22 octobre 2001 Énumération. Guerres, banques, croisades, élections, religions, télévisions, experts, bourses, écoles, nations : aux larmes citoyens !

 

23 octobre 2001. Rêve de mort, rêve de vie. Un énorme café parisien vide… un cercueil à la place du zinc… un court T-shirt et des souliers oranges… rien d’autre… assise dans un fauteuil en cuir… talons unis sur le bord et épaules appuyées aux genoux grand-ouverts, une femme se masturbe… cette femme c’est moi… en même temps ce n’est pas moi… je ne veux pas que ce soit moi… je regarde les mains… c’est bien les miennes… elle… je… je fixe les grandes lèvres trop gonflées d’un sexe qui n’est pas le mien… j’en suis sûre… mais les mains… je regarde le visage trop fardé du mort… tout se multiplie à l’infini dans les miroirs qui se font face… les morts c’est M…. au moins par moment ce sont M…. d’autres, mon cousin de Grenoble… le café se remplit d’inconnus… j’ai l’impression qu’ils ont toujours été là… des inconnus… non… pas des vrais inconnus… je les ai déjà vus… à la télé ?... ils parlent naturellement… ils ne se soucient ni de mes activités ni du mort… un jeune homme se met à cheval sur le bras de mon fauteuil… il a des shorts très larges qui laissent pendouiller une bitte noire… elle s’allonge lentement… ça me dégoûte… elle commence à frétiller sur le plancher… je la prends... je lui fait faire sept spires autour de ma cuisse… ça prend beaucoup de temps… des années … je suis fort étonnée qu’après tant d’années rien n’a changé… mêmes bruits… mêmes gens… je ne sais pas comment je peux savoir que ce sont les mêmes gens mais je le sais… je veux dire que je le savais dans le rêve… l’homme au sexe entortillé continue à parler avec le type qui lui tourne le dos... un petit costaud… peut-être toi… une main me caresse les cheveux… deux autres me tordent les mamelons… une troisième main me fouille le sexe… je suis tranquille… un bébé dans les bras de sa mère… j’ai mal à la jambe… cet espèce de serpent se raidit et me serre toujours plus la cuisse… je veux crier mais je ne peux pas… je suis complètement immergée dans l’eau... une eau dense et gélatineuse… je regarde dans le miroir… des dizaines de  femmes et d’hommes nus m’observent… sérieux… comme dans le dernier film de Kubrick… le cercueil est maintenant devant le fauteuil… une énorme bague rouge tombe de mon doigt et s’écrase sur le front du mort… on porte ma main sur le sexe d’une femme…. une main très poilue accompagne mes courtes caresses à un clitoris long comme mon petit doigt… elle sourit… c’est L…. une grande rousse au sein borgne me suce les orteils… elle enfile le pied dans son sexe… péniblement… me supplie de le bouger… impossible… ses lèvres sont les mâchoires d’un étau… je lui demande de m’aider… lentement elle relâche… une nappe baveuse mouille le pied… je commence à remuer le pied…. je frotte l’utérus au rythme de ses gémissements... la main qui me caresse a disparu dans mon ventre… les doigts grattent l’intérieur comme… comme une souris prisonnière dans une boîte de souliers… la main-souris m’ordonne de me mettre à genoux… elle me fait venir pendant des heures... la cyprine coule et forme une énorme flaque sur le fauteuil… ça déborde… ça coule dans le cercueil qui se remplit de petits poissons blancs… le poisson le plus gros se transforme en vers… un énorme vers noir qui sort de la bière… cris et gémissement sourdent du cercueil… une voix désagréable m’ordonne de me mettre à quatre pattes… l’homme en short dénoue sa queue et la met en équerre… je m’agenouille… j’appuie le ventre et la crevasse des seins sur le côté horizontal de l’équerre... deux adolescents pincent mes seins… ils les font osciller… ils rient… quelqu’un me relève la tête en me tirant par les cheveux… devant ma bouche deux figues… je les aspire… je tire comme si je devais les détacher de leur branche… Sois plus délicate… les figues sont devenues les couilles d’un vieux à barbe blanche qui me parle en pleurant… de ses doigts tremblotants il me libère la bouche… Excusez-moi… et il s’éloigne avec ses couilles piteusement pendouillantes… les adolescents ne cessent de rire… L’un d’eux plonge sa tête dans la crevasse des seins… le deuxième presse un sein contre l’autre… la tête du premier disparaît... j’ai honte… Je vais t’étouffer, je vais t’étouffer, glousse la petite peste… il me mord le cou… il donne des coups de pieds aux seins… il devient rouge… il est le fils de M…. l’autre ne rit plus... il ne bouge plus… j’ai peur qu’il ne soit mort… étouffé… je demande de l’aide à un géant… il les gifle… il prend les seins dans ses mains… énormes… il les pelote délicatement… une délicatesse que je n’avais jamais connue… il commence à les serrer très fort… toujours plus fort… je crie… Encore, encore… je veux qu’il me les arrache... Il parle une langue que je ne connais pas… du chinois ?… il n’est pas chinois… il chuchote quelque chose… un dirigeable entre dans le café… il traîne une énorme banderole jaune et bleue avec écrit : Tu aimes qu’on te fasse mal. Tu vas voir…. sans lâcher les seins le géant s’accroupit derrière moi… un sexe en tire-bouchon lui sort du nombril…il le met dans mon cul... ça brûle… un tunnel se forme entre mes deux trous par où passe un TGV bourré d’enfants... je sens que mon ventre va exploser… j’ai peur… je veux arrêter le TGV qui se perd dans mes entrailles… les enfants crient et frappent avec leurs poings verts sur le vitres… je crie et frappe avec me poings le cercueil… le TGV est rempli d’eau… les enfant se noient… je pleure… les larmes se mêlent à la cyprine qui ne cesse de couler… d’où vient tout ce liquide ?… J’ai peur… peur de mourir desséchée… Un homme barbu avec un chapeau de SS crie de ne rien craindre... la cyprine vient de l’âme, elle est inépuisable… je suis contente… orgueilleuse… je lui lèche les couilles… Il vient sur mon visage… il rit... il rit… des litres de sperme coulent en se mélangeant à mon jus… je ne peux plus respirer… Ne crains rien. C’est finiLe sperme vient des gonades et s’épuise vite... toi, continue à jouir… continue… comme une brave petite fille… au revoir… c’était M. qui m’avait parlé… M. en SS... je hurle.

