9 décembre 2001. Guevara et Laden. Après avoir pesté contre les intégristes, Guccini, d’une voix enragée, chante : « Quelque part, un jour, je ne sais pas où, je ne sais pas quand, le Che reviendra » Et il continue en disant qu’ils auront peur — les riches, la droite, les indifférents. Et si le Che était déjà revenu ? Si, dans les montagnes Afghanes, il avait pris les semblants de Ben Laden ? Quel dur coup pour toi et Guccini et pour moi ! Terrible, mais… mais sans doute que le Che et Ben Laden portent les mêmes espoirs. Nous, les Guevaristes, nous étions épris de révolution, de justice et de futur ; eux, les Ladeniens sont épris de révolution, de justice et de futur. Mais pourquoi ne puis-je pas croire dans les valeurs télétransmis par Ben Laden ? Parce que j’ai vieilli, parce qu’il est un fasciste intégriste, parce qu’il fait partie des dominants et parce qu’il tire dans le tas. Pour tout cela un peu, mais, surtout, parce que seulement un côté de la médaille a changé, celui de devant ; l’autre, celui du pouvoir, est inaltérable.

 

10 décembre 2002. Maison avec piscine. J’ai toujours été banlieusardephile. Pas tellement parce que mon rêve est d’avoir une grande maison avec piscine à Saint Lambert, mais parce que mes amis, qui critiquent la banlieue, me font horriblement scier. Qu’on dise que le jeudi soir L’express est rempli de Lavallois, que le samedi après-midi on ne peut pas marcher en paix sur Saint-Denis parce que les petites familles de Longueuil s’arrêtent devant toutes les vitrines ou que, le dimanche après-midi, la rue Crescent n’est pas praticable, ça me donne envie de tuer. De tuer ceux qui vont à L’express le mardi soir, qui font du lèche-vitrine le mercredi à 14 heures et qui fréquentent la rue Crescent le vendredi de 10 à midi.

Mes amis (qui ne vont plus à L’express, qui n’aiment pas Crescent et pour qui la rue Saint-Denis ou la rue Bernard sont des couloirs de chez eux) ; mes amis qui pensent beaucoup parce que, si j’ai bien compris, n’ont pas leur petite maison avec piscine et jardin sur la rive Sud et parce qu’ils n’invitent pas les copains de squash pour un barbecue le dimanche matin ; mes amis ont une petite maison dans leur tête et ne le savent pas.

Moi aussi. Mes amis et moi nous sommes des banlieusards des idées.

Nous avons notre piscine où nous allons nous rafraîchir les idées quand il fait trop chaud dans des discussions (des piscines de marques différentes, bien sûr. On est tous « l’un plus malin que l’autre » dans l’achat des piscines. J’ai un copain, par exemple, qui ne jure que pour celles en céramique avec contrôle de la qualité de l’eau fabriquées dans les usines de Derrida ; une autre ne se baigne que dans celles de Avicenne ; il y en a deux ou trois qui soutiennent que, s’il n’y a pas des robinets Negri, ce en sont pas des vraies piscines ; il y a même ceux qui construisent leur propre piscine avec du matériel de « chez nous ». Un de ces bienheureux, cet été, a écrit un article pour le Monde Diplomatique après une dispute sanglante — c’est une manière de dire — avec les voisins dont le jardin avait été transformé dans un marais par les fuites de sa piscine. Soit dit en passant : ses voisins sont des Juifs). Et nos jardins ? Ah, nos jardins ! Que ferions-nous sans nos jardins, où on retrouve le contact avec les idées naturelles, celle qui n’ont pas été corrompues par la technique, l’économie et la politique ? Notre jardin ? Il mesure seulement 3,73 mètres carrés, mais il est comme ceux de Versailles. Il y a tout. Tout en miniature, tout très petit — surtout en politique. Et notre foyer ? Y a-t-il quelque chose de plus important que notre foyer d’idée, là où on se réchauffe quand la brutalité du monde est insensible à notre pensée ?

