18 mars 2002. Faune. Le 18 mars 1842, dans le ciel
français apparut une étoile. Toujours, elle est là, comme notre mère Ève
coruscante et tel le serpent sinueuse. Parle-moi, étoile de l’après-midi,
parle-moi du soir du faune. Parle-moi, avant que la nuit n’arrive.
19 mars 2002. Suspension. C’est facile de critiquer
Blair, ça donne un air pur comme celui des cimes afghanes, celui que respirent
les restes des guerriers de Al Qaida qui respirent encore. Mais avant de
l’attaquer, il faudrait considérer d’où il est parti (vous souvenez-vous de
madame Thatcher ?)
et où il est arrivé.
Si, à titre d’exemple, on considère sa « politique de l’enfance », il est aisé de voir que la législation du Royaume-Uni est une des plus avancées au monde. Pour punir un écolier il faut suivre des procédures tellement compliquées qu’il pourrait faire pipi dans l’oreille de sa maîtresse sans que l’on ait le droit d’envisager une suspension, même de quelques heures. Pour montrer que je n’exagère pas il suffit de penser au cas de Mary C. une fillette de neuf ans de Liverpool dont le sourire força son professeur au viol et qui eut droit à un simple capuchinade[1]. Il est difficile de ne pas être d’accord avec une politique très stricte de protection de la jeunesse, à moins d’être un provocateur invétéré qui dit n’importe quoi pour ne pas s’aligner sur les idées de la majorité, d’être un vieux satyre ou un nazi ou n’importe quel autre rebut de la race humaine. La défense des faibles — et qu’y a-t-il de plus faible que les pousses humaines ? si faibles, si mignonnes — bien avant qu’elle ne devienne un des chevaux de bataille de la gauche vivifiait depuis la nuit des temples toutes les morales humaines. Inutile de dire que les adversaires les plus irréductibles de Blair, ceux qui critiquent sa politique internationale en disant qu’il n’a pas respecté les même principes qu’il a appliqués dans son pays, sont de mauvaise foi ou des imbéciles : on n’applique pas bêtement les mêmes principes dans des domaines si différents comme la politique internationale et l’école. Les principes, comme la mode, si on ne veut pas tomber dans le ridicule, doivent s’adapter aux situations — on ne porte pas des talons hauts et un corset Jean Dominique Vacher lorsqu’on nettoie une étable ! Considérons l’Afghanistan, où Blair semble perdre beaucoup de plumes : si, avant de punir l’Afghanistan, il avait appliqué des procédures complexes comme celles qui sont appliquées aux écoliers londoniens, les bombardements n’auraient pas encore commencé[2] et on risquerait d’être envahi par l’idéologie talibane : on verrait les femmes occidentales lutter pour porter la bourqa, pour ne pas travailler hors de la maison, pour ne pas avoir des soins hospitaliers, pour ne pas aller à l’école, pour être violées sans qu’on n’en fasse tout en tabac... Ce qui provoquerait une crise économique sans précédents, et Blair le sait. Les catégories de « faible » et de « fort », si bien adaptées aux humains, ne sont pas applicables à des pays, à moins d’être de vieux nationalistes bornés. Dans chaque pays, il y a des faibles et des forts, ce qu’il ne faut enseigner à Blair — il n’est pas socialiste pour rien. Blair engage son pays à défendre les faibles de tous les pays. Coûte que coûte. Et ce n’est pas parce que ça ne lui coûte rien, personnellement, que c’est moins important (seulement de bas démagogues emploient de tels arguments sans valeur politique et intellectuellement nuls pour dénigrer les hommes de pouvoir). Si on est un tant soit peu connaisseur des choses politiques, il est difficile de ne pas être d’accord avec Blair sur l’Afghanistan. Certes la politique afghane est tellement simple qu’il ne faut pas avoir inventé la poudre… mais pour montrer que le flair de Blair est hors pair on peut considérer un exemple de politique internationale un peu plus corsé.
Imaginez que Blair, avec d’autres gouvernements du Commonwealth, doit juger un pays de onze millions d’habitants, une superficie de 390 759 Km carrés, avec 44% de la population de moins de 15 ans et une espérance de vie de 39, pour son comportement[3] antidémocratique. Le fait que ce pays ait eu l’indépendance du Royaume-Uni seulement le 18 avril 1980 (20 après la grande vague de décolonisation) n’a aucune importance, je dirais même que cela le rend encore plus coupable car le retard a permis à sa classe dirigeante de rattraper certains standards de l’économie éclairée. Que 1 % de la population détienne 80% des terres cultivables est aussi sans importance. Ce sont des chiffres qui frappent l’imagination des têtes chaudes mais qui sont tout à fait normaux dans nos pays aussi. Il faut admettre que, dans notre[4] pays, l’agriculture est encore très importante et donc que ces chiffres ont une signification fort différente qu’en Occident.