 

À ce moment-là tu m’as réveillée.

 

24 octobre 2001 Protection. Ceux qui s’engagent dans la protection des langues quand ils ne sont pas des cons, ils sont ridicules. La langue ne se protège pas, c’est elle qui protège. Mais si par protection de la langue ils veulent dire laisser qu’une langue dise ce qui est, alors la seule protection est la poésie. La poésie qui est imperméable à tout métissage, intraduisible. La poésie qui est LA langue dans un moment et dans un lieu précis, parce qu’elle est le moment et le lieu précis qui parlent de ce qui est hors du temps et de l’espace. La poésie qui est sans pitié pour les autres langues parce qu’elle est la piété du monde. La langue ne se protège pas, elle nous protège.

 

25 octobre 2001. The Ballade of Reading Gaol. Dans cette ballade Oscar Wilde se laisse parfois aller à la facilité :

Yet each man kills the thing he loves,

By each let this be heard,

Some do it with a bitter look,

Some with a flattering word,

The coward does it with a kiss,

The brave man with a sword

Tout homme tue la chose qu’il aime,

Écoutez ceci vous tous,

Certains d’un regard amer,

D’autres d’un mot flatteur,

Une bombe suffit au couard,

Le courageux emploie le poing.

Moi aussi. Un baiser qui devient une bombe ? Oui. Surtout quand elles sont accompagnées de sacs de nourriture.