Mes amis et moi nous avons beaucoup de chance. Nous n’avons pas besoin d’acheter une maison à Saint-Bruno, nous l’avons déjà dans notre tête. Petite, mais accueillante  — pour ceux qui pensent comme nous.

 

11 décembre 2002. Différences. Hier j’ai reçu un e-mail d’un copain : « Tes annales sont trop intellectuels. Illisibles. Tu devrais mettre des devinettes terre-à-terre, comme celle-ci : Pourquoi une femme n’est-elle pas une poule ? Parce qu’une poule mouillée se cache et une femme mouillée se couche. Ou cette autre : quelle est la différence entre un Russe de l’époque de Staline et un Russe de notre époque ? Sous Staline il mangeait de betteraves, maintenant il est une bête à raves. ». C’est fait, mon ami.

 

12 décembre 2002. Index.  Parler de la peur des femmes sans que la psychanalyse y mette son grain de sel, ce n’est sans doute pas la mère à boire mais c’est au moins un gros sac de nœuds.

J’ai donc décidé d’attaquer. De faire une guerre préventive. De détruire l’empire du mâle avant qu’il ne détruise toutes mes protections.

Mais, qui attaquer ? Question bête. Il faut attaque le père Sigmund. Comment ? Voilà le chiendent. Passer par Lacan ? Trop amère dans. Passer par les Épîtres des PUF (où Jacqueline, pas Godfrind mais l’autre nous dit que : C'est le « masculin » de l'homme qui crée le « féminin » de la femme en lui arrachant la jouissance sexuelle) ? Trop mal hâtif. Je vais prendre une voie facile, amusante, légère… je vais chercher dans l’index des œuvres complètes de Sigmund les points d’attaque.

 

Tralala… tralala… je suis malin comme un baba…. tralala… tralala.. je vais cheeeercher mon échééééélle tralala… tralala… les œuvres des Freud les voilààààà boum boum boum… je monte sur mon écchéééélllle qui est béééllllle

 

Quand j’ai vu le nombre de pages de l’index j’ai arrêté de chantonner et j’ai failli tomber de ce mon échééééélle : quatre cent trente et une pages ! Oui, presque cinq cent. Il est vrai qu’il y a un grand nombre d’index[1], mais l’index analytique général a quand même 180 pages à lui tout seul. Cherchons donc « Peur ».

Un peu après le milieu… molécules… moralité… ennui[2]… parole… parricide… parthénogénèse… patriotisme… peur… la voilà… il y en a ! Attention, il s’agit de vraies peurs et non d’angoisses ou de phobies. Peur des animaux… des étrangers… des impulsions suicidaires… des cambrioleurs… des esprits… des démons… des morts… des Peaux-Rouges (une seule référence. Il est hors de tout doute raisonnable qu’aujourd’hui il aurait écrit sur la peur des Musulmans et que l’index aurait eu bien plus qu’une référence)…  des serpents… des orages… des vers de terre (deux références)… du noir (neuf références)… du cheval (notre petit Hans chéri !)… du contact… des organes génitaux féminins (deux références. Il faut que je prenne note… dans les volumes 10 et 11. Sur le tard donc, ça doit être vers la fin de années vingt)… de la hauteur… de l’ascenseur… de la cécité… de la conscience morale (ici on nous renvoie à Angoisse)… de la femme (Ouais ! merde, une seule référence, dans le volume 6. Avec la peur des organes génitaux féminins ça fait trois références)… du chemin de fer… de la grossesse… de la mort (comme il fallait s’y attendre un maximum de références, vingt)… de la brume… de la folie… de la pauvreté (deux références dans le volume 8)… de la première fois (j’imagine de quoi)… de la punition/châtiment… de la syphilis… de la solitude (six références)… de la route… de la baignoire (celle-ci, je ne l’attendais pas)… des surprises… des sorcières (une référence… oui je pourrais la mettre dans le lot des peurs des femmes… ça fait un total de quatre références)… de la castration (ici on renvoie à castration où sous peur de, il y a dix-huit références)… de l’inceste (inutile de dire qu’ici comme pour la castration…)… du mauvais œil… du père (no comments)… du perturbant (une seule référence pour ce thème à la mode)… de son propre comportement féminin (j’imagine qu’il fait référence au comportement féminin des hommes. Je ne le mets pas. Trop abstrait)… du sang… du devenir prostituée (deux références)… d’entrer dans un magasin toute seule (une référence et seulement pour les femmes)… d’être malade… d’être mangé par le père (seulement trois !)… d’être découverts (ambigu, n’est-ce pas ?)… d’être séduits pas la mère (il y en a cinq, j’en attendais plus)… d’infections… de perdre l’amour (il y en a pas mal)… de quelqu’un qui est derrière nous (deux références, cela m’intéresse. Beaucoup.)… d’avoir faim… d’un oiseau empaillé… d’un homme sous le lit (pour les femmes ?)

