Premier avril 2002. Devinette pour intellectuels. Trou vais l’anime mâle qui re jambe de vent la mourre de lamé répare-le. (Les fûts thé qui trouent vers ont lare ponce or on doigta hune biais rechercher Bis trop d’lutte.)

 

Devinette pour pédants. Que veut dire : « Elle a la langue à la bouche et non à la bourse » ? Même prix que pour la devinette I.

 

Devinette pour coquines. Que veut dire : « Elle a la langue à la bouche et à la bourse » ? Même prix que pour la devinette II, qui est le même de la devinette I.

 

2 avril 2002. La bourse. D’entrée de jeu, j’annonce que je ne connais rien des mystères de la bourse. À vrai dire, je ne connais rien des mystères tout court (j’ai toujours detesté les mystagogues qu’ils soient Lacaniens, Chrétiens ou Islamiens, et, si j’ai failli devenir myste du lacanisme, ça n’a pas duré plus de quinze ans) et de la bourse non plus (imaginez-vous, que je n’ai jamais compris pourquoi le tripotage de la bourse permet d’injecter du liquide même dans des compagnies sans attraits). Pourquoi donc écrire sur la hausse des actions d’Oracle du 15 décembre 2000 quand un manager de la compagnie, Jeffrey O. Henley, annonça que, contrairement à Microsoft, Oracle était « in the right market at the right time » ? Parce que Mr Henley a été tellement malin que les actions ont bondi et Mr Henley a vendu en gagnant 31,1 millions de dollars et que, par la suite, la valeur des actions est passée de 32 $ à 13 $ ? Non. Je n’ai jamais pensé que les gestionnaires des compagnies étaient plus honnêtes que les banquiers, que les hommes politiques, que les épicières ou que les journalistes. J’en parle parce que ça m’étonne qu’il y ait encore des gens pour croire que la parole n’est pas la plus grande source de richesse. Richesse en dollars pour les managers, pour les acteurs, pour les avocats, pour les psys, pour les politiciens, pour les journalistes, pour les commerçants, pour les syndicalistes, pour les entrepreneurs, et richesse en temps pour les professeurs, pour les intellectuels, pour les piliers de bar et pour les prêtres. Il y a encore des îlots où l’action aussi donne de la richesse : le sport (certains sports), les putes (certaines putes, celles qui louent leur vie), la pègre (une certaine pègre, les hauts-gradés de la mafia ou des armées, par exemple) mais pour le reste, l’action ne sert qu’à donner assez pour continuer à travailler jusqu’à ce que solitude[1] s’en suive.

 

Si je dois être sincère, ces histoires de managers qui mentent pour s’enrichir me dérangent moins que tous ces discours sur l’éthique. Imaginez quel plaisir quand j’ai lu ces fragments d’un poème philosophique sanskrit du septième siècle :

 

Les ronces lacèrent l’habitus [que] l’habitude étale… la règle qui freine les mou[vements] de la vie noircit comme [la braise] qu’Urs-ul-an ne souffle… [le] manque d’habitudes [communes] fait [naître] le soleil de la longue [vie].

 

3 avril 2002. Éthique.

L’éthique étouffe.

L’éthique tue.

Aï, monde éthiqué, monde sans espoir, monde de peur, monde d’éthique.

 

L’éthique étouffe

L’éthique cache

Éthique du travail, travail de l’éthique

Esclaves de l’éthique, éthique des esclaves

 

Ethique étique.

 

Que faire,

Que faire quand vos amis

Sombrent dans l’éthique ?

Boire la mer ?

Sombrer comme eux ?

Les attirer avec une âme sondeuse ?

 

Et tic et tac…

Laisser que le temps

Et tic et tac

Laisser que le temps

Et tic et tac

Laisser que le temps

Nous habitue à l’absence

 

4 avril 2002. Peur de voler. « Garde les pieds sur terre. » cette exhortation, adressée à un ami qui s’emballe et risque de se casser la figure contre le premier poteau venu, est un moyen pour déjouer une psyché gonflée de désirs qui ne peut qu’exploser dès que l’atmosphère se raréfie. Elle peut aussi être un appel à un réalisme de bas étage et à une acceptation misérable des méfaits de la vie (et que cela soit le fruit d’une traversée qui a laissé trop d’ecchymoses sur les sentiments de celui qui exhorte, ne lui donne pas plus de crédit). Mais, tous comptes faits, cette exhortation adressée à quelqu’un qu’on connaît, a quelque chose de bon et d’inéluctablement nécessaire ; elle est l’indice d’une participation aux malheurs possibles d’autrui sans laquelle il est difficile d’imaginer, je ne dis pas une société humaine mais même un petit cercle, tout petit, à deux, par exemple.

