24 juin 2002. Amour. « J’y tiens comme à l’œil de ma Prunelle. »

 

25 juin 2002 S’étreignaient étroitement. Pour lire vite, comme pour courir vite, il faut de l’entraînement ; surtout si on haït manquer des nuances, ne pas voir des détails ou, carrément, sauter des passages. J’emploie donc certains livres comme un terrain d’entraînement pour pouvoir, le jour où j’ai le bon livre dans mes mains, m’adapter aux escarpements sans trop suer ; pour avoir le rythme du livre : ce qui résume l’âme de l’écrivain, quand il en a une — on ne lit pas la Lettre sur l’humanisme à la même vitesse que Du Côté de chez Swann.

Après deux mois d’entraînement avec des romans de Noteboom, Kundera et Camillieri, au début de juin, j’ai commencé à relire un roman que j’avais lu, en italien, quand j’avais 16 ans et, en français, quand je flirtais avec la quarantaine. Depuis trois semaines, je le lis à une vitesse étonnante pour un lecteur ayant deux mois d’entraînement dans l’esprit ; une vitesse qu’il vaudrait mieux appeler lentesse. Non seulement la lecture d’une page peut durer une vingtaine de minutes, mais, parfois, je fais de très longs surplaces ; d’autres fois je reviens sur un passage le jour d’après et le jour d’après encore et, encore, le jour suivant. Je lis ce roman comme si c’était un poème de Mallarmé. Alors il y eut un silence. Ils se regardèrent ; et leurs pensées, confondues dans la même angoisse, s’étreignaient étroitement, comme deux poitrines palpitantes, à la première lecture (la première de la troisième) j’ai trouvé cet adieu de Léon à Emma Bovary surprenant ; j’eus l’impression que, pour la première fois, je comprenais le sens du mot « angoisse ». À la relecture, ce fut le point et virgule, qui, freinant doucement la phrase— mais avec plus de force que les virgules tant aimées — pour libérer « leurs pensées », me fit faire du surplace. Je téléphonai à Jean, à Paris, pour partager avec un flaubertien de longue date, la joie de cette splendeur. Il n’était pas là. Je continuai. Lentement. Toujours plus lentement, Lorsque j’arrivai au célèbre passage des comices agricoles, qui fait encore suer les adolescents français aux prises avec la dernière dictée de l’année : Les porcs assoupis enfonçaient à terre leur groin ; les veaux beuglaient ; des brebis bêlaient ; les vaches, un jarret replié, étalaient leur ventre sur le gazon et, ruminant lentement, clignaient leurs paupières lourdes… je sentis un excès de maîtrise, que seule l’ironie de l’ensemble ne rendait pas pédant et décidai de relire le passage de « l’angoisse » qui me semblait, lui aussi, maintenant, excessivement maîtrisé : Alors il y eut un silence. Ils se regardèrent ; et leurs pensées, confondues dans la même angoisse, s’étreignaient étroitement…. S’étreignaient étroitement… S’étreignaient étroitement ? Pourquoi cet « étroitement » ? Est-il nécessaire ? n’est-ce pas de trop ? Indécis, je retournai aux comices. Deux jours après, le doute toujours non apaisé, je revins : s’étreignaient étroitement, comme deux poitrines palpitantes. Sacré Gustave, t’as raison ! C’est l’allitération, dure, des « étr[1]… » qui importe : c’est elle qui ouvre l’espace pour ce « palpitantes », bovaryen, mou, sans pour autant être avachi (à cause du « tr » de « poitrines » qui le lie aux. « étr… » précédents). Sacré Gustave !

 

26 juin 2002. Sentiments. Psychologues, psychanalystes, amoureux, romantiques de tout acabit, amis loquaces         (surtout, amis loquaces), parents qui jouez aux amis de vos enfants, enseignants avec des relents d’« aimons-nous les uns les autres », scribouilleurs de la fin semaine, cadres mal baisées, pédés à la retraite et vous tous, vous qui croyez à la parole (même si, souvent, vous oubliez que seule la parole donnée compte) apprenez pas cœur cette phrase et récitez-la à vos sentiments quand ils farfouillent dans la cour boueuse de votre esprit : D’ailleurs, la parole est un laminoir qui allonge toujours les sentiments[2]. Toujours ! Sacré Gustave, tu ne fais pas toujours dans la dentelle, toi !

