18 février 2002. Le Québec botté. Une entrevue de Robert Charlesbois d’il y a une trentaine d’années. Beaucoup de mots sans intérêts et quelques bijoux. Splendides. Un, émouvant. Il dit à peu près ceci : quand on vient chez moi on doit s’enlever les bottes parce que j’ai un tapis. Quand ils [les Américains et les Français] viennent au Québec ils doivent se mettre les bottes car ça fait quatre cent ans que nous le faisons. À peu près ceci. Si un Ovide naît, dans un millénaire, cette phrase fera partie de la mythologie nord-américaine et les petits Chinois qui vivront dans une ville orbitale de Vénus, l’étudierons dans leurs cours à distance sur le Tchin là tze (Réseau moléculaire universel). Mais Ovide est déjà né ! Préparez-vous, petits Chinois du troisième millénaire. Il a déjà 60 ans et, pour Charlebois, il a écrit :

 

T’es mieux d’y voir

D’être moins slow qu’ça

Moins branleux qu’ça

Moins lambin qu’ça

On endure pas les loafeux icitte

On les renvoye chex eux

On leu donne leur petit livre

D’assurance chômage

Pis on leur dit ba-bye ba bye

C’f’a que vois-y ouéreau

Thirty tac, thirty tac, thirty tac

Mic-mac, you fly

Ba bye, ba-bye, ba-bye….

 

19 février 2002. Zimbabwe. Je suis un fidèle. Avant que je perde ma confiance en quelqu’un il faut vraiment qu’il m’en fasse voir de toutes les couleurs. Il faut dire que ma confiance est très prudente et par exemple je n’ai jamais fait confiance à des types louches comme Bouchard ou Landry ou Ben ou Bush ou le Pape, n’importe quel pape, même pas à Jean XXIIIe le paysan né à quelques kilomètres de chez moi. Par contre j’ai toujours fait confiance à Mugabe. Pourquoi ? Parce qu’il me semble que dans le conflit pour l’expropriation des terres des Blancs il s’est comporté comme un gentleman, comme un gentleman farmer. De l’autre côté de la palissade de la farm, mais comme un vrai farmer : clair, digne, sans trop de frous-frous, un homme avec une confiance en soi comme celle de ceux qui ont les pieds toujours plantés dans une terre qui leur appartient. Le 9 mars il y aura des élections et les Européens sont sûrs qu’elles ne seront pas « libres ». Ils ont donc retiré leurs pâles observateurs avec leurs ridicules sacs à dos avant qu’il ne les expulse. Ils ont bien fait car il aurait pu les manger. Cela aurait fait l’affaire de tout le monde : les Européens auraient eu une autre démonstration de la sauvagerie noire et les armées de Sir Blair auraient pu reconquérir le Zimbabwe. Après la conquête on aurait changé ce nom barbare, Zimbabwe, par Blairiland.

 

20 février 2002. États-Unis. Ça doit être parce que je viens d’un pays où la confiance dans les institutions politiques s’est brisée il y plus que deux mille ans que je trouve naïf ce qu’on a écrit en énormes caractères dans le New York Time : « les gens se demandent s’il y a des leaders ou des institutions auxquels on peut faire confiance ». Selon le journaliste ces questions sont une conséquence de l’anxiété qui pousse les Américains jusqu’à se demander s’ils doivent faire confiance « même au capitalisme ». J’ai l’impression que ce n’est pas tellement l’anxiété qui les pousse à se poser des questions sur le capitalisme, mais que c’est un capitalisme toujours plus déluré et sans aucun besoin de séduire les foules, qui rend les gens anxieux. « Serons-nous les prochaines victimes de cette machine de triage complètement déréglée ? », doivent se demander beaucoup d’Américains. Si Enron la Grande, n’a même pas besoin d’attaques terroristes pour s’écrouler, quelles certitudes pouvons-nous conserver ? Si notre président, héros d’une guerre juste, est de combine avec les salauds qui nous ont pelés comme des oignons, en qui avoir confiance ? En Dieu ? Mais si Dieu est du côté de notre président ! Et si Enron n’était pas une tache sur la nappe immaculée du capitalisme mais un verre grossissant qui permet de mieux comprendre notre démocratie ? Et si le mythe d’une démocratie propre est le mythe naïf d’un journalisme naïf ? Alors l’anxiété ne suffit plus. Il faut de la colère. De la bonne colère, de la sainte colère, de la colère juste, celle qui chasse la peur et libère de l’anxiété.