Seulement quatre références en tout ! Vraiment pas beaucoup. Mais… mieux vaut la qualité que la quantité comme dit Mougabe (à propos de la récolte). Oui, il est vrai, mais j’espérais pouvoir attaquer de plein de points de vue et j’en ai seulement quatre dont un, un peu tiré par le cheveux. Pas beaucoup. Allons chercher les volumes.

 

Peur de la femme : dans Tabou de la virginité, texte lu le 12 décembre 1917 à la société psychanalytique de Vienne. Sacré hasard ! Aujourd’hui c’est l’anniversaire de la lecture[3].

Peur des organes génitaux féminins : dans Fétichisme, un article de 1927 et dans L’introduction à la psychanalyse (celle de 1932) dans le chapitre intitulé Révision de la théorie des rêves.

 

Je feuillette le volume 10 à la recherche de Fétichisme, pour m’installer et commencer à tirer…Non. Il m’a eu ! L’attaquant attaqué. Il m’a présenté Dostoïevski. Pas lui ! Pas « mon » écrivain… Il m’oblige à lire cet autre article. Freud est plus malin que moi. Il a tout mis dans son minestrone. Même les fèves que j’aime tant. Il m’aura toujours avec les fèves.

Au boulot, empiffrons-nous.

 

13 décembre 2002.Dostoïevski le délinquant. On ne peut pas être plus clair : « Les Frères Karamazov est le plus grand roman qui n’ai jamais été écrit, l’épisode du Grand Inquisiteur est un des points les plus hauts de la littérature universelle, un chapitre d’une beauté inestimable. »[4] Je ne doutais pas que Dostoïevski était une mine d’or pour Freud non seulement parce qu’écrivain et « névrotique, moraliste et pécheur », mais aussi à cause de son âme russe primitive[5]. L’homme Dostoïevski, a tous les traits du délinquant : « égoïsme sans limites et une très forte tendance destructive [fondés sur] le manque d’amour qui est l’essence de l’appréciation des objets (humains) ». Pourquoi considère-t-il D. comme un délinquant ? Parce que : « le choix du matériel fait par le narrateur, qui a une prédilection marquée pour les caractères violents, assassins, égoïstes, indique l’existence dans son intime de ces mêmes tendances » ainsi que « quelques données déductibles de sa biographie, comme la passion pour le jeu et, sans doute, l’abus sexuel d’une fille encore immature ». Ça m’étonne. Ça m’étonne cette vision des délinquants et cette vision de D. Dire que D. est un délinquant c’est un peu court mais, surtout, c’est trop court[6] que de dire que les délinquants sont délinquants par manque d’amour. Mais, il faut sans doute se demander qu’est-ce qu’un délinquant pour Freud. Dans un article[7] de 1908, il écrit que quelqu’un qui « à cause de sa constitution indomptée ne peut pas s’adapter à la répression pulsionnelle de la société, devient un délinquant un hors-la-loi (…) à moins que sa position sociale ne lui permette pas de s’affirmer dans la société comme un grand héros ». D. aurait donc pu être un délinquant ou un héros mais il semble qu’il ne puisse pas accéder à ce dernier titre. Pourquoi ? Parce qu’il avait un point faible : « D. n’a pas réussi a devenir un maître et un libérateur de l’humanité [un héros donc] parce qu’il s’est associé à ses geôliers. » Dans ce cas, Freud, d’habitude si simple et linéaire dans ses raisonnement, ne semble pas craindre l’antilogie. Si j’essaye de comprendre : D. est un délinquant qui, au lieu de s’opposer à la loi, se met de son côté, il n’est donc pas un hors-la-loi et étant donné sa constitution indompté il devrait être un héros… mai il ne l’est pas. Pas mal confus, Freud. Pas mal confus à moins que un écrivain ne puisse pas être un héros. Un écrivain à la constitution psychologique indomptée est donc un délinquant quoi qu’il fasse. Ce qui devrait quand même être étrange dans un optique freudienne car l’écriture est une sublimation et donc… j’ai l’impression que la caillette me tienne ou qu’elle tienne notre infidel jew[8].