 

27 juin 2002. Argent. « Je suis accusé d’outrage "envers la morale publique et religieuse & les bonnes mœurs". […] Quand mes juges l’auront lu [Mme Bovary] ils seront convaincus que loin d’avoir fait un roman obscène et irréligieux, j’ai au contraire composé quelque chose d’un effet moral. » Sacré Gustave, que t’es hypocrite ! Voudrais-tu nous faire accroire qu’une phrase comme celle-ci : la femme riche semble avoir autour d’elle, pour garder sa vertu, tous ses billets de banque, comme une cuirasse, dans la doublure de son corset n’est pas un outrage envers la morale publique et religieuse & les bonnes mœurs ? Et quand, dans ta lettre à Maître Senard tu ajoutes : « Je ne redoute, pour ma part, que les littératures doucereuses que l’on absorbe sans répugnance et qui empoisonnent sans scandale », n’es-tu pas en train de confirmer, à tes ennemis, les bourgeois, que ta morale n’a rien à foutre avec la leur ?

 

28 juin 2002. Lac des quinques II. C’est toujours entre la Saint-Jean et la fête du Canada que les Vachon commencent leurs cinq semaines de vacances. La famille Vachon est spéciale : elle est la seule famille, au lac, qui n’est pas reconstituée. Madeleine (Paquette) et Benoît Vachon vivent ensemble depuis 26 ans et Sylvie, leur seule fille, s’est installée dans le couple deux ans après le mariage. Madeleine écrit des pièces de théâtre qui, depuis deux ans, ont un bon succès — au mois d’avril, on jouait une de ses comédies, Inch à Leila, à Montréal, à Paris et à Beyrouth ; Benoît, professeur de philosophie à l’Université de Montréal, platonicien de renommée internationale, s’est taillé une place unique dans l’univers de la poésie française ; Sylvie fait des expériences de vie et, dans ses moments creux, écrit un mémoire en anthropologie sur les immigrés italiens et portugais à Gibraltar, sous la direction de G. Bibeault.

 

Depuis dix ans ils m’invitent au souper d’ouverture de la saison au lac, sans votre présence c’est comme si on n’était pas au lac. Toujours le même rituel et les mêmes mets : une salade californienne avec du vinaigre balsamique, je ne supporte pas la salade sans le parfum du balsamique ; du homard avec de la mayonnaise maison, Madeleine n’en rate pas une, je ne sais pas comment elle fait… Toutes ses copines l’envient ; un clafoutis que Benoît prépare à Montréal avant de partir, il a ses manies : le clafoutis doit faire quelques heures de voiture pour être du vrai ; un expresso préparé avec du café éthiopien, le seul café qui ne trahit jamais ; un calvados pour finir, quoi de mieux ? les pommes peuvent concurrencer les meilleurs raisins. Une famille qui ne risque pas de s’étouffer dans les nuances ; la fille surtout, quand j’aime une chose je l’aime ou je ne l’aime pas. Hier, pour dîner, il y avait aussi un « ami » de Sylvie, un ami génial, un c… quoi. Non, je ne veux pas vous influencer, vous jugerez vous-même au moment opportun ; donc, il y avait aussi un ami de Sylvie, Pierre, un homme dans la cinquantaine qui… Mais, procédons par ordre.

 

Sylvie est venue me sortir de mon trou, avec son ami. Tu ne m’échapperas pas, tu sais que mes parents sont malades, si tu n’es pas là. Elle me présente Pierre.

    Marc ! me dit-il, avec un sourire mi-idiot mi-prétentieux, derrière lequel, après quelques instants d’hésitation, je crains de reconnaître un camarade des années 70.

    Pierre ?

    Oui. C’est moi. Mon Dieu, que c’est étrange. Sylvie me parlait souvent de toi ; mais je n’imaginais pas que, son ami concierge, c’était toi. Toi ? Ici ? Le physicien le plus prometteur de l’Amérique du Nord, concierge d’un hôtel sur le lac pollué de bourges…

Il n’a pas changé ; ça faisait trente ans que je ne le voyais pas et il me bombarde de lieux commun, comme si on s’était quittés hier ; comme si on était encore dans une des assemblées de notre jeunesse. Il n’a pas changé : il continue à ne rien écouter et à parler comme si la vérité avait choisi de s’incarner dans son corps disgracieux, ratatiné comme une vielle nèfle, en attendant de se volatiliser dans le vide universel. Pour l’arrêter, il fallut que Sylvie lui lance un regard qui aurait bloqué un buffle enragé.

    Tu n’as pas changé. Toujours si intègre, lui dis-je, pour montrer mon intérêt pour ses philippiques.

