nous ancre dans la haine de la vie (la nôtre) et de celle des autres. Vous me direz que c’est la « mauvaise » technique qui jette les gens dans les bras de la religion ! Que vous êtes mauvais (sans guillemets) !

 

Taper dans le tas. C’est simple. Ça défoule. Ça fait peur.

 

9 octobre 2001. Variété. Non seulement l’homme est un mammifère parmi d’innombrables autres mammifères, mais les mammifères sont une infime partie de la faune terrestre dont le 80 % est constitué d’insectes. Peut-être que les entomologistes aussi, comme les pilotes d’avion, risquent le chômage : ce qui est certain c’est qu’ils ne risquent pas de s’ennuyer. Et les studieux des gestes des hommes ? S’ils sont moindrement intelligents, ils risquent de s’ennuyer et pas forcement parce qu’on est seulement six milliards, mais parce qu’ils — les humains[1] — répètent sans arrêt les mêmes idioties.

 

Écuelles. Il me demande : « Pourrais-tu rendre un culte à quelque chose ? » Il croit que je lui répondrai que non et il est déçu quand je lui dis que je suis xylolâtre. Inutile d’ajouter que mes idoles en bois sont mes écuelles, il ne comprendrait pas. Il est trop habitué à la céramique et au verre, des matériaux propres, sans inertie odoriférante. Des contenants qui ne font que contenir.

 

10 octobre 2001. Avions. Les avions de guerre américains sont beaux. Très beaux. Les porte-avions sont des musées parfaits pour ces œuvres d’art mobiles. Mais ils portent la mort dans leur ventre ! Depuis quand l’art a-t-il eu peur de la mort ?

 

Alternatives. Ni avec les Américains ni avec les Taliban. Pas d’autres alternatives ? Au moins une autre (si on oublie les deux positions intenables pour un homme de gauche : avec les Talibans ou avec les Américains) : avec les Américains et avec les Taliban (deux facettes pas tellement différentes de la médaille humaine). Et pour une femme de gauche ? Il n’y a pas d’autres alternatives que de ne pas se laisser entraîner dans ce jeu d’alternatives.

 

11 octobre 2001. F.F.F. Le fanatisme est le fumier du fatalisme. « L’homme ne changera jamais ! On est encore aux guerres de religion ! », braillent les fatalistes. Non. On n’est pas aux guerres de religion. L’Occident n’a plus de religion (ceux qui disent que la consommation, la technique ou l’économie sont la nouvelle religion, n’ont rien compris ni à la religion, ni à la consommation, et encore moins à la technique ou à l’économie) et le reste su monde s’accroche aux derniers pets de Dieux.

 

12 octobre 2001. Prétention. J’avais pris des notes pour critiquer un texte de Rilke. Je ne sais plus dans ce qui suit ce que j’ai pris de lui. Tout ? Rien ? Je ne sais pas. L’amie qui m’envoya le texte pourra certainement m’éclairer. La poésie est poésie quand elle nous ramène à quelque chose d’indistinct (pour la raison) qui est pourtant clair (pour le reste). Mais la raison a sa raison d’être dans l’indistinct : dans le flou et le vague elle s’entraîne à bâtir ses labyrinthes ; là elle trouve les matériaux pour construire un monde qui s’alimente de confusion  Pour éclaircir cet indistinct il faut à la raison un temps infini, comme le temps pour paraphraser un poèm. Qu’on ne puisse que récréer la poésie et non la traduire est une conséquence immédiate de cette « indistinction claire ». Toute poésie est indistinction claire. Même la poésie la plus cérébrale, celle qui happe les produits de la raison, les masque avec le tout, et offre l’indistinction du tout à travers le hublot du détail. Que les rapports amoureux relève d’une source poétique ce n’est pas un hasard : seulement là où la raison se tait, on peut absorber l’autre ou dans l’autre se diluer. Mais là où la raison se tait, ce n’est pas la déraison qui domine. La déraison est là où la raison s’immisce de choses qui ne la concerne pas. Comme l’amour, la poésie ou la haine. Comme la haine ? Oui, comme la haine. Celle personnalisée et non pas la haine ethnique ou de religion qui, au contraire, sont les fruits d’un travail acharné de la raison pour inventer des différences abstraites.

 

Sexe. Le sexe, comme l’amour, la haine et la poésie, vit dans l’indistinct clair. Ce n’est pas un hasard si paraphraser une poésie est inutile comme expliquer un orgasme à ceux qui n’en ont jamais eu. Inutile (parce que le mot ne peut dire que ce qu’on connaît déjà) et dangereux (parce que, capables de répéter le bon mot, on croît connaître).

 

13 octobre 2001. Livre et montagnes. Pour des dizaines d’expressions paysannes qui meurent, des centaines naissent. Moins poétiques ? Sans doute pour ceux qui, ayant vécu sur la queue de la paysannerie, pédants, les transforment en vides expressions littéraires et ignorent que la « poésie » de ces expressions n’est souvent qu’une fermeture au monde. Ce qui n’a cesse de fasciner les sujets en dérive. Comme les Taliban : ces paysans à l’horizon limité par un livre et des montagnes.

 

14 octobre 2001. Certitude I. La psychanalyse : le plus beau mythe que l’humanité inventa.

 

Certitude II. Le Coran et la Bible : des livres plus dangereux que Mein Kempf. Ce qui peut avoir des conséquences fâcheuses.

 

Certitude finale. De certitude en certitude, jusqu’à la certitude finale. Celle qui ne nécessite pas d’aide mais qui trouve toujours des gens prêts à l’épauler.



[1] Les studieux des humains sont des humains. Moi aussi.