 

14 décembre 2002. Retour à la peur, sans psychanalyse. Depuis bientôt deux ans Trempet et I.I.F.H.R.A. (l’Institut Internationale des Femmes et des Hommes pour le Respect de l’Autre) sont en pourparler pour organiser un colloque. Deux ans, c’est beaucoup, même pour un colloque très sérieux comme le nôtre qui risque d’ouvrir des avenues de recherche insoupçonnées. Ce qui de prime abord pourrait sembler étonnant c’est que, dès le début, on était d’accord sur tout ce qui compte : sur le contenu, sur les responsabilités, sur le partage des coûts et des gains éventuels, sur le lieu, sur la date — sur la data aussi même si ça fait dix fois qu’on la change. Mais, mais il y a un « mais ». Nous ne sommes pas capables de nous accorder sur le titre. Au début on n’avait même pas pensé qu’il pourrait y avoir de problèmes de ce côté-là. On avait fixé un titre provisoire pour attaquer les « choses importantes ». Importantes ? On s’est carrément fourrés un doigt dans l’œil. Quand il a fallu envoyer le titre à l’imprimeur pour les annonces, tous les démons des différences idéologiques et culturelles se sont donné rendez-vous dans le comité organisateur. Et ces démons ont tellement bien travaillé qu’il est fort probable que le colloque ne se tiendra pas ou, alternative pas très réjouissante pour ceux qui croient que la pollution de la parole a atteint des seuils très dangereux, il y en aura deux : celui du Trempet et celui de l’I.I.F.H.R.A.

On a été tous très naïfs : on n’a pas tenu assez en considération la ténacité de la langue qui, en « titre », depuis des centenaires, a inscrit un élément distinctif par rapport au rang et à la dignité. Qu’il y aient encore des titres honorifiques ce n’est pas un hasard. Croire que quand on parle du titre d’un colloque, d’un article ou d’un livre on puisse faire abstraction du titre comme caractérisant une fonction, c’est être moins malin qu’un bélier en rut. On ne se libère pas du poids des mots par un acte de volonté individuelle : « titrer » a été pendant des siècles « donner un titre de noblesse » et quand on « titre » un colloque on lui donne, même si on n’en est pas conscients, ses titres de noblesse. Les journalistes et les publicitaires, ceux qui sont attitrés pour la formation de notre pensée, l’ont très bien saisi : il savent que tout se joue dans les titres.

Si tout est si simple, pourquoi avons-nous sous-évalué le choix du titre ? Parce que, comme tous les intellectuels, nous sommes assez lourds pour être attirés par le fond ; parce qu’il nous est difficile de rester à la surface, là où on peut respirer librement, sans bombonnes ; parce que l’esprit d’escalier est l’esprit le mieux partagé.

    Ça va. Quels sont ces foutus titres qui vous ont cassé la baraque et qui commencent à me casser les burettes.

    La peur des femmes, La peur du féminin et La peur des femelles.

    Je ne vois pas une très grande différence. Je comprends que l’on puisse préférer l’un ou l’autre mais de là à bloquer un colloque… Permets-moi de douter, sinon de votre bonne foi, au moins du votre sérieux.