Il serait sans doute
intéressant de savoir si les gens qui détiennent presque toutes les richesses
du pays ont quelque chose en commun, au-delà du fait d’être riches. Pour le
découvrir allons-y avec un dialogue, symbole de la démocratie :
— Ils ont tous mal au genou droit.
— Non.
— Ils souffrent d’hémorroïdes.
— Non.
— Ils aiment Bono.
— Non.
— Ils n’aiment pas la fondue avec du vacherin.
— Non, cela non plus.
— Ils s’appellent Mugabulélé ou Lalouboulouloulou
— Pas du tout.. Ils s’appellent Smith, Cochrane, McCulloch…
— Ils aiment tricoter.
— Tricoteeer… au sens de tricoter ?
— Tricoter.
— Je ne crois pas.
— Ils aiment les aisselles poilues.
— Non.
— Ils aiment la jambonne de Bayon ?
— Non.
— Je donne ma langue aux hyènes.
— Ils sont tous des Blancs !
— Des Blancs ? Et alors ? La race est sans importance. Es-tu raciste, pas hasard ? Ils sont indépendants depuis seulement vingt ans. C’est normal.
— C’est normal. Je n’avais pas pensé à cela. T’as raison et Blair aussi. Il faut suspendre ce pays du Commonwealth si on ne veut pas que les Noirs prennent les terres des Blancs.
— Je viens de piger ! Tu parles du Zimbabwe et de son dictateur Mugabe. Il est clair que Blair a raison. Mugabe est un raciste de la pire espèce et le racisme n’est pas compatible avec la démocratie. Je crois qu’il faudrait arroser le Zimbabwe avec le gaz BpC-119Aus44-Witz pour arrêter cette peste raciste.
— Ça fait du bien de parler avec quelqu’un qui connaît la politique comme toi. Sans toi, je n’aurais jamais pensé que Mugabe était raciste. Mais tu m’as tout éclairci. Il faut que la communauté internationale ostracise Mugabe afin que les Blancs conservent la terre que Dieu leur a donnée pour les remercier de leur attachement aux vraies valeurs, qui ne sont pas de cette terre.
L’Afghanistan et le Zimbabwe sont deux exemples typiques du solide fondement moral de la politique de Blair.
Note 1 : Les tergiversations du Premier ministre canadien sur la question des fermiers blancs montrent, encore une fois, la différence de stature politique des deux pigeons voyageurs de Bush.
Note 2 : Les terres qui n’appartiennent pas aux Blancs (le 20 %) appartiennent aux Noirs non racistes qui, pendant la domination coloniale, ont été des serfs fidèles et utile à la cause britannique.
20 mars 2002. Ématze. Ces « bouches charnue », ces « bouches de faunes », cette « salive lourde » qui « tel le fil de l’araignée peut s’étirer en filaments clairs », ouvrirent le sac de l’antique peur. Les vents soulevèrent une courte lame de dégoût qui se brisa après trois pages contre ces « femmes pendues pas les cheveux » « dans le boudoir du souvenir » des hommes. Trois pages. Trois pages, puis la peur de l’uranisme se tut et aucune vague ne ralentit la traversée des 136 pages du livre de Breillat[5].
En apnée, hors du temps.
Pornocratie n’est ni un récit, comme la couverture aimerait nous faire croire, ni un essai, comme un lecteur courbé sous la réflexion pourrait protester ; un poème non plus — point ne suffit de bien écrire pour que la musique enchaîne la parole. C’est une oeuvre inclassable, superbe en images et forte en vérités.
La pratique de la caméra a laissé, dans les mains de l’auteur, des fils qui relient les concepts comme image à image. Nul besoin d’en tirer un film, comme elle veut faire. Ce livre est déjà un film, mince et résistant comme les idées vieillies en fûts de passion : il est une remise dans le flux du temps d’un scénario enfoui dans les sédiments de notre culture
Dans des centaines de milliers de pages des hommes nous parlent de la femme. Quelques pages de femmes nous parlent de l’homme. Jamais je ne vis un tel éclairage sur l’égarement des hommes. Jamais je ne lus, sur le sexe qui fait la femme, des paroles d’une force si tendre et ennemie de la mièvrerie.
