2 septembre 2002. Etc. L’État moderne, comme les monarques des anciens régimes, promulgue des lois pour garder l’ordre établi. Mais l’ordre établi est un ordre parmi une infinité d’autres et, à ces autres ordres, il s’oppose avec les armes de la loi, les armes des « armes », les armes idéologiques, etc. Aller contre la loi pour renverser l’ordre établi ne veut donc pas dire instaurer le désordre, mais établir un nouvel ordre, qui, éventuellement, deviendra « établi ». Ce nouvel ordre peut-il exister sans des lois qui limitent les possibilités d’actions des sujets assujettis au nouveau pouvoir ? S’il y avait un ordre ultime et parfait dans lequel les sujets étaient « heureux » et où il n’y avait plus de rapports de force parce que tout fonctionnait « automatiquement », oui. Mais étant donné que cet ordre parfait n’existe pas parce qu’il serait la réduction de la vie à un seul ordre possible — donc à la mort — on aura encore besoin de lois. Le nouvel Empire comme les États modernes promulguera des lois pour garder l’ordre établi. Mais le nouvel ordre établi sera un ordre parmi une infinité d’autres, etc. L’éternel retour du même. Oui, l’éternel retour du même mais avec des nouveaux individus, ce qui n’est donc pas le même à moins de croire que l’abstraction du langage est plus importante que le concentré de muscles, de neurones, de discours, d'affects, etc. qu’un appelle individu.

 

3 septembre 2002. Science et ronflement. Vous pouvez faire des sauts périlleux, vous démenez comme un asticot dans un verre de bière ou lui intenter un procès devant le Haut tribunal de l’Histoire mais, peu importe le choix, la science, surtout la science médicale, aura toujours raison. Même quand vous avez l’impression qu’elle est complètement à côté de la plaque. Pensez à n’importe quelle explication qui semblait « impossible » il y a pas longtemps et vous verrez que, depuis, les savants ont démontré que c’était bien comme cela. Les sens et la raison communs nous trompent sans cesse, voilà une vérité que nous portons tous dans notre sac à mots quotidien. Hier, par exemple, j’ai eu une confirmation, très (presque trop) personnelle, de ce que je viens de dire[1].

Ayant plus que cinquante ans et bandant moins qu’à vingt ans, je ne suis pas, pour autant, au bord du suicide. Pourquoi ? Parce que j’ai toujours lié « ces choses-là » au phénomène, assez équitablement rependu, du vieillissement. Mais pourquoi pensais-je ainsi ? Probablement parce que j’ai entendu d’autre gens le dire. Je me rappelle que, quand j’avais vingt ans et que je voyais un vieux con dans la quarantaine avec un belle pepette, dans mon for intérieur, je me lançais dans une plaidoirie épuisante : vous… vous… vous… (imaginez l’intensité de la voix qui augment linéairement sur les premiers trois « vous » pour ensuite baisser de 5 décibels sur le quatrième « vous », celui qui va arriver) vous… si belle… si jeune… (augmentation de 2 décibels) si intelligente, vous (diminution de 3 décibels)… vous dont les yeux ont le droit de boire aux source de la lumière… vous (ici l’intensité a tellement baissé que vous seul vous entendez le « vous ») laissez votre intelligence brouter les fils du désir. Chassez de votre âme solaire ce vieux dégoûtant et faites moi une place… avec moi cela sera (notez la pudeur de ce « cela ») autre chose… le paradis. Donc, ça fait depuis que je bande que je pense ainsi. Mais voilà qu’hier, j’ai dû plier mes idées reçues et accepter qu’il n’y a pas de lien entre l’âge et la bandaison. Pas vrai ! Pas vrai ? C’est vrai. Écoutez : il a été établi, hors de tout doute, raisonnable que la chute de ce que certain appellent le « désir désirant » est due au ronflement et non à l’âge. Oui, vous avez bien lu : ronflement. Qui ronfle ne fait pas l’amour et pas parce que, comme pourraient le penser des âmes simples, pour faire l’amour il faut être réveillé mais parce que le ronflement diminue le taux de testostérone. Qui l’a découvert ? Une équipe du Technion-Israël Institute de Haïfa qui vient de publier un article à ce propos dans le dernier numéro du Journal of clinical endocrinology & metabolism. Quel couillon ! (quand la science me met sous le nez une vérité si évidente, je me dis toujours, « quel couillon »). J’aurais pu le savoir sans besoin de cet article dont l’importance pour l’humanité a déjà dépassé le célèbre article d’Einstein de 1905. Depuis quelque années je ronfle (par trop, seulement un peu[2]…) et c’est pour cela… J’entends déjà votre objection : « T’es vraiment un couillon, le ronflement et la flexion du désir désirant, sont deux conséquences du vieillissement ». Eeee non. Les couillons c’est vous. Vous êtes même des hyper-couillons. Depuis quand quelque chose de abstrait (dans notre cas le vieillissement) peut causer quelque chose de concret ? Le vieillissement n’existe pas, le ronflement oui, donc c’est le ronflement qui est la cause. C.Q.F.D.