    Je serai toujours intègre, me répliqua-t-il. Je ne suis pas comme les petits bourgeois…

Je leurs proposai de prendre le raccourci qui coupe la Point-au-persil. Cette promenade, qui d’habitude me prenait quinze minutes, s’éternisa. Toutes les fois que j’allongeais le pas, Pierre s’arrêtait et palabrait immobile, la tête penchée, insouciant de mes jambes frétillantes et des soupirs de Sylvie.

    Maman, on est là, cria Sylvie, après nous avoir installés sur des chaises longues devant l’escalier, en bois pourri, qui mène à la plage. Tu sais que Pierre et Marc étaient des amis, il y a trente ans, et qu’ils se voient pour la première fois, aujourd’hui, depuis 1975 ? Avant ma naissance…. n’est-ce pas étrange ?

    C’est génial. J’arrive. Va appeler papa qui est chez les Dagenais.

Avec des shorts trop courts pour son poids, des cheveux trop longs pour son âge et un T-shirt trop serré pour son poitrail, mais avec un sourire et une démarche toujours impeccables, Madeleine s’avança. Nous nous embrassâmes comme si ça faisait un an qu’on ne se voyait pas — je l’avais vue il y a deux semaines, quand elle avait pleuré, en parlant de son manque de désir pour Maupassant, son amant haïtien qui continue à être très charmant… mais il y a un courant qui ne passe plus. C’était toujours comme ça, chez les Vachon ; c’était comme si, pendant la cérémonie du repas, les onze mois précédents n’avaient pas laissé de traces, ce qui ne les empêchait pas de ressurgir, plus vigoureux que jamais, le lendemain. Je suis sûr que, demain, Madeleine viendra à l’hôtel pour me remercier de ma gentillesse d’il y a quinze jours.

    Je vous trouve toujours plus en forme, me dit-elle, avec une moue qui avait déjà dû être un appeau fort efficace. Vous ne vieillissez, pas. Ah ! l’air du lac…

    Moi, je le trouve très vieilli, dit Pierre, sans lever les yeux du livre de Lénine qu’il lisait ostensiblement.

    Merci Pierre. Avec toi on est sûr que la vérité ne s’agenouille pas, répondis-je sans détacher les yeux des yeux de Madeleine. Vous avez l’air mieux qu’il y a deux semaine.

    Ça va mieux, me dit-elle, de manière un peu brusque. Voilà Benoît. Benoît ne trouves-tu pas que Marc ne change jamais ?

    Bonjour Marc, comment allez-vous ? me dit-il, en m’embrassant à sa manière chaleureuse, qui ne laisse pas des doutes sur ses sentiments. Bonjour Pierre. Vous ne perdez pas votre temps, vous…

    Je n’ai rien à perdre, sinon mes chaînes…

    Vous êtes chanceux, lui riposta Benoît, pendant qu’il débouchait une bouteille de Reisling. Vous n’avez pas nos angoisses, les angoisses des grands propriétaires !

    L’angoisse des propriétaires, je me la mets dans le cul…

Décidément Pierre n’a pas changé. L’ironie n’est pas sa tasse de thé. Cette sortie aurait pu faire tourner la soirée au vinaigre mais Madeleine, avec une classe digne d’une maîtresse de maison du XVIIIe siècle, sut remettre la civilité sur les rails : « savez-vous pourquoi Freud mit-il le cul dans l’angoisse ? »

    Maman, pas encore tes jeux intellectuels ! dit Sylvie, qui, comme toujours, quand elle est mal à l’aise, avait commencé à se torturer les cheveux.

    Sylvie a raison. On fera le jeu pendant le souper. Je propose que tu jettes les montres pendant que je mets le couvert, dit Benoît avec un ton pas tout à fait enjoué.

    Pierre, Marc, venez à la cuisine voir la grande cynique à l’œuvre, dit Sylvie.

    La grande cynique ! Il n’y a aucun cynisme, c’est la tradition des Îles, rien que de la tradition, répliqua la mère avec une voix enfantine.

    Marc restera avec moi, il t’a déjà vue mille fois embobeliner tes homards, dit Benoît en me souriant.

Pierre, qui aurait pu ne pas rater une occasion pour se taire, dit quelque chose comme « seule la tradition du mouvement ouvrier est une tradition positive », déposa son Lénine au milieu de la table, prit Sylvie par la taille et disparut dans la cuisine.