 

21 février 2002. Sainte guerre, guerre juste.

Présentation

Nous[1] publions intégralement une lettre que le groupe NoMore[2] nous a envoyée suite à la publication par Le Monde du vendredi 15 février, de « Lettre d’Amérique, les raisons d’un combat » écrite par soixante intellectuels de la droite américaine.

 

Les membre de l’institut Trempet, même si le groupe NoMore les cantonne à une position qu’ils ne reconnaissent pas comme la leur, appuient la lettre. Ils sont en effet convaincus que l’espoir naît seulement de l’excès de la critique et de l’« erreur » et que la démesure seule nous donne le sens de la mesure.

 

Nous transcrivons ici les cinq thèses qui ouvrent la lettre des Américains pour rendre la missive de NoMore plus compréhensible.

 

Nous affirmons cinq vérités fondamentales qui s’appliquent à tous les peuples sans distinction :

  1. Tous les être humains naissent libres et égaux en droit et en dignité. [déclaration universelle des droits de l’homme, ONU, Article premier].
  2. Le sujet fondamental de la société est la personne humaine. Un gouvernement a pour rôle légitime de protéger et d’entretenir les conditions de l’épanouissement humain.
  3. Les êtres humains sont naturellement enclins à chercher la vérité sur le sens et les fins derniers de la vie.
  4. La liberté d’opinion et la liberté de culte sont des droits inviolable de la personne humaine..
  5. Tuer au nom de Dieu est contraire à la fois en Dieu. C’est la plus grande trahison de l’universalité de la foi religieuse.

 

Captatio malevolentiae

On ne peut pas enlever aux « gens de droite » le mérite de déshabiller les vérités que les « gens de gauche » accoutrent sans classe. Il est aussi naturel de penser que la disparition tant proclamée des différences entre droite et gauche n’est qu’une assimilation de la deuxième par la première depuis que la gauche a commencé à faire circuler ses « vérités » sans trop de frous-frous.

 

Même si, à cause d’internet, notre lettre sera une lettre urbi et orbi, elle est adressée, pratiquement et surtout sentimentalement, aux amis du Trempet et à leurs copains de « gauche », fort nombreux, qui partagent, sans pouvoir l’admettre, la majorité des idées exprimées dans La lettre d’Amérique.

Comment savons nous qu’ils les partagent ?

Parce que nous les connaissons. Nous qui sommes de gauche et contre les États (unis ou non) et leurs guerres, nous voulons leur montrer qu’il n’y a pas mille manières d’être contre la guerre à ce moment-ci de l’histoire. S’il y en a d’autres, ou s’ils pensent que nous avons mal interprété leur pensée nous serons fort heureux d’en discuter, dans une assemblée publique.

 

Vérité.

Nous ne savons pas si vous[3] auriez donné la même formulation aux « cinq vérités fondamentales ». Nous ne savons même pas si vous en auriez écrit cinq, mais nous croyons que, si vous êtes honnêtes, vous les signeriez toutes. Pour vous montrer que nous acceptons les règles du jeu, nous renonçons à la facilité :nous n’écrirons pas qu’il n’y a pas de « vérités fondamentales ». Même si le mot « égaux », dans la première vérité, nous fait profondément chier, nous acceptons, nous aussi, les deux premières.[4] ; certains d’entre nous ont des difficultés avec la troisième, mais ils s’inclinent à la majorité ; pour la quatrième, ça va ; par contre nous, contrairement à vous, nous nous insurgeons contre la cinquième. que vous formuleriez, sans doute, différemment mais dont nous sommes sûrs que vous partagez l’esprit. Mais, une vérité a-t-elle autre chose qu’un esprit dès qu’un Dieu quelconque hante nos vies ?

 

Comme nous, vous êtes certainement d’accord pour dire que l’invocation de telle ou telle faute spécifique en matière de politique étrangère ne peut en aucun cas justifier, ni même servir d’argument préalable pour le massacre massif d’innocents, mais nous sommes aussi certains que vous, comme nous, enlèveriez la clause faute spécifique en matière de politique étrangère, car son application aux événements qui ont suivi le 11 septembre est trop directe, presque obscène. Mais il ne faut pas s’étonner, ni attaquer les signataires : comme on l’a déjà dit, c’est le propre de la droite de mettre à nu la vérité.