 

4 septembre 2002. Devinette. Quelle est la différence entre un mathématiciens et un serf attaché à la glèbe? Le serf est une bête de somme et le mathématicien est une bête de sommes.

 

5 septembre 2002. Relativisme. « Et alors c’est le relativisme triomphant ! Chacun a sa vérité et l’autre ne peut que " l’accepter" », me dit-elle avec une expression de désarroi tel que le vase de mon âme se réduit à un tas de poussière. Elle n’avait pas compris pourquoi j’avais été danser avec R.

    Tu m’avais dit que tes rapport avec R. avaient changé. Que tu te sentais moins liée et en l’espace d’un semaine tu déjeunes deux fois avec elle, tu soupes une fois et tu vas danser le tango. Je ne te comprends pas !

    Il n’y a rien à comprendre. Elle était triste. Elle m’a téléphoné en me demandant si j’avais envie d’aller danser.

    Avec moi, tu n’as jamais envie.

    Hier je t’avais demandé si tu voulais venir avec nous. Tu n’as pas voulu.

    J’en croyais pas à mes oreilles. Je me suis dit : « Ce n’est pas possible ! Elle ne peut pas me faire ça ». Et bien non, c’était possible.

    Pourquoi pas possible ? Elle retourne en Argentine dans une semaine et on ne la verra plus pendant quelques années… je suis la seule amie qu’elle a à Montréal…

    Je croyais d’être son amie, moi aussi.

    Je me suis mal exprimée. Je voulais dire que je suis la seule personne à laquelle elle confie certains détail de sa vie. Tu sais, je la connais depuis qu’elle a cinq ans…

    Ce n’est pas ça le problème ! Je m’en fous que tu ailles souper avec elle, tu peux y aller même tous les soirs. Ce qui m’agace, c’est que tu changes continuellement de discours. J’ai toujours l’impression de me faire emberlificoter. Un jour c’est ta meilleur amie, le jour après tu me dis qu’elle t’agace, ensuite tu n’as plus envie de la voir mais, après, qui sait comment, elle est la seule personne avec qui tu as des échanges, c’est elle qui te ressource et tout ton baratin habituel. Je n’y comprends que dalle.

    Mais il n’y a rien à comprendre. Les rapports avec les gens ont des mouvements dont il est inutile de chercher l’explication. Il n’y a pas de « vérité » dans les rapports humains.