    Tu as tort de douter. Si tu as encore quelques lignes de patience, je vais essayer de t’expliquer. Pour que tu comprennes les enjeux, il faut te dire qu’on était tous d’accord pour un titre ambigu. Mais, puisque que l’ambiguïté de l’autre est toujours inquiétante, ce désir d’ambiguïté nous a, comme on dit, confronté à nos propres peurs.

 

Je ne serai pas objectif mais, si les membres du I.I.F.H.R.A. veulent rendre publiques leurs idées, n’ont qu’à le faire[9]. En résumé : les membres du Trempet refusent à l’unanimité La peur du féminin, les Iifhrariens n’acceptent pas La peur des femelles et tous trouvent La peur des femmes insipide mais veulent un titre ambigu.

 

Dans La peur des femmes comme dans La peur des femelles, l’ambiguïté est dans la proposition « de » : on peut se demander si les femmes (les femelles) ont peur ou si elles font peur. Mais, quelle que soit l’interprétation donnée, les femmes (femelles) sont au premier plan — il n’y a aucune ambiguïté à ce propos ; derrière, loin derrière, on peut voir les hommes et, avec un peu plus de mauvaise volonté, les femmes encore. On pourrait voir, bien sûr, le tonnerre, les araignées, Dieu ou les lapins aussi ; mais, la sexualisation impliquée par « femme » renvoie presque automatiquement à d’autres individus sexués[10]. Dans notre colloque le thème est « la peur que les femmes font » et l’ambiguïté du « de » est là pour souligner que, sans oublier la peur que les femmes ont, nous nous intéressons à l’autre à celle qui fait fonctionner (mal) le monde.

 

Par contre, dans La peur du féminin l’ambiguïté est dans « féminin ». Au moins depuis Freud on n’a cesse de nous expliquer comment le féminin puisse être du côté des femmes comme de celui des hommes. Le féminin étant un fond archaïque indifférencié ou une béance obscure ou le lieu des affects ou encore la flânerie de l’esprit ou le lieu de la passivité et du repos de la raison ou le rond ou encore le lieu où en on demande encore. Pour nous, cette ambiguïté détourne des vrais propos. On se retrouve avec, au premier plan, un amalgame confus qui ne s’appelle pas féminin pour rien. Il serait facile de rétorquer que notre besoin de clarté par rapport à l’origine de la peur est un trait non féminin et que nous somme une preuve vivante de la peur du féminin. Je ne suis pas d’accord : ce dont nous avons peur, c’est de la confusion, du mélange, de l’éventé… on a un certain besoin de clarté intellectuelle, mais on n’a pas peur des femmes parce qu’elles sont loin d’être mélangées, confuses, ou éventées. Au Trempet, pour mettre encore plus en clair notre clarté, on a décidé d’abandonner le titre de La peur des femmes pour La peur des femelles : on ne voulait pas qu’il subsiste des doutes sur le fait que les hommes (et sans doute certaines femmes aussi) ont peur du corps sexué des femmes.

    Tu parles comme si la femme était plus facilement saisissable que le féminin, comme si « femme » n’était pas lui aussi un concept très flou. Comme si La femme était quelque chose de facilement définissable…

    Pas du tout. Loin de moi de penser que « le concept de femme » soit simple. Tout concept est difficile, surtout ceux qui semblent simples. C’est une affaire de degré, femme est moins abstrait que féminin. Féminin était, au début, l’essence de la femme. Mais les essences portent facilement, ceux qui les recherchent, dans le royaume du n’importe quoi. Les femmes peuvent être touchées, peuvent toucher. Le féminin non. Les femmes ont des orteils, un vagin, un menton. Le féminin non. Les femmes ne sont pas châtrées, le féminin oui. Tu sais, si on continue comme cela dans pas longtemps ils nous diront que ce sont surtout les hommes qui sont féminins. J’ai l’impression (très féminine) que ce n’est pas la ruse de la raison qui fait l’histoire mais celle des mâles.

Quoi ajouter sinon qu’au Trempet on ne veut pas de féminin parce que les hommes sont en train de se l’approprier de manière très rusée, trop rusée, trop féminine.

