15 avril 2002 Fraises et myrtilles. Avant que le marché ne fût envahi par des fraises gonflées à l’eau, lorsqu’elles n’étaient pas beaucoup plus grosses que les myrtilles, il était pratiquement impossible de trouver quelqu’un qui préférait les myrtilles aux fraises. Même les fascistes les plus rougephobes préféraient les fraises rouges aux myrtilles noires. Si vous voulez une confirmation savante, prenez le miroir de la langue — un dictionnaire, de la langue française, dans notre cas — et regardez le nombre d’entrées pour les deux mots. Il y en a une seule pour Myrtille et quatre pour Fraise. Quatre, c’est beaucoup. Pour donner un idée de la rareté il suffit de considérer que de A à Ains, dans le Grand Robert, il n’y a aucun mot avec quatre entrées et il y en a seulement trois avec trois entrées (AA, adresse et affecter).

 

Les myrtilles sont les myrtilles, même si on les appelle bleuets quand elles poussent en Amérique. Tandis que les fraises sont les fraises, mais aussi :

·        La membrane comestible, blanche et plissée, qui enveloppe les intestins du veau et de l'agneau.

·        Le bout du sein.

·        La tête.

·        Petit organe érectile siège du plaisir féminin selon certaines théories réductionnistes.

·        La collerette plissée et empesée à plusieurs doubles que portaient hommes et femmes au XVIe siècle et au début du XVIIe.

·        La membrane charnue, granuleuse et plissée d'un rouge violacé, qui pend sous le bec du dindon.

·        Les pieux[1] battus autour d'une pile de pont.

·        La palissade légèrement inclinée, plantée au sommet d'une escarpe.

·        Le petit outil d'acier, de forme conique ou cylindrique, servant à évaser circulairement l'orifice d'un trou percé dans le métal ou le bois.

·        L’instrument muni de dents tranchantes microscopiques, agissant par rotation, utilisé pour percer des trous dans un os ou évider les parties cariées d'une dent.

 

Une vraie kyrielle, même sans considérer des expressions comme « aller aux fraises[2] », « bouche en fraise », « sucrer les fraises », « se payer la fraise de quelqu’un », etc. qu’on pourrait difficilement imaginer pour les myrtilles.

 

Rien d’étonnant qu’il y aient au moins quatre fois plus de fraises que de myrtilles dans les dépôts de l’écrit, surtout si on pense que dans les bois il y a des centaines de fois plus de myrtilles que de fraises et que la parole écrite, depuis sa naissance, a le rôle narcissique de nier la réalité.

 

16 avril 2002. Génial. « Il nous faut aussi nous débarrasser de la connotation péjorative que nous attachons d’ordinaire au terme imitation et voir qu’il y a autant de génie dans l’imitation que dans l’original ; l’insertion d’une citation peut être plus fructueuse que sa première conception. » Je ne sais pas si l’insertion de cette citation dans mon texte est plus fructueuse que sa première conception qui, théoriquement — théoriquement car elle n’apparaît pas avec l’ornementation propre aux citations — s’est fait dans la tête de Kurt Flasch avant qu’il ne l’intègre dans son livre Introduction à la philosophie médiévale[3]. Si on mesure le fructueux avec le mètre du nombre de lecteurs, l’original sera plus fructueux, mais si on le mesure avec le mètre du mouvement neuronique… je ne sais pas. Ce que je sais, par contre, c’est que je comprends le lien que K. Flasch fait entre imitation et citation seulement si je le projette dans le cône de lumière du couple Adorno-Benjamin. Le premier nous a fait une tête « comme ça » contre l’originalité et le deuxième s’est fait un nom avec ses citations. J’imagine que, comme tout Allemand qui fréquente les livres de philosophie, Flasch est aveuglé par la lumière du couple et, aveuglement, il avance. Et, en avançant aveuglement, il risque de se perdre. L’insertion d’une citation, si elle est montrée comme citation, n’a rien en commun avec l’imitation : souvent elle est un moyen de critique ou de recherche d’une autre originalité (comme je suis en train de faire maintenant) ; si on ne montre pas qu’il s’agit d’une citation, elle n’est pas une citation, elle est un plagiat ou une appropriation. Une citation est une citation parce qu’elle est habille en citation, parce qu'elle est guillemetée. Appeler citation une citation nue est une opération qui, sous son air intelligent, est une tricherie, c’est-à-dire de l’intelligence pure (ou nue). Pour se convaincre que l’intelligence nue est tricherie, il suffit de jeter un regard intelligent sur l’histoire ou, si on est disposé à courir des risques, sur ses amis. Pour ne pas tricher, l’intelligence a besoin du voile de l’amour ou du chapeau de la haine ou… de n’importe quel autre morceau d’esprit. Si je n’étais pas trop timide je dirais que l’intelligence nue quand elle n’est pas tricherie, n’est qu’excès d’intelligence et donc de la bêtise —  ce qui dans certaines échelles de valeurs est bien pire. Avec tout cela, je ne suis pas en train d’accuser Flasch de bêtise, il est clair que son intelligence porte au moins les vieilles petites culottes de Benjamin. Mais, même en laissant de côté la relation, qui n’est pas une relation, entre citation et imitation, je ne comprends pas ce qu’il veut dire quand il écrit qu’il y a « autant de génie dans l’imitation que dans l’original ». Je comprends seulement s’il veut dire qu’il y a « autant de génie dans l’imitation géniale que dans l’original génial », ce qui ne me semble pas fort génial. Mais au fond, on n’a rien à foutre du génial dans notre époque si même un cheval peut être génial. Lalla lalla lalla la (remplissage sonore pour empêcher à vos yeux de voir, avec leur queue, quand ils ont vu génial, ce qui suit cette parenthèse). Le cheval génial non guillemeté, n’est pas une citation mais un simple clin d’œil pour ceux qui connaissent Musil et du plagiat pour les autres.