C’est à ce point-là qu’elle a dit la phrase du début. Impossible de continuer la discussion sans tomber dans des polémiques douloureuses. On ne discute pas de la transverbération[3] quand le dernier quart de lait bout et l’enfant pleure. Nous nous tûmes. Une mélancolie lourde comme le ciel de la Belgique m’envahit. Jamais, jamais j’étais capable de faire accepter à Marguerite mes idées. Elle était l’intellectuelle ; elle avait « une pensée ». Moi j’étais trop dans les sentiments, trop dans mon corps. « Tu raisonnes avec ton cul, mais c’est cela que j’aime en toi. T’es entière, toit ! » qu’elle me disait quand elle avait bu un verre de trop. Si j’avais bu un verre de trop, je le prenais mal et elle ne comprenait pas que je ne me fâchais pas parce qu’elle disait que je raisonnais avec mon cul mais parce qu’elle pensait que j’étais entière. Et pourtant j’avais l’impression de raisonner mieux qu’elle qui, souvent, s’envolait sur des mots qui ne tenaient pas la route pour plus que quelques mètres. Combien de fois dans une semaine me répétait-elle : « Merde ! J’avais une bonne idée… je l’ai perdue… Ce n’était pas cela que je voulais dire. » Moi, mes idées je ne les perds jamais. Sans doute parce qu’elles sont dans mon cul aussi. Cette histoire de relativisme, par exemple. On n’applique pas le relativisme aux mouvements des sentiments, de l’affection ! Quand on parle de ses rapports avec les gens il n’y a aucune vérité, aucune objectivité, tout est profondément ancré dans le corps, dans ce qu’on est en ce moment-là qui n’est pas nécessairement ce qu’on sera demain. On ne fige pas les sentiments, on ne fige pas la vie. Seuls des dogmatiques qui mettent les idées devant le corps et devant l’action peuvent imaginer un monde lissé par une vérité absolue. Elle ne peut pas comprendre cela. Pour elle, comprendre, s’est rendre les choses logiques et elle ne voit pas que cela tue la vie dans l’œuf.

 

Elle a l’air si triste ! Je me fous de mes idées. Je veux qu’elle change, qu’elle rie, qu’elle sente que c’est elle qui compte.

 

6 septembre 2002. Lunettes à conviction. Que Dostoïevski soit passé maître dans l’art de maltraiter les progressistes, c’est bien connu. Ce qui est sans doute moins connu c’est qu’il maltraite surtout les médiocres et parmi les médiocres ceux qu’il appelle les médiocres bornés. Certes, le fait qu’il aille toujours prendre les exemples de « médiocres bornés » du même côté de la scène politique et culturelle n’est pas anodin. Mais, comme témoin à décharge, laissez-moi dire que les médiocres bornés sont nombreux surtout parmi les gens qui s’agitent — et que fait un progressiste sinon s’agiter pour, tel la célèbre mouche, faire avancer la non moins célèbre charrette? Par exemple, ne nous retrouvons-nous pas tous un peu, nous les agités, les agitateurs et les progressistes, dans cette phrase de l’Idiot ? « Il a suffit à un autre de s’assimiler une pensée qu’il a entendu formuler ou lue dans un livre sans commencement ni fin, pour s’imaginer que cette pensée lui est propre et qu’elle a germé dans son cerveau. » Et dans cette autre ? « Il a suffit à tel homme de découvrir dans son cœur un atome de sentiment humanitaire et de bonté pour s’assurer incontinent que personne n’éprouve un sentiment pareil et qu’il est un pionnier du progrès social. » Vous me direz que dans celle qui s’en vient il y va un peu trop fort et qu’il est carrément misogyne, peut-être. Mais est-ce sûr que vous ne connaissez pas, vous aussi des personnes à lunettes (ou à bandeau) de ce type-là ? « Il a suffit à certaines de nos demoiselles de se couper les cheveux, de porter des lunettes bleus et de se dire nihilistes pour se persuader aussitôt que ces lunettes leur conféraient des " convictions " personnelles. »

 

7 septembre 2002. Nouveau ? Le titre du roman le plus connu de Erich-Maria Remarque, À l’ouest rien de nouveau, est inoubliable non seulement parce l’État major[4] annonce qu’il n’y a rien de nouveau quand le héros meurt — ce qui nous fait toucher avec nos sentiments à l’absurdité de la guerre — mais aussi parce qu’il ramène au premier plan l’éternel débat entre ceux qui sous-estiment les changements et ceux qui voient avec trop de facilité arriver la nouveauté. Le débat sur la mondialisation, si enflammé depuis quelques années, est important pas tellement pour ce que disent tenants et opposants, mais parce qu’il donne des arguments fort nouveaux à ceux qui voient, dans le dépassement des nationalismes et des impérialismes, la possibilité de réaliser un des grands rêves de l’humanité.

Il y a du nouveau sur le front occidental.