 

Comment ne pas être d’accord quand ils écrivent que Al-Qaida vise non seulement notre gouvernement mais notre société toute entière, notre mode de vie en général ? Non seulement il faut être d’accord, mais le « notre » s’applique autant aux Québécois, qu’aux Français, qu’aux Allemands, que… Nous ne sommes pas tous des Américains mais nous sommes tous des Occidentaux — ce qui n’implique pas qu’il n’y ait pas de différences énormes entre les « égaux » occidentaux. Ne pas être d’accord sur le fait que certaines valeurs américaines sont peu attrayantes, voire nuisibles. Le consumérisme comme mode de vie serait carrément bête. Vous nous avez fait comprendre assez souvent que la liberté conçue comme une absence de règles […]. l’idée que l’individu est son propre maître […]. l’affaiblissement de […] la vie de famille sont des fléaux de notre société ; et combien de fois avez-vous prêché contre la diffusion dans tous les coins du monde de certaines productions culturelles américaines, pour ne pas douter que vous êtes d’accord avec les soixante ?

 

Nous ne sommes pas sûrs que vous soyez d’accord avec l’affirmation qu’il existe des vérités morales universelles, mais, nous croyons que, même si vous ne le dites pas, vous le pensez quand-même[5]. Comment pourriez-vous ne pas le penser vu l’importance que vous donnez à la « transcendance » ? Certes quand ils disent : C’est pourquoi tout le monde peut en principe devenir Américain, vous frôlez l’attaque cardiaque. Et pourtant… et pourtant, « Américain » tel qu’ils le définissent n’est pas « si pire que ça » comme dirait Réjean.

 

La question.

Les signataires ne sont pas les derniers venus et ils savent que certains soutiennent que ces valeurs ne sont pas du tout universelles, mais ils savent aussi que ceux qui s’opposent à ces valeurs sont mal pris avec les horreurs des massacres et des dictatures (occidentales et non) s’ils continuent à garder l’État et la religion comme gardiens des humains. Vous n’aimez pas les valeurs universelles, nous le savons, mais nous vous en prions, faites un effort, et acceptez au moins les valeurs universelles qui se résument à la dignité de la personne et à sa liberté — dignité et liberté qui ne dépendent ni de la race ni du sexe ni de la richesse, comme ils le soulignent plusieurs fois. Faites un effort, comme nous l’avons fait en acceptant la troisième vérité. Oui, il est vrai, il faudrait définir ce qu’est la dignité. Oui, il est vrai, il y a plus de dignité dans une société qui voile les femmes, que dans une autre où les femmes se vendent pour vivre[6]. Mais ce sont des détails, car la vraie question est La question de[7] Dieu et dans la lettre ils ne se gênent pas pour la poser : la foi religieuse fait-elle partie de la solution ou du problème ? Notre réponse est claire : elle fait partie du problème. Ici se situe la différence politique entre nous et elle découle de nos différences « philosophiques » à propos des vérités 3 et 4 citées au début ; nous savons que pour vous le problème n’est pas là et que vous êtes d’accord avec les soixante quand ils écrivent que la foi et les institutions religieuses sont, ici et là dans le monde, des bases importantes de la société civile. Et quand ils proposent des solutions au « problème » religieux, comment pouvez vous ne pas être d’accord avec eux quand vous avez accepté leurs prémisses ? Comme vous, ils refusent de mettre hors-la-loi et de réprimer la religion, tout comme vous, ils sont contre une hostilité envers la religion présupposant que la religion, notamment l’expression publique de la conviction religieuse, est par elle-même source de problème. Nous, par contre, nous sommes favorables aux hostilités contre la religion, ce qui n’est pas étrange si vous pensez que nous y voyons la justification de toutes les horreurs. Nous tenons à souligner que nous avons écrit « la justification » et non « la cause » : pour nous, en politique comme en philosophie, les justifications comptent bien plus que les causes.