 P.S.

Ni dans clin d’œil, ni dans génial, ni dans plagiat il n’y a de coloration morale

 

17 avril 2002 La fraise des dentistes. Il fut un temps où j’enviais ceux qui n’avaient pas de caries. Quelle sotte ! Apeurée par fraises, curettes, daviers et pulvérisateurs, obnubilée par ces espèces d’osselets (qui ne sont pas des os, en vérité) formant un collier pour la langue, sensible à mon mal comme s’il était la seule chose qui comptait au monde, en un mot, toute prise par le matérialisme « des choses », j’étais incapable de voir les bénéfices spirituels des visites chez le dentiste. Ce n’est que depuis une semaine que j’ai compris la portée des caries. Depuis l’illumination au 1800 Sherbrooke ouest. Maintenant je fais partie de celles qui savent. Que sais-je ? Je sais que le mal aux dents est un bien à l’âme, que les caries sont la porte d’entrée du monde de l’esprit, les déclencheurs du sens, la source de la vraie vie. Sourire radieux de jeunes filles qui ne connaissez pas les fraises des dentistes, je vous plains ! Dentitions impeccables de managers à la mâchoire carrée, vous me faîtes pitié. Vivent le tartre, les dents biscornues, les abcès, les traitements de canal, les ponts, la pulpe (dentaire), la pyorrhée, la parodontite ! Vive tout ce qui nous donne la chance de passer quelques heures dans la salle d’attente d’un dentiste !

 

J’avais rendez-vous à onze heures. Je suis arrivée à onze heures pile.

    Bonjour madame Deville.

    Bonjour.

    Ça s’ra pas long. Le docteur Dassau est avec une patiente, mais ça s’era pas long.

Dans la salle d’attente il y avait seulement un monsieur dans la cinquantaine, l’air méditerranéen, myope comme une taupe, qui lisait Elle Québec avec une extrême concentration. Quand je lui passai à côté pour m’asseoir dans le divan qui faisait face à la porte, il avait son nez à quelques millimètres d’un publicité de maillot de bain et il ne leva même pas la tête quand je lui donnai un gros coup au genou avec mon sac. Je sortis le livre de Philip Roth que je venais de commencer, The human Stain. Ce vieux con qui étudie les maillots de bain… cet autre avec les histoires de Clinton… Non, je ne vais pas lire. Je remets Roth dans mon sac.

    Je m’excuse madame Deville, mais le docteur Dassau doit s’absenter pour une petite heure. Il sera de retour à midi.

    C’est sûr qu’il sera de retour à midi ?

    Oui. Je peux vous commander un café.

    Non merci.

« Il n’y a plus aucun respect du temps. J’avais rendez-vous à onze heures dix et il est déjà onze heure douze ! » C’est le vieux con qui me parlait en évitant de me regarder. Moi, par contre je le regardais mais je n’avais aucune envie d’engager une conversation. Commençons par Time… Ça fait des années que je ne le lis plus. Des années? Je ne l’ai pratiquement jamais lu.