21 mars 2002. Acédie. Ça faisait une dizaine d’années qu’on voulait le faire, mais il y avait toujours quelqu’un du gang qui ne pouvait pas. Finalement, hier, tout le monde était disponible et on a pu fêter le vingt-septième anniversaire de notre promotion de Science po de l’UQAM. Pour renouer avec le bon vieux temps on s’était donné rendez-vous au bistrot Saint-Denis.
On devait être dix-sept et on était dix-sept.
Excepté André, Jean-Marc et Sylvie, que j’ai continué à voir au moins deux ou trois fois pas année, et Diane que j’ai vue parfois à la télé, les autres je ne les avais plus croisés. Quel effet ! Une vingtaine de visages travaillés par le temps comme je n’aurais pas imaginé. Les gestes, seuls les gestes et l’intonation de la voix semblaient ne pas avoir changé. Et pourtant, sur chacun les jours avaient laissé des marques personnalisées, comme si le vieillissement du corps était piloté par quelque chose que le corps protégeait (l’âme?). Chacun avait ses détails que le temps avait respectés : les signes de l’ancienne splendeur (l’âme ? Ça doit être cela : l’âme est un détail qui pour certains est dans les yeux, pour d’autres dans les joues ou dans le nez…). Prenons Béatrice, par exemple, la belle Béatrice aux pommettes saillantes et aux lèvres charnues qui avait abreuvé tout le département des rêves les plus insensés : hier elle semblait sortir directement d’une bande dessinée techno tellement ses os avaient envahi le visage.
Lentement, je m’habituai. Je ne voyais plus les corps, je ne voyais que les gestes, les styles, les désirs, les peurs... Béatrice aussi était sortie de la bande dessinée et montrait son âme qui, comme il y a vingt-sept ans, était dans son cul : les regardes tristes et mous de la faction mâle du troupeau le démontraient assez clairement.
Je m’assis entre André et Marie-Blanche, devant Cyrille qui, n’ayant pas perdu ses manies d’intellectuel à contre-courant même quand il n’y a pas de courant, commença à faire le panégyrique de Madonna. Il s’attendait à ce que je réagisse, exactement comme dans les années soixante dix, quand il me faisait sortir des mes gonds avec ses grandes tartines sur Dalida. Je me limitai à lui sourire, Marguerite, par contre, ne se tut pas.
— Vous me faites chier avec votre Madonna, votre Madonna de paille…
— Si Madonna est de paille…
— Madonna de Paglia, si tu préfères. Mais, Paglia c’est paille, en italien. C’est Paglia qui a donné aux petits snobinards des armes pour défendre des positions intenables. Connes.
— T’as pas changé, Margot.
— Toi non plus, duconnau.
« Trente ans n’ont rien changé à votre agressivité. Buvons à Madonna et arrêtons de dire des niaiseries », dit André en levant sa Black. Malgré les exhortations d’André, toute l’assemblée se mêla de la discussion. Je n’en pouvais plus.
— André, allons dans l’autre salle parler un peu plus tranquillement.
— J’allai te le proposer.
On parla de sa famille. Des amis qu’il ne voyait plus. Des reproches continuels d’Amélie. Des livres qu’il ne lisait plus.
— Je me suis mise à Saint-Thomas.
— Toi ! Celle qui crachait sur tout ce qui sentait le religieux !
— Oui. Mes idées sur la religion n’ont pas changé mais Saint-Thomas c’est spécial. Il est mon mètre. Mètre : m, è, t, r, e. Il me permet de mesurer la distance parcourue par le monde des idées, par la langue, depuis le moyen âge.
Je lui parlais donc de ma dernière découverte à propos de la paresse.