 

Les caresses de Madeleine aux monstres sont plutôt amusantes — pour les observateurs — et certainement agréables pour les homards. Avant de les jeter dans l’eau bouillante, la tête en premier, la tête en premier, c’est très important, la main, bien collée à la carapace, part du plan de la table, décrit un mouvement parfaitement circulaire, s’arrête pour une seconde un demi-mètre au dessus du centre du chaudron, et, en piquant du nez se lance vers l’eau à une vitesse qui fait craindre — à des gens comme moi, très peu sensibles aux états d’âme des crustacés — plutôt pour la main que pour le homard ; mais la main s’arrête et s’ouvre avec un automatisme d’une telle précision qu’on ne peut que penser à une maîtrise transmise génétiquement. Le cynisme dont parlait Sylvie est, éventuellement, dans la partie préparatoire : Madeleine prend un homard par la carapace, comme quiconque veuille le faire bouillir vivant, l’assoit, comme elle dit, c’est-à-dire qu’elle le met sur la table, debout sur la queue légèrement pliée en avant, et avec la main libre lui caresse le ventre pendant une dizaine de secondes. Vous voyez comme il aime ça ? regardez comme il se relaxe ! les pinces se baissent… oui mon petit tu aimes ça… je sais…oui un peu de plaisir… tu le mérites. Mon grand-père disait qu’il savait si un homard avait été jeté dans l’eau sans des câlins… la chair est plus fibreuse, bonne pour des touristes montréalais qui n’ont pas le « palais des Îles. Et plouf.

 

Pendant que dans la cuisine Madeleine célébrait la grande messe pour homards, Benoît et moi nous mettions le couvert, en discutant des conséquences du nouveau sentier qu’on avait commencé à tracer entre le vieil érable de la Colline-aux-asperges et Pointe-au-persil. Contrairement à moi qui suis, presque par principe, contre toutes les interventions « paysagistes » favorisées par les écolos de l’« école québécoise », il trouvait que c’était une bonne idée — depuis, je le soupçonne d’en être à l’origine.

 

« Tous à table, les monstres sont prêts ! », cria Sylvie qui avait eu la tâche de contrôler la durée de la cuisson (Madeleine, pourtant une chef redoutable, a un problème avec les temps de cuisson ; je l’ai déjà entendue dire qu’un bon risotto nécessite de deux heures de cuisson ou que, pour des vielles patates, il suffit de cinq minutes. Je ne sais jamais comment de temps ça prend, je regarde, je touche).

    Donc… les… places à table… Madeleine entre Pierre et Marc… toi, Sylvie, devant moi, dit Benoît qui avait reconquis son sourire ouvert. Trinquons à notre rencontre

    Et, aux sans-abris, ajouta d’un air sombre Pierre.

    Et, aux sans-abris.

Dans l’espoir de ménager la bêtise de Pierre, comme Benoît nous dit quand l’atmosphère se fut rassérénée, Benoît commença à parler d’Empire, un livre qui semble avoir eu un énorme succès aux États et dont un des auteurs, Toni Negri, est considéré… mais, il est sans doute mieux que je décrive le déroulement de la discussion sans commentaires personnels, comme dans une scène de théâtre.

 

Bénoit. S’adressant à Pierre. Avez-vous lu le dernier livre de Negri ?

 

Pierre. Non. Ça ne m’intéresse pas.

 

Madeleine. Pourquoi ? Sylvie nous a toujours parlé de vous comme d’un homme engagé.

 

Sylvie. Maman, je t’en prie ! Je n’ai jamais dit que Pierre est engagé. Pierre est un militant !

 

Marc. Je confirme. Pierre a toujours été un sacré militant

 

Pierre. Je n’ai pas besoin de ton appui et, surtout, je n’aime pas ton sarcasme.

 

Marc. Respire par le nez.

 

Pierre. Ajoute « mange, parce que tu ne sais pas qui te mangera » et t’auras fait le plein…

 

Madeleine. Si vous êtes militant vous devriez aimer encore plus ce livre. Empire est un livre militant, militant et intelligent.

 

Pierre. Negri n’est pas un militant. Il est un traître de la classe ouvrière. Les révolutionnaires italiens crèvent dans les prisons pendant que lui, il donne des entrevues à la télé.

 

Benoît. Negri a fait de la prison et a été en exil pendant des années…

 

Pierre. Exil parmi les intellectuels parisiens ! La prison ? Quelques mois.

 

Benoît. Qu’en savez-vous de l’exil et du poids de ne pas pouvoir rentrer chez soi ? Avez-vous été en prison, pendant quelques années, comme Negri ?

 

Pierre. J’en sais beaucoup.

 

Benoît. Comment avez-vous su ?