 

Time… Comme d’habitude, quand je feuillette les magazines, je commence par la fin. Minoque ? Ça doit être une nouvelle chanteuse : « En Europe quand un fille est sexy et peut danser, elle n’a pas besoin d’autre chose pour alimenter son image ». Méchants avec les cousins ! Personnellement je ne suis pas sûre que la majorité des Américains demandent beaucoup plus. Si à leur Madonna on enlève le sexy et la danse on se retrouve avec pas grand’chose non plus… Entrevues sur l’Afghanistan… photos de la guerre… les héros… le général untel déclare… le colonel nous a confirmé… J’ai arrêté de feuilleter. J’ai commencé à lire attentivement le premier article sur la guerre. Pas mal. Les Américains sont vraiment les maîtres incontestés de l’ironie et de la désacralisation. Deuxième article. Même ironie, subtile, presque imperceptible. Troisième, une ironie encore plus subtile, pratiquement invisible, pratiquement absente. Absente ? En une fraction de seconde, la lumière se fit dans ma tête. Il n’y avait aucune ironie. C’est comme ça que les journalistes voient la guerre. Comme les enfants. Ils y croient. Et moi qui pensais que les Américains n’étaient pas ainsi bornés que les Européens, que la guerre pour eux était un simple moyen de régler les conflits que les financiers ne pouvaient pas régler ! Non, ils jouent à la guerre et une écharde dans le doigt d’un soldat Américain est plus grave que la mort de trente non Américains. J’ai découvert qu’on écrit sur la guerre comme on a toujours écrit, comme des propagandistes de la supériorité de sa cause. Non… non… arrêtez ! Je ne veux pas ! Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai que le nationalisme est par définition vulgaire et raciste. Non ! Loin de moi images de mort… loin…

    Ça va mieux?

    Quoi ? Qui ?

    Madame Deville vous vous êtes évanouie.

    Évanouie ?

    Oui, en criant : « loin … loin ».

    Loin ?

    Loin.

 

18 avril 2002. Martyre I. Si, comme disait Juvénal, l’indignation fait le vers, il est loin d’être sûr qu’elle fait de bon vers et il est encore moins sûr qu’elle ne tue pas la parole des autres. Mes tirades contre ceux qui poussent les jeunes Palestiniens au martyre l’irrite, mais elle ne veut pas en parler. Elle a raison. Les paroles attisent l’indignation et ferment l’abée du discours. Elle a raison, mais mon indignation, qui n’a pas raison, ne peut pas se taire et, vêtue d’une peau d’agneau, bêle à la lune :

quand les vieux de quarante ans

se suicideront pour la cause,

quand les vieux de cinquante ans

se suicideront pour la cause

quand les vieux de soixante ans

se suicideront pour la cause

quand les vieux de soixante-dix ans

se suicideront pour la cause

alors je bourrerai mon indignation de sédatifs.

Et quand,

et quand,

et quand les héros redonneront vie aux martyrs

alors mon indignation s’anéantira.

 

Martyre II. Le martyr était pour les Grecs le témoin. Les chrétiens dans leur témoignage de mort on fait du martyr un martyre.

 

Martyre III. La jeune religion musulmane, empestée par ses voisins les chrétiens donna une place d’honneur aux martyrs.

 

Martyre IV. Dans un monde où l’on appelle héros quatre soldats tués par erreur et où l’on respecte les martyrs, laissons la vie herbeiller dans le sous-bois de l’indignation.

 

Martyre V. Le martyre : cloaque du ressentiment et témoin de mort.

 

Martyre VI. Rome et le martyre[4] de l’historien G. W. Bowersock est une présentation fort documentée, agréable à lire et riche en surprises pour des gens comme moi qui, dès leur enfance, ont été nourris au biberon de la sainteté des martyrs chrétiens et de la cruauté des empereurs romains. Nul doute que, côté organisation de l’Empire, on n’y allait pas toujours avec le dos de la cuillère, mais il est aussi vrai qu’un très grand nombre de martyrs étaient volontaires : c’est-à-dire qu’ils n’étaient pas persécutés par les Romains mais se présentaient pour témoigner de la foi en Jésus et pour se faire exécuter, Des déments dont la misère psychologique trempait dans des écrits démentiels et dans une parole désespérée. Pour freiner la vague suicidaire, l’institution officielle de l’Église interviendra pour déclarer que le martyre ne devait pas être volontaire, qu’il fallait que l’État romain les persécute. Un empereur comme Marc Aurèle, imbu de rationalisme stoïcien, comment pouvait-il comprendre des misérables comme ce Montanus que le Saint-Esprit avait emprunté pour sommer les chrétiens  de « ne pas mourir au lit, en couche ou de fièvres douces, mais en martyrs, afin de Le glorifier, lui qui a souffert pour vous » ? Comment ne pas comprendre ce gouverneur romain qui, devant une foule de chrétiens qui viennent pour se faire tuer, leur demande pourquoi ils ne vont pas se pendre ou se jeter du haut des falaises ? Et pourtant ces fous de Dieu gagneront et leur désir  de mort embrasera l’Occident pendant deux milliers d’années.