 

This too I know — and wise it were

If each could know the same —

That every prison that man build

It build with bricks of shame,

And bound with bars lest Christ should see

How men their brothers maim.

 

Je sais aussi — la sagesse serait

Que tout homme le sache —

Je sais que les prisons en brique

de honte les hommes bâtissent,

Et que l’enceinte empêche Amour

de voir le frère mutiler le frère

 

Ce « Christ » ne pouvait pas ne pas tomber, en cette époque de retour du religieux. N’est-ce pas ? Est-ce que quelqu’un en a fait une chanson ? Si Brassens la connaissait…

 

26 octobre 2001. Ensemble.

    Comment fais-tu ? Moi, après cinq heures je ne peux plus.

    Pour moi c’est tout l’inverse, si je n’en bois pas un après sept heures je me réveille au milieu de la nuit avec un mal de tête terrible.

Dans ma vie, pas très agitée — il faut l’admettre — j’ai échangé des centaines de fois de telles banalités sur le café. Vous me direz que dans une vie banale on ne fait que dire des banalités. Sans doute. Mais l’autre soir l’amie de mon amie a répliqué à son ami qui avait décidé de prendre un café même s’il était sûr de ne pas dormir, avec un coup de maître pas banal :

— Moi aussi. Comme ça on ne dormira pas ensemble.

Qu’en pensez-vous d’une conclusion vite tirée ? Dans une vie banale seuls les jeux de la langue rehaussent l’esprit.

 

No comment. Lu sur une boîte de somnifères : « Insomnie adulte ».

 

27 octobre 2001. Éloges. Deux choses m’irritent plus que l’éloge des perdants : l’éloge des perdants fait pas les perdants (j’y vois un misérabilisme honteux) et l’éloge des perdants fait par les gagnants (j’y vois une condescendance onctueuse). C’est quoi ces catégories de gagnant et de perdant ? Des simplifications pour esprits simples ! Moi, qui n’ai pas honte d’être un esprit simple, je les emploie quand j’en ai besoin et aujourd’hui j’en ai un sacré besoin : je viens de lire Éloge du mouton de Pierre Aubé et le mouton (comme l’âne et la paresse) est un perdant que, de nos jours, on a une forte tendance à louer. Personnellement je préfère les éloges de l’aigle, du cheval ou de la folie même si cela me ternit auprès de mon cercle, même si cela me rapproche des fascistes ou des communistes. Et ne me dites pas que la faiblesse est la vrai force (ces renversements sont encore plus faciles que mes catégories) ou que les perdants sont toujours les mêmes (les perdants ont sans doute toujours été les mêmes, mais il est certain qu’ils le seront toujours plus si on continue à louer leur faiblesse comme font les hommes de religion et les hommes d’argent pour leurs intérêts dans le monde des cieux et dans celui de la terre). Mais il y a encore pire que cela : il y a l’éloge de n’importe quoi pour le goût de montrer qu’on peut louer n’importe quoi. Tout cela, au fond, serait sans importance si ces éloges, si détachés en apparence, n’étaient pas un immense éloge à l’utilité. Pourquoi pas un éloge de la merde donc ? Elle est fort utile. Attelez-vous à vos claviers, écrivez vite cet éloge de la merde qui vous donnera une renommée de… merde.

 

J’ai oublié de dire que le livre de Aubé est un livre exquis qui accompagne des bouchées de foie gras mieux que du Sauternes.

 

28 octobre 2001. Sourire. En d’autres moments ils me feraient sourire. Ceux qui, aveuglés par les lieux communs d’une technique aveugle, papotent dans la basse-cour du sens. Mais je ne sais pas sourire, quand je vois les hommes marcher au pas de la foi vers l’autel des massacres. Pleurer non plus. Il faudrait sans doute rire. Rire et hurler. Leur faire peur. Rire et frapper ces oies qui se croient hommes, ces moutons qui croient penser, ces ânes qui aiment du bâton, ces paresseux résignés au mal.