 

Quand cette exhortation change de cible et devient une proclamation politique ou philosophique « il faut garder les pieds sur terre », ou une invitation masquée au renoncement « gardons les pieds sur terre », alors il faut commencer, sinon à voler ou à sauter, au moins à marcher (qu’en gardant les pieds sur terre on puisse seulement glisser devrait faire réfléchir l’armée de réalistes qui proposent aux hommes l’objectif de caresser le terrain comme des vers de terre), en levant un pied après l’autre.

 

Certains ne volent pas plus loin qu’une vieille poule, d’autres comme des outardes survolent des pays entiers ; il y a ceux qui volent quand le poids de l’âge ne les opprime pas encore et il y a ceux auxquels les années font pousser les plumes ; on peut voir des hommes tranquilles s’envoler des bras de leur femme et des don juans baisser les ailes pour picorer dans la cour de leur bobonne… On a tous besoin de voler et c’est pour cela que « garder les pieds sur terre » ne peut pas devenir un principe de vie en société. Que, quand certains volent, d’autres soient tranquillement plantés dans leur salon ou que quand certains se cassent la figure en retombant sur la tête d’autres s’entraînent à voler, c’est normal, plus que normal. La manière la plus juste de « garder les pieds sur terre » c’est de ne pas toujours garder les pieds sur terre. Ceci est vrai surtout pour ceux qui écrivent des livres, car lorsqu’ils ont trop les pieds sur terre leurs livres sont inutiles et dangereux : ils empêchent deux fois de voler : la première parce qu’ils font rester assis[2] à les lire et la deuxième parce qu’ils invitent à accepter le monde tel qu’il est. Tel qu’il a été fait par d’autres que nous.

 

5 avril 2002 Poils moyenâgeux. J’ai lu que « Je veux qu’on me tonde si je fais cela », était une expression très usitée, pour signifier une certitude, au moyen âge, quand, en France, selon le code de Charlemagne, raser la barbe et tondre les cheveux était une punition équivalente à la fustigation. J’ai lu et j’entendais des « Oyez, oyez » appeler la populace sur la place d’Amiens pour assister à trente coups de fouets ou aux adieux aux poils. Choses d’autres temps ? Certainement, si j’observe le fils de ma compagne et tous ses copains. Pas si loin que cela, si je pense aux femmes qu’on a passées à la tondeuse en 1945 pour avoir été plus catholiques que le pape — pour avoir aimé l’ennemi. Je ne connais pas les lois islamiques mais j’imagine qu’il y a quelque chose de semblable même si j’ai l’impression que, de ce côté là de la culture, on a des tendances à couper plutôt les mains et les pieds.

 

Poils romantiques. Je n’ai jamais su si j’aimais plus Goethe pour sa capacité d’être puissant parmi les puissants sans la jactance des puissants, pour son Faust, ou parce qu’un jour il a dit que les grands amants ne sont pas poilus et ont une pomme d’Adam très marquée. Je crains d’être Goethien, surtout à cause de ma pomme d’Adam qui est comparable à la pyramide de Khéops et de mes 45 poils. Quel choc quand j’ai lu que les femmes préfèrent les hommes comme moi et Goethe, non pas à cause des grandes qualités que les ours n’ont pas mais parce que bien de femmes sont allergiques aux poils des hommes ! Pour imaginer l’étendu du phénomène, il suffit de penser que selon Gloria Steinmeinsein les femmes allergiques aux poils humains sont trois fois plus nombreuses que les femmes allergiques aux chats. Quel coup pour mon ego ! Heureusement que j’ai un ego plus grand que la pyramide de Khéops, comme dit ma rabinette

 

Mot moyenâgeux. Taisance : que j’aime ce mot ! Je rêve d’un monde de taisance.

 

6 avril 2002. Talons hauts.  « Ce n’est pas du respect. C’est de l’indifférence. Des sociétés policées comme la société québécoise ou américaine, à cause de leur peur de la diversité, érigent la diversité en mythe pour ne plus s’en soucier. Le Marocain ou l’Italien qui lance des commentaires vulgaires à la jeune fille vulgairement habillée respecte plus l’autre que le petit Québécois qui ne dit rien parce qu’il ne voit plus rien d’autre que son nombril et celui de ses copines. » C’est à peu près cela qu’elle m’a dit. Je suis d’accord et en même temps pas d’accord. Je ne sais plus quoi penser. Sans doute, comme dit ma copine Rabinette, il n’y a pas de quoi fouetter un rat. Je ne sais plus quoi penser, mais je sais que j’avais une envie folle de lui dire « Retourne en Italie, va au Maroc ! ». Je n’ai rien dit, je ne pouvais pas le lui dire. Elle fait partie de l’espèce en voie de disparition qui sait encore marcher avec des talons hauts.