 

Martyre VII. Au martyr chrétien Polycarpe qui, après son entrée dans l’amphithéâtre, avait demandé au gouverneur romain de pouvoir lui donner une leçon de christianisme, celui-ci répond de la donner à la foule. Mais Polycarpe, chef de file de la religion des humbles ne se gêne pas pour dire qu’il n’estime pas la foule digne de l’entendre. On n’avait pas besoin d’attendre la gauche moderne pour mépriser la multitude quand elle n’est pas d’accord avec ses représentants.

 

Martyre VIII. Après leur condamnation à mort, Sainte Perpétue et ses copains retournent dans leur cellule en riant. Orgueilleux de se donner en spectacle. La société du spectacle n’a besoin ni de la télé, ni du cinéma : les écrits sacrés suffisent.

 

19 avril 2002. C. et les hommes. Je suis lâche. Quand je l’ai vue s’approcher avec son pas défait et son air de vieille poupée, j’ai changé de trottoir. Je n’aurais pas su quoi lui dire. La dernière fois qu’on s’était parlé, je l’avais trouvée tellement pathétique que j’avais eu honte de la connaître. Il faut dire que ma relation avec C. a toujours été assez particulière : même si j’ai de la peine à l’admettre, mon affection, que je crois sincère, a toujours était teintée d’un certain mépris. Immérité. C. n’a pas inventé la poudre, c’est clair, mais elle n’est pas plus bête que bien des gars et des filles que je fréquente. Ça doit être à cause de l’affection un peu maternaliste que je suis incapable de l’accepter pour ce qu’elle est. À moins que ce ne soit pas vrai ce que m’a dit Alice, pour me faire chier : « C., c’est ton côté poupoule, c’est pour cela qu’elle te fait honte ». C’est possible. Comme c’est possible que C. incarne, pour moi, un rapport femme-homme comme celui entre ma mère et mon père. Un type de rapport qui m’a toujours fait mal et vers lequel, je ne peux pas le nier, je me sens attirée. Il n’y a rien à faire : une fois que, enfants démunis, on est tombé dans la potion familiale, on ne peut plus passer à côté d’une marmite sans que ses effluves ne sollicitent la mémoire de nos narines. Étonnant, il est neuf heures et elle entre déjà au travail. Elle se tourne. Et si elle me voit ? Non. Quelle chance. Que je suis lâche ! À bien y penser, dans me rapports avec C., j’ai eu trois phases assez distinctes et toutes autour de sa liaison avec F. D…. cette espèce de nullité qui achète des amours naïves avec une souffrance usagée. Dans la vingtaine, c’était la rage contre les intellectuels entourés de pépettes et un légère déconsidération pour les pépettes elles-mêmes. Après ce fut une compréhension tous azimuts : c’était la vie. Au fond, ni ces fils de pute qui exploitaient leur pouvoir pour s’envoyer en l’air, ni les pépettes qui vendaient leur cul au pouvoir des mots, n’y était pour rien. C’était la vie. Dans la quarantaine, la rage est revenue. Une rage contre les intellectuels qui n’osent pas dire que tout leur baratin est de la bull shit et que la richesse de la chair de C. compense mille fois la pauvreté de son esprit.

 