 

Pierre. J’ai lu. J’ai lu Lénine, Kropotkine, Bordiga, Goldman… Negri, comme tous les intellectuels universitaires, exploite le travail de  ceux qui crèvent dans les prisons, qui crèvent de dope, qui n’ont rien à manger pendant qu’eux, les intellectuels de gauche, mangent du homard… J’ai lu et j’ai bu. De la biare, de la bonne biare. Molson, Black… surtout Black, n’est-ce pas Sylvie ?

 

Benoît. J’ai l’impression que les homards ne vous lèvent pas le cœur.

 

Pierre. Je ne suis pas con et j’exploite le système.

 

Benoît. Et les parents de vos amis.

 

Pierre. Aussi. Je n’ai pas la morale bourgeoise, moi. Ma morale est révolutionnaire. Je laisse à des traîtres comme Negri…

 

Benoît. Ne trouvez-vous pas que vous exagérez ?

 

Pierre. Je n’ai pas peur, moi, des exagérations. Sylvie, va prendre une bière.

 

Benoît. Comment vous permettez-vous ! De la morale bourgeoise, je me fiche autant que vous, mais de l’intelligence non. Des cons comme vous…

 

Sylvie. Papa ! Il a trop bu…

 

Benoît. C’est bien pour cela. Il a trop bu et il dit ce qu’il pense, si cela s’appelle penser… Levez-vous et partez !

 

Pierre. Mais... je ne comprends pas.

 

Benoît Vous ne comprenez rien. Levez-vous et partez !

 

Pierre. Mais... Sylvie.

 

Benoît. Levez-vous et partez si vous ne voulez pas que je fasse comme Madeleine avec les homards… je vais vous calisser dans le lac.

 

Pierre. C’est de la violence pure.

 

Benoît. Oui de la pure violence qui se révolte contre la bêtise de petits faux culs comme vous, qui critiquent parce qu’ils ont la panse remplie de bière. Partez si vous ne voulez pas partir en bière.

 

Sylvie. Papa ! Calme-toi !

 

Pierre Se lève et s'en va vers la voiture de Sylvie.

 

Sylvie. Je l’accompagne

 

Nous terminâmes les homards sans souffler mot. Après le calvados, Benoît retourna à la normale et m’expliqua ce qu’il trouvait d’intéressant dans Empire.

 

29 juin 2002. Rêves sans rêve. Qu’est-ce qu’un rêve ? (Un vrai : un de ces rêves qui nous possèdent quand nous dormons et non de ceux auxquels nous nous abandonnons réveillés[3].) Quelque chose que les événements de la vie éveillée déclenchent dans notre tête.

Qu’est ce qu’un souvenir ? Quelque chose que les événements de la vie éveillée déclenchent dans notre tête.

Un rêve et un souvenir sont donc la même chose.

 

L’homme qui aima la lune de Borges le pense aussi. Mais…

 

La gente me rehuye. Le da miedo

El hombre que fue amado por la luna.

Os años han pasado. Una zozzobra

Da horror a mi vigilia. Me pregunto

Si aquel tumultode oro en la montaña

Fue verdadero o no fue más que un sueño.

Inûtil repetirme que el recuerdo

De ayer y un sueño son la misma cosa.

Les gens me fuient. Ils ont peur

De l’homme qui fut aimé par la lune.

Les années ont passé. Aucune quiétude

Dans mes journées. Je me demande

Si ce tumulte d’or sur la montagne

Fut vrai ou ne fut qu’un rêve.

Inutile de répéter que le souvenir

D’hier et un rêve sont la même chose.

 

Pourquoi préfère-t-on le souvenir d’un événement de rêve au rêve d’un événement ? Parce qu’on est plus réalistes qu’on ne veuille l’admettre. Frères humains qui rêvez de rêves sans rêve…

 

30 juin 2002. Montréal et Rio. « Montréal n’est pas une ville laide, mais, quand on y vit trop longtemps, on oublie ce qu’est une belle ville. Rio, par exemple, est vraiment une belle ville, une vraie belle ville », me dit-elle quand je lui dis que je trouve Montréal jolie, en été.

 



[1] J’eusse était critique littéraire, j’aurais créé une théorie sur ces deux « étr… » qui font  signe à l’être.

[2] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Gutenberg & associés, 1995 (p. 323). À propos de la rencontre à la Croix-Rouge entre Emma et Léon.

[3] Réveillé : Re-éveillé si vous croyez à l’étymologie et rêve-ayez si vous croyez à la politique.