 

15 décembre 2002. La bonne nouvelle. Hier, en fin ! une bonne nouvelle (à propos du colloque qu’on tente d’organiser avec l’ I.I.F.H.R.A.) Marie-Andrée, la membreuse du Trempet qui a des liens privilégiés avec une revue québécoise d’analyse et de débat (Conjonctures), nous a proposé de « gérer » un numéro du plus beau fleuron de la néo-culture de presque gauche québécoise. Un numéro avec eux sur la peur des femelles. Youpi ! Les conjoncturiens ne sont pas nombreux mais ils ont l’air de savoir ce qu’ils veulent. Ils n’ont pas peur de glisser sur des terrains mouillés. Ils ne pas niquent pas avec les femmes.

 



[1] Index des critiques, des cas, des rêves, des symboles, des analogies, des œuvres d’art et des œuvres littéraires, des périodiques et des collections éditoriales, des noms des personnes et, enfin, l’index analytique général.

[2] J’ai la traduction italienne et donc l’ordre n’est pas celui du français (« ennui » en italien se dit « noia » et vient après « moralité »).

[3] Note pour Mme Isabelle Moatti, né il y a un demi-siècle, le 12 décembre : à retenir avec la naissance de Flaubert.

[4] Sigmund Freud, Dostoïevski et le parricide, Gesammelte Werke. Vol. 14 (1948), p. 399-418.

[5] « L’ambivalence des sentiments est une partie du patrimoine de la vie psychique des primitifs, très bien conservée dans le peuple russe où elle arrive à la conscience mieux qu’ailleurs. (…) Même les Russes non névrotiques sont très clairement ambivalents, exactement comme les personnages de Dostoïevski (…) Toutes les caractéristiques de sa poésie (…) doivent être ramenées à sa constitution psychique ou mieux sexuelle, pour nous hors norme mais pour les Russes plus coutumière. » Ce passage est tiré d’un lettre que Freud écrivit en octobre 1920 à Stefan Zweig pour le remercier de lui avoir envoyé son livre (Les grands maîtres, Balzac, Dickens, Dostoïevski), remerciements qui se transforment, après quelques lignes, en une critique assez rude de ce que Zweig écrivit sur Dostoïevski (« plein de lacune et d’énigmes non résolus »). Pour essayer de comprendre quelque chose à « l’écrivain tordu » il faut avant tout ne pas accepter, comme le fait Zweig, la rumeur selon laquelle Dostoïevski était épileptique. « Il est très invraisemblable » qu’il le fût car « l’épilepsie est une affection organique du cerveau » tandis que le comportement de Dostoïevski est clairement celui d’un hystérique dont la vie « est dominée par l’ambivalence par rapport à l’autorité du père-czar ». Cette « assez longue lettre » est une très bonne introduction à l’article sur Dostoïevski de 1927, mais, surtout, elle nous montre un Freud dont l’excessive  civilité naufrage dès qu’il trouve un élément qu’il peut récupérer pour son fabuleux collage.

[6] Si je me laissais aller au même simplisme de Freud je dirais que c’est le manque d’amour qui crée les non-délinquants : les bureaucrates habillés de règles, les professeurs affables, les père de famille compréhensifs, les philanthropes sans fins cachées… Tous ces gens qui dans le respect des règles trouvent une compensation à leur manque d’amour — de l’amour qui bouleverse.

[7] S. Freud, La morale sexuelle civilisée» (Kulturelle sexualmoral), Gesammelte werke, vol 7, p. 143-167.

[8] Comme il se définit dans le court texte de commentaire à la lettre d’un médecin américain qui lui raconte comment, après avoir douté de l’existence de Dieu en regardant a sweet faced woman dans la salle des autopsies, Dieu lui a envoyé des signes infaillibles de son existence (Une expérience religieuse, Gesammelte Werke, vol. 14. p. 393-396).

[9] Trempet leurs met à disposition son site WEB.

[10] On ne considère pas la zoophilie qui mérite bien plus qu’un survol des Annales.