Quand Ivan a su que je m’intéressais à saint-Thomas, il m’a fait cadeau de la Divine Comédie en me disant que j’y aurais trouvé un maître (me, a, i, t, cette fois) d’images qui m’aurait aidée à mieux cerner les idéologies du moyen âge. Il a dit « idéologies »? Oui, idéologie. Il n’a pas changé. Avant qu’il ne change les dents auront des poules. Effectivement avec Dante je me suis installée dans le cinéma du quatorzième siècle. Je ne connais pas l’italien mais, parfois, je lis les vers dans l’original… As-tu une version bilingue ? Oui. Une traduction de Catherine Risset, publiée par Flammarion… Est-ce qu’elle est bonne ? C’est difficile pour moi de juger mais parfois j’ai l’impression qu’elle y va un peu trop légèrement. Le chant XVIII du purgatoire, par exemple, devrait traiter de l’acédie… L’acédie ? Oui, l’acédie, un des péchés capitaux… Je ne suis pas un expert du catholicisme mais je connais les sept péchés capitaux : luxure, avarice, envie, gourmandise, paresse, colère… ça fait six… il m’en manque un, donc j’ai nommé la colère, l’orgueil… Non, tu n’avais pas dit orgueil… Alors ils sont sept et il n’y pas de, comment dis-tu ? Acénie ? Non, acédie. Risset semble avoir le même problème que toi. Dante écrit « acédia » et elle traduit « paresse ». Mais les deux concepts sont seulement des cousins de dixième degré. Si c’était seulement une mauvaise traduction, ce ne serait pas tellement important, mais c’est bien plus que cela. « Acédie » est disparue des dictionnaires. La paresse a pris la place de l’acédie même dans le vocabulaire catholique. Mais toi, où as-tu trouvé « acédie » ? Dans la traduction française de la Somme théologique de saint-Thomas, publiée par les éditions CERF. Si l’acédie n’est pas la paresse, qu’est-ce ? On pourrait la définir comme un dégoût des choses spirituelles. Une tristesse qui naît de nulle part… Le spleen de Baudelaire ? D’une certaine manière. Oui, je crois que le spleen d’un certain dandysme du XIXe siècle est plus proche de l’acédie que non la paresse. L’acédique est triste, parce qu’il ne voit plus ce que quelques heures avant lui donnait de l’espoir… Quelque chose comme l’angoisse ? Pas sûre. Je ne dirais pas que l’acédique est angoissé, il est plutôt catatonique… désespéré… C’est pour cela que c’est un péché capital. Agamben en parle dans… je ne me rappelle plus où. Comment expliques-tu que le terme ait disparu et que sa place ait été prise par « paresse » ? Je crois que l’explication n’est pas difficile. Ce qui caractérise l’époque moderne c’est la valorisation du travail pour le travail. Le paresseux est celui qui n’a pas confiance dans les vertus du travail, qui refuse de s’investir dans des tâches d’aujourd’hui pour mieux vivre demain… Comme l’acédique du moyen âge, n’ayant plus d’espoir, arrêtait de prier .. Le moine prisonnier de l’acédie est un peu comme le travailleur qui n’a pas envie de se lever du lit pour se présenter au bureau ou à l’usine. Penses-tu que, puisqu’on n’a plus de mot pour dire acédie, l’acédie a disparue ? Ce qui est certain c’est qu’elle a disparue de l’Église qui a su s’adapter aux besoins de la société… que dis-je des « patrons » dans la société… elle a disparue du vocabulaire de l’église mais avec des noms d’emprunt est entrée dans le monde de la psy. Donc si la primauté du travail cède sa place, on aura un retour de l’acédie comme péché capital. Oui, l’acédie pourrait devenir le péché capital de la société post-travail. Même dans notre société, plus on aura des gens qui feront du travail intellectuel et plus on aura d’acédique. L’acédie comme maladie d’intellectuels ? Je préfère penser l’acédie comme la maladie d’une société où le travail devient abstrait. Tu me fais penser aux thèses de Kurz sur le devenir abstrait du travail concret. C’est un peu cela. L’acédie comme maladie du communisme…
— Marie-Andrée, arrête de cruser André. Vient-en avec nous autres. Venez.
— Avez-vous fini avec Madonna.
— On s’est fait Madonna, Heidegger, Landry, Breillat… et qui encore ? François…
— Mugabe..
Vers une heure du matin André, Sylvie et moi, nous avons cassé le party comme nous a dit Béatrice et nous avons remonté Saint-Denis en parlant de nos voyages.
— Une dernière bière à L’inspecteur épingle ?
— Non, pour moi il est trop tard. Je n’ai pas envie de me faire engueuler.
— Mon Amélie à moi elle s’en fout. Allons-y.
— Salut les filles.
— Salut.
— Salut.
Une dernière bière qui s’est multiplié par quatre.
On s’effleure.
Je sais qu’elle sait que je sais qu’elle sait. Elle sait que je sais qu’elle sait que je sais. Quelques secondes au coin de Saint Urbain, sans dire un mot.
On s’effleure.
— Dors bien.
— Dors bien.
22 mars 2002. C’est triste. C’est pathétique et en même temps très beau de le voir s’engouffrer dans des gros mots philosophiques, lourds et creux, pour dire ce qu’on peut dire avec les mots soignés du quotidien. Rien d’étonnant, et surtout rien de triste.