20 avril 2002 Femmes et Noirs. Je ne les comprends pas. Non, c’est le contraire. Ils ne me comprennent pas. Je dois m’expliquer très mal. Comme pour les suicidés palestiniens. Je suis pour Mugabe parce que je trouve que l’expropriation des Blancs est politiquement nécessaire, esthétiquement belle et techniquement complexe. Je m’en fous s’il a choisi un moment de crise personnelle pour déclencher l’expropriation. Je m’emporte. Tout devient trop clair dans ma tête et trop confus dans mes mots. Les trois Sénégalais ne sont pas d’accord. Ma compagne dans le taxi : « Comme d’habitude, quand tu veux être plus Noir que les Noirs et plus femme que les femmes, tu deviens artificiel. » Si je n’étais pas si en colère contre tous les imbéciles qui se refusent à comprendre l’importance de renvoyer les colonisateurs blancs dans l’île de sa Majesté Élisabeth II, j’aurais répondu : « Ce n’est pas que je veuille, je suis plus Noir que les Noirs et plus femme que les femmes ». Heureusement que je ne l’ai pas fait. Un sixième sens m’a empêché de tomber dans le piège que, depuis 2 500, Platon tend aux apprentis penseurs. J’aurais sous-entendu qu’il existe une essence de la négritude et une essence de la féminité qui sont indépendantes de l’image noire et des protubérances laitières. J’aurais parlé comme s’il existait quelque chose derrière les images. Comme s’il existait un monde des images séparé du nôtre. Un monde des idées dans les cieux. Comme si ce monde-ci n’était pas autosuffisant.

 

21 avril 2002. Pepsi. Encore une fois ambivalent. D’une part, l’envie de les materner et de les laisser jouer aux engagés, d’être même orgueilleux de leur prise de parole et, de l’autre, l’envie de les secouer et de leur dire qu’ils n’ont rien compris, qu’ils sont des petits cons qui s’entraînent sur le clavier pour un jour refaire les mêmes erreurs que leurs parents. Où suis-je pour écrire ainsi ? Je suis dans l’université comme eux, dans les centres d’achat comme eux, au Québec comme eux… « Eux », ce sont les trois étudiants qui on écrit une lettre au Devoir pour signaler leur contentement face à la réaction de Landry lorsque l’un d’eux (Pierre-Philippe Lefebvre[5]) a essayé de faire je ne sais quoi au premier ministre du Québec pour souligner son opposition à la publicité de Pepsi dans l’université de Montréal et pour réitérer leur opposition à l’invasion de la publicité dans les couloirs des universités. Pour montrer mon ouverture et ne pas trop m’engager, je vais leur poser quelques questions.

 

N’est-ce pas préférable de laisser l’université dans le monde avec tout ce qu’il a d’agréable, d’agaçant, de terrifiant et de fantastique ? Est-ce que l’université a un statut particulier par rapport à la publicité ? Pourquoi ? Êtes-vous d’accord que la publicité est un symptôme d’une organisation du travail externe à l’université ? Quand vous avez mal à une dent, arrachez-vous la dent ou arrachez-vous une partie du cerveau pour ne pas sentir la douleur ? Pensez-vous que c’est plus dangereux pour la mission de l’université[6] qu’on fasse de la publicité pour Coca Cola dans les toilettes ou que les professeurs se fassent de la publicité dans leurs cours ? Préférez-vous voir dans les couloirs une photo d’une femme qui publicise des marteaux piqueurs ou d’un homme qui vous invite à acheter des mouchoirs pour votre chien, où des versets du Coran ou de la Bible ? Avez-vous déjà pensé que l’université est une usine de publicité de la « culture » ? Est-ce que ça vous arrive de penser que ce n’est pas l’université qui est le lieu de critique mais que chaque étudiant, chaque prof et chaque employé l’est ? Êtes-vous d’accord que ce n’est pas parce qu’un prof vous dit que…. que ? Que dites-vous de gens comme le recteur de l’UQAM, con comme ses pieds, qui fut jadis trokskiste ? Quelle publicité fait-il aux idées ?

 

Quoi faire donc ? Ne pas laisser passer dans les salles de classes la paresse intellectuelle des profs ? Lutter pour la gratuité des études au lieu de lutter contre Pepsi pour Coca ? S’engager pour donner des repas gratuits aux étudiants et aux sans abri ? Faire entrer la publicité, la pauvreté et la folie dans l’université, pour que la réflexion ne s’assèche pas ?



[1] Ce qui n’en fait pas pour autant des martyrs.

[2] Expression qui, même si souvent indique des opérations « bouche ouverte », n’a rien à voir avec « aller chez le dentiste. »

[3] Flammarion 1992.

[4] Bowersock G.W., Rome et le martyre, Flammarion, 2002.

[5] Les deux autres sont Caroline Dawson, et David Filon.

[6] On dit tellement de conneries sur la mission de l’université que j’ai presque honte d’employer cette expression. Je crains qu’on me mette dans le champs de ceux qui pensent que le gouvernement, la société, les cadres ou je ne sais pas qui d’autres trahissent la mission qu’un manipule de professeurs essaye de garder pure.