 

Qui n’est pas d’accord pour la séparation de l’Église et de l’État pour la protection et la vitalité de l’une et de l’autre ? Certainement pas vous car, même si vous comprenez les purs et durs de la religion (vous les comprenez parce que vous ne pouvez pas ne pas comprendre), vous n’en faites pas partie. Ben Laden et ses copains, comme les fascistes de chez nous ne sont certainement pas d’accord. Nous non plus. Nous ne sommes pas d’accord parce que nous croyons qu’État et Église sont inséparables comme assassins en foire et qu’ils faut donc se libérer des deux si on ne veut pas tout perdre. Nous voyons déjà votre sourire : se libérer de l’État et de l’Église pour laisser le marché comme seul maître à bord ? Bien sûr que non, même si… mais, là c’est un autre genre de discussion. Comment diminuer, au XXIe siècle, la méfiance, la haine et la violence induites par la religion ? Ici nous ne sommes pas sûrs que vous seriez d’accord sur les termes de la question, nous sommes par contre sûrs que certains parmi vous ne pensent pas que la religion induise la haine et la violence, dans ce cas c’est à notre tour d’être d’accord avec les intellectuels américains. Nous sommes d’accord pour dire que la religion induit (et justifie) la violence mais nous ne sommes pas d’accord avec leur solution : en approfondissant et en renouvelant notre conception de la religion, qui est bien sûr la vôtre.

 

La guerre.

Contrairement à nous, ils ne croient pas que la guerre est essentiellement un conflit d’intérêt. Et vous ? Nous devons admettre qu’ici nous doutons de votre position — il est fort probable que vos positions soient très différenciées. Nous croyons que personne parmi vous ne pense que si les Américains envahissent le Canada, violent nos fils, tuent nos pères, vendent nos mères et nos femmes (comme ils ont fait en Somalie, au Chili[8], en Afghanistan…) on ne puisse pas leur faire la guerre. Donc il existe des guerres justes, et on n’a pas besoin de déranger saint Augustin comme le font Fukuyama et ses amis, pour le croire. La vraie question est bien sûr la suivante (c’est pour cela que l’article a été écrit) : la guerre des Américains est-elle une guerre juste[9] ? Si un groupe d’individus massacre 3 000 civils et déclare qu’il veut en tuer d’autres, a-t-on le droit de lui déclarer la guerre ? Qu’en dites-vous ? Qu’en disons-nous ? Difficile de répondre. Retournons à des choses plus faciles, plus loin de l’action.

 

Islamisme.

Qui doute que la grande majorité des musulmans du monde, guidés en large mesure par les enseignements du Coran, sont honnêtes, loyaux et pacifiques ? Personne. La majorité des gens sont honnêtes, surtout s’ils ne sont pas guidés par les livres ! Vous êtes certainement d’accord qu’Al-Qaida prétend parler au nom de l’Islam, mais trahit les principes islamiques fondamentaux et que l’Islam est contre les atrocités morales. Nous, par contre, nous ne sommes pas d’accord car nous croyons que les trois religions monothéistes ne sont pas contre les atrocités morales et que, s’il arrive, parfois, qu’elles n’en soient pas l’origine, elles en ont besoin pour survivre. Vous croyez que c’est l’Occident qui a fait le succès d’Al-Qaida. Sans doute. Mais le Coran les favorise bien plus que l’Occident, comme la Bible favorise les atrocités des Sionistes, et l’Évangile celle des protestants contre l’avortement[10]. Des mouvements comme Al-Qaida existent et existeront toujours. Ils sont le sel du monothéisme. Il ne suffit donc pas de lutter contre Al-Qaida et contre les Talibans : il faut lutter contre l’Islam, contre le Christianisme et contre le Judaïsme. L’autre possibilité, si vous voulez sauver les religions, c’est d’être d’accord avec la guerre des Occidentaux. Amen.

22 février 2002. Désir. Il m’arrive, dans des soirées où je suis à l’aise, de placer ma Bertha dans un coin du salon et de lancer des vérités un peu trop lourdes. Hier, par exemple, j’ai essayé de tuer le lieu commun : « On peut être vieux et être plus jeune dans l’âme que bien de jeunes. » mais l’obus (à vingt ans on bande et puis on désire et à cinquante on désire et puis on bande) est tombé sur une plage déserte sans pratiquement laisser de signes. J’ai donc rechargé : pour les femmes c’est vrai le contraire. Cette fois j’ai bien visé et l’artillerie des autres convives a martelé mes positions jusqu’à ce que je me retire dans mes campements. Même si j’ai quelques idées blessées et deux ou trois opinions ont été tuées, je ne désespère pas de gagner cette guerre juste pour la défense du travail de l’âge. Cette guerre sainte pour la différence des sexes.