Ce qui est triste c’est que des hommes dans la cinquantaine prennent cela comme de la réflexion.
C’est exaltant de voir
la vie de la pensée s’exprimer avec des mots simples, par la bouche d’une fille
de vingt ans.
C’est triste de voir
des hommes dans la cinquantaine ne rien comprendre à cette pensée enracinée
dans la terre des idées.
C’est triste, mais
faut-il continuer à motiver des jeunes hommes de vingt ans qui pensent comme
des hommes de cinquante ans pensent de penser et rendre la vie difficile à des
femmes de vingt ans qui pensent comme des femmes de vingt ans?
C’est triste que mes
amies croient que le temps du féminisme « classique » est
révolu !
23 mars 2002. Mp3. Avant il était bien rare qu’elle
se lève avant sept heures. Maintenant à quatre heures et demie elle est déjà
devant son ordinateur. Jusqu’à il y a un mois il m’arrivait de rentrer à la
maison vers midi, sans préavis, et de ne pas la trouver. « Je suis allée
me promener sur la montagne avec Laurence… je me suis baladée sur Saint- Denis…
J’étais au cinéma. » Maintenant elle est toujours là, devant sa machine.
— Est-ce qu’on mange ?
— Encore cinq minutes. Je finis de préparer un disque de poésie pour Jeanne et puis j’arrive.
Deux heures après, elle n’est pas encore arrivée. Elle est toujours en train de s’amuser avec Morpheus, un logiciel qui permet de faire des échanges de fichiers mp3. Elle a maintenant des dizaines de versions de Gracias a la vida, Law’s heel ou Les trompettes du dormeur. Elle grave des dizaines de disques par jours.
Elle est heureuse.
Je suis heureux.
Tout ce préambule afin que vous compreniez ma réaction aux bêtises que je lis en attendant qu’elle termine de graver un disque de Tom Waits pour l’envoyer à Alger à une de ses copines (depuis qu’on vit avec Morpheus elle a beaucoup plus d’amis, comme quoi ceux qui disent que les ordinateurs referment le monde ne savent pas ce qu’est le monde) Il s’agit d’un article contre le piratage de la musique et contre le bonheur de ma femme, de ses copains et de ses copines, de millions de jeunes qui peuvent finalement écouter ce qu’ils veulent sans faire des hold ups dans la chambre des parents. Voici un échantillon commenté des conneries qu’on peut dire pour défendre les intérêts économiques d’une industrie qui, heureusement, ne pense qu’au fric.
Connerie |
Commentaire |
La question du contenu musical, c’est ce qui nous intéresse. (Président de l’ADISQ) |
No comment. |
Comment allons-nous, créateurs du Québec, réussir à survivre ? (président de l’ADU) |
No comment. |
Je crois que l’industrie doit avoir les idées
claires. (D. Lemieux ministre de la culture) |
No comment. |
On s’attend que l’industrie de la musique
présente rapidement sa pensée. (D. Lemieux ministre de la culture) |
No comment. |
Il faut stopper l’hémorragie, car elle influe directement sur la diversité culturelle. (Représentant de la SODRAC) |
No comment. |
Un commentaire[6]
aux commentaires : rien à ajouter
24 mars 2002. Reine et queen.
— Qui est-ce ?
—
La
nouvelle reine du Maroc.
—
Elle a
l’air d’une vraie femme arabe. Mais, le roi n’était-il pas homo ?
—
Et
alors ? Un roi
musulman, en ces temps-ci, ne peut quand même pas se faire une drag queen
new-yorkaise !
[1] Capucinade.
[2] Même si ce sont les Américains qui bombardent, tout est comme si…
[3] Comportement d’un pays !
[4] Notez la puissance des langues qui nous permettent de passer de « nos pays » à « nôtre » (un pays qui ne nous appartient pas comme les nôtres) avec une extrême facilité. Comme quoi la langue nous permet de jouer avec la propriété comme on veut. Ce qui semble confirmer qu’entre la parole et le monde il y a un clivage, quoi qu’en disent les tenants du « tout est interprétation ». Ce « notre », dans mon cas (j’ai eu la tentation d’écrire « notre cas », ce qui aurait rendu ma note encore plus baroque) est clairement employé pour donner un style familial avec un soupçon d’ironie.
[5] Catherine Breillat, Pornocratie, Denoël, 2001.
[6] Ma femme a des ascendants juifs et elle m’a choisi, c’est ce qu’elle dit, pour ma capacité de commenter les commentaires de mes commentaires.