 

7 avril 2002. Logiciel libre. Il veut faire une maîtrise sur le logiciel libre. Il veut prendre des logiciels disponibles « librement » sur le marché et les intégrer à son produit (il est étudiant mais il a aussi son entreprise en informatique). Malin et surtout disposé à tout pour faire de l’argent. Pourquoi dans la technique et dans les affaires voit-on toujours si facilement le fond des choses. Parce que dans les domaines où la parole règne on l’emploie pour troubler les eaux ? Sans doute. Mais si les eaux étaient trop claires la vie ne serait pas une vie. Pas une vie comme on la vit, aujourd’hui.

 

8 avril 2002.  Les femmes, les hommes, moi (femme) et Nietzsche (homme). Aujourd’hui j’ai envie de me moquer de Nietzsche, de l’emmerder un peu. De l’obliger à me répondre dans un dialogue socratique.

    Une société vieille est une société décadente, n’est-ce pas ?

    Qui pourrait encore le nier après tout ce que j’ai écrit de profond à ce sujet ?

    Mais une société vieille est une société faite de vieux.

    Certes.

    Et les vieux sont plus vieux que les jeunes, n’est-ce pas ?

    Imparable.

    Et une société où la technique a rendu la vie plus facile, est une société féminine.

    Si vous voulez dire que la technique féminise la société privilégiant des valeurs féminines, alors oui.

    Notre société est donc vieille et féminine.

    Oui.

    Étant donné que, comme vous nous l’avez si bien enseigné, il n’y a pas de cause mais de simples suites temporelles, la seule chose qu’on puisse dire, c’est que vieillissement et féminité vont ensemble.

    Oui. La féminité et la vieillesse sont sœurs de la mort.

    Donc, les hommes en vieillissant se féminisent.

    C’est indubitable.

    Leur désir est plus diffus, ils acceptent plus facilement les conséquences des désirs et des non-désirs des autres…

    Oui. Ils acceptent.

    Vous dites « ils acceptent » sur un ton qui en dit long sur ce que vous pensez…

    L’acceptation, quand elle n’est qu’une simple acceptation des autres, est lâcheté.

    Donc, en vieillissant, on devient lâche et féminin.

    Et la femme ?

    Et la femme ?

    Oui, et la femme ? Si elle est féminine dès la naissance, et lâche j’imagine…

    Lâche quand elle n’accepte pas sa place de consolatrice du guerrier…

    Mais, ce n’était pas le fait d’accepter qui rend lâche ?

    L’acceptation de sa condition de femme n’est pas une acceptation des autres, c’est une acceptation de soi et ce n’est pas de la lâcheté.

    Et la femme ne change-t-elle pas en vieillissant ?

    Oui, elle devient autonome, dure.

    Elle devient masculine ?

    D’un certain point de vue…

    Donc en vieillissant les hommes et les femmes échangent leurs fonds.

    Oui.

    Et vous ne nous avez jamais dit cela !

    Je...

Il m’a regardé avec un regard si triste que j’ai eu honte de ma conversation. Il est trop facile de mettre en difficulté un homme de 158 ans, surtout s’il a passé les 113 dernières années à regarder les intellectuels qui lui faisaient dire n’importe quoi.

 

Je me suis tu et je ne lui ai pas dit que tout est plus simple et moins « métaphysique » qu’il ne le pensait. En vivant ensemble, en s’aimant, en se baisant les hommes s’élancent vers la position des femmes et les femmes vers celle des hommes mais, quand il se rencontrent, ils ne réussissent pas à s’arrêter, tellement ils ont mis de fougue dans leur déplacement. L’inertie est si forte que chacun se retrouve à la place de l’autre. Quand il s’en aperçoivent c’est trop tard : la mort a déjà creusé une tranchée profonde de mille pieds et large de huit cents.

 



[1] Pas celle qui fascine Moustaki, mais celle qui vous laisse seul si vous n’avez pas de paroles à vendre.

[2] Version plus pessimiste : ils font perdre du temps.