Oui, mais qui le voit ? Certainement pas ceux qui ne savent pas se défaire des catégories marxistes ou libérales ou religieuses ou fascistes qui ont fait le bonheur des intellectuels du XXe siècle ; ni les post-modernes à outrance entre les neurones desquels les nouveautés glissent sans laisser de traces ; ni les financiers, ni les capitaines d’industries qui appellent nouveau tout ce qui conserve leurs privilèges.

Dans le roman de Remarque, un homme meurt au front mais pour l’État major il n’y rien de nouveau. Dans notre société, de nouveaux joueurs, brandissant des raquettes flambant neuves, occupent le terrain de jeu mais, pour la majorité, tout continue comme avant : « le terrain est toujours le même et le filet n’est pas élimé », disent-ils. Ça les tranquillise. Nous aussi nous sommes tranquilles, mais pour le motif contraire : nous avons la certitude que les nouveaux joueurs inventeront un nouveau jeu après s’être défaits du filet, des règles et, sans doute, de la balle aussi. Un livre comme Empire est un « excitant » qui empêche de dormir sur les idées reçues et qui force à essayer de réouvrir les portes de l’émancipation si souvent fermées par ceux-là même qui étaient censés les garder ouvertes.

Empire est une photo de l’état du monde réalisée avec une caméra fabriquée dans les usines marxistes, avec une pellicule très sensible produite par le post-structuralisme français et imprimée sur le meilleur papier italien.

 

8 septembre 2002. Fondamental ? Quelqu’un, au débotté, vous demandât : « Y a-t-il eu des changements fondamentaux dans la production dans les deux siècles derniers[5], en Occident ? », que vous écarquilleriez les yeux comme la chatte à Jeanne et balbutieriez : « Oui… Non… Peut-être… Ça dépend… Je ne sais pas… ». Fondamental introduit un tel flou que toute réponse est possible. Si on s’efforce d’aller au-delà du balbutiement initial, la réponse peut déclencher des discussions sur la signification de fondamental ce qui n’est pas nécessairement oiseux. Mais quel intérêt y a-t-il à cerner la signification de fondamental ? Ne risquons-nous pas de nous embarquer dans un exercice complètement stérile, bien qu’amusant et instructif ? Oui, il y a cette possibilité, mais il y en a aussi une autre. Si l’on considère que fondamental est un épithète de « production » et que les changements dans les méthodes de production de la richesse ont un impact palpable sur la vie des individus, alors le fait de s’accorder sur la signification de fondamental permettra, dans le meilleur des cas, d’envisager des actions communes et, dans le pire, de savoir qu’on partage une vision du monde.

Prenons, à titre d’exemple, l’arrivée du train. Les changements entraînés par l’introduction du train peuvent-ils être qualifiés de fondamentaux ? Le train permet de se déplacer plus rapidement que les chevaux et de transporter des charges beaucoup plus lourdes ; il ne requiert pas qu’on soit excessivement riche pour faire de longs voyages assis et il est aussi très démocratique quand, sans se soucier de la richesse, de l’âge, de la nationalité et du sexe, il entasse comme du bétail ceux qu’on a prédestinés aux camps. Le train facilita certaines choses, en permit d’autres qui étaient pratiquement impossibles et — petite concession à Dostoïevski et à tous les réactionnaires intelligents — baissa terriblement le niveau du sens critique de ceux qui voyaient dans la technique la solution à tous les malheurs. On peut continuer : des garçons d’étable se transformèrent en ouvriers et se déplacèrent de la campagne à la ville ; les postillons devinrent des chauffeurs, les éleveurs de chevaux se transformèrent en propriétaires d’usine et les voyageurs en touristes. Dire que le train n’a pas causé de grands changements serait un sacrilège envers la logique et envers la langue française. Il est évident qu’il s’agit de grands changements, comme ceux que procura l’introduction des scies mécaniques, des tracteurs ou des voitures. Comme l’introduction de tout ce qui se meut sans besoin de l’énergie des muscles de l’homme. Mais pas seulement ce qui se meut.

Qui pourrait nier que l’introduction des matières plastiques, celle de nouveaux métaux, de la pénicilline, des avions ont eu un grand impact