 

23 février 2002. Mon char, les côtes, le travail, les idées et lui. Sensible comme je suis aux désirs des autres (pas par bonté ou altruisme — comme j’aurais pensé si je continuais à mouiller dans le port catholique — mais parce que le désir des autres attise mon désir quand c’est mon désir qui les fait désirer) lorsqu’elle me dit « Arrête ton char ! », j’arrête mon char. Je descends même, de mon char. Je tripote les oreilles des chevaux, je leur caresse le front, je vérifie la sangle, je leur tapote le ventre, je leur lisse la croupe et puis je tourne en rond. Et, quand je tourne en rond, je tourne en rond : c’est-à-dire je pense. Je pense en rond, je veux dire que ce sont toujours les mêmes pensées. Avec des couleurs différentes, mais toujours les mêmes. Histoire de me rassurer. Et, quand mes pensées tournent en rond, je finis toujours par avoir l’impression qu’on veut mettre fin à mes histoires. Et je n’aime pas ça. Je n’aime pas la fin des histoires, surtout si ce n’est pas moi qui les termine. Donc, je pense en rond, les chevaux piaffent, le soleil continue sa course sans se soucier de mes problèmes et elle a déjà oublié moi et mon char. Et je m’emmerde. Je m’emmerde, vous dis-je. Et, quand je m’emmerde, j’oublie. J’oublie tout. Pour les ordres, c’est un peu différent car ayant un sens du devoir vissé à l’aqueduc de Sylvius j’ai des difficultés à les oublier. Je fais semblant de les oublier ou je trouve des justifications pour ne plus les suivre et suivre mon penchant — un penchant qui penche toujours en avant. Comme l’autre jour, quand elle m’a dit d’arrêter mon char parce que, écoutez-bien ça ! emballé comme une vielle quatre par quatre, j’essayais de convaincre des amis d’amis que le travail était à bannir. Non seulement le travail, je disais, le devoir aussi et surtout le devoir du travail. « Comment oses-tu dire cela, toi qui travailles sept jours par semaine douze heures pas jour. À moins que tu nous comptes des histoires et que, quand tu dis que tu vas à Hydro, tu n’ailles pas chez les danseuses. » Cette fois là j’ai arrêté mon char tellement brusquement que je me suis retrouvé par terre avec deux côtes cassées. Ce qui m’a fait rester au lit pendant une semaine. Que faire au lit avec deux côtes cassées ? Regarder la télévision ? J’aime pas ça. Me masturber ? Je hais ça. Compter des moutons ? Ça m’emmerde. Je me mis donc à lire. Je sortis le premier livre dans le rayon des livres blancs (je dois dire que j’ai la manie de classer mes livres par couleur, ce qui me permet de me réserver beaucoup de surprises. Comme cette fois-là quand, voulant lire un livre léger, quelque chose pour me faire oublier les conneries départementales, je décidai de prendre un livre gris et je tombai sur la Somme théologique et j’y restai accroché pendant quatre ans — j’imagine que c’est inutile de vous dire que, quand je choisis une couleur, je ne regarde pas les titres, histoire d’avoir des vraies surprises ). Je pris donc le troisième livre blanc qui commence comme ceci : « Ainsi que la plupart des gens de ma génération, j’ai été élevé selon le principe que l’oisiveté est mère de tous les vices. Comme j’étais un enfant pétri de vertus, je croyais tout ce qu’on me disait, et je me suis ainsi doté d’une conscience qui m’a contraint à peiner au travail toute ma vie. Cependant, si mes actions ont toujours été soumises à ma conscience, mes idées, en revanche, ont subi une révolution […] Le fait de croire que le travail est une vertu est la cause de grands maux dans le monde moderne. » Sacré hasard ! J’arrête mon char pour ne plus parler contre le travail et voilà que je tombe sur un auteur qui, dès le début, ne se gêne pas pour dire qu’on peut travailler comme Stakhanov et en même temps être contre le travail. Qui est-ce cet auteur ? Un intellectuel français qui veut épater des intellectuels pâteux ? Non, le mouvement de la phrase est trop tranquille. Un Bukowski quelconque qui délègue tout le travail au foie ? Non. Pas assez saccadé. Hou lou lou ! c’est lui ! Brillant comme un singe, tellement plus brillant et plus intelligent[11] que son copain Wittgenstein. Oui, c’est lui. Bertrand Russel. Je dois vous confesser, aussi pour m’excuser de préférer Russel à Wittgenstein, que, quand j’avais seize ans, je disais à tous mes amis que mon rêve était d’avoir, le corps de Marylin Monroe, l’intelligence de Russel et quelque chose de Lénine — de Lénine, je ne me rappelle plus quoi.

Avec Russel j’ai donc redémarré mon char et maintenant elle n’ose plus faire de considérations sur les contradictions entre mes idées et ma pratique. Merci Bertrand.

 

24 février 2002. Enseignement.

Tu m’as enseigné qu’on mord les moyens,

car les fins sont à la fin.

Que le vagabondage de l’esprit est vide

Comme le silence des bêtes.

Que le rire relaye les pleurs

Les cris succèdent aux larmes

Les paroles aux cris

sous les étoiles du silence.

 

Que la vie n’est pas un fleuve tranquille,

Ni un torrent, ni un ruisseau ni la mer

Ni la mer, ni la mer non plus.

Que la vie est parfois un fleuve tranquille

Parfois un torrent, parfois un ruisseau

Parfois la mer, parfois la mère aussi,

Que la vie se vit dans l’eau.

 

Tu m’as enseigné qu’on n’enseigne pas

Quand on veut enseigner,

Qu’on n’aime pas quand on veut aimer

Qu’on ne veut pas quand on veut.

 

D’autres choses tu m’as enseigné,

Que le sexe… que…

D’autres choses que je ne dirai pas

Car tu m’as enseigné qu’il y a des chose

Qu’on ne dit pas.

 



[1] Il s’agit d’une lettre envoyé le 21 février 2002 à l’institut Tremper pour publication sur son site WEB : Trempet.uqam.ca.

[2] NoMore a été fondé en 1999 par Ursula Alexandrovna, Nesrine Beauchamp et Anaïs Duhaime et a actuellement une vingtaine de cellules à Seattle, Vancouver, Toronto, Yellowknife, Edmonton et Montréal.

[3] Pour souligner que notre lettre est une lettre aussi « personnelle » nous nous adresserons directement à nos amis.

[4] Pour ne pas couper toute possibilité de dialogue nous sommes mêmes disposés à accepter des… gouvernements. À accepter dans le but de débuter la discussion, bien sûr.

[5] Ce qui ne veut pas dire que vous mentez.

[6] Nous devons admettre que nous avons introduit cette affirmation plus pour attirer votre sympathie que parce que nous y croyons. Comme vous le voyez on est « hypocrites » dans le texte principal et on redevient sincères dans les notes.

[7] Cette note est sans doute inutile mais… on ne sait jamais. Il ne s’agit pas de la question que Dieu pose. Encore  de l’ambiguïté ! Décidément avec Dieu, comme avec le génitif,  rien n’est simple. La question que pose Dieu ? Encore pire ! C’est la question de Dieu, quoi ! Certaines d’entre nous pensent que la question de l’État est plus importante que celle de Dieu mais ici on a pas besoin de discuter sur de telles nuances.

[8] Le fait que ça se fasse par personne interposée ne change rien au point de vue politique, à la limite cela empire les choses.

[9] La guerre d’Al-Qaida n’est pas la guerre des Occidentaux même si les deux guerres, par définition, doivent se toucher. On suppose que la guerre d’Al-Qaida, n’est pas une guerre juste car ou bien elle est une guerre sainte ou elle est du terrorisme.

[10] Pas comparable en termes de morts mais comparable du point de vue éthique, le point de vue qui compte pour tous les sectaires des livres.

[11] Je sais que je risque de me faire arracher le seul œil qui a encore un bon rapport avec la lumière par mes amis Wittgensteinien, mais, que voulez-vous ? c’est trop facile de paraître intelligents quand on met quelques gouttes de mysticisme dans la sauce philosophique. Et puis, il ne faut pas oublier que l’intelligence n’est que du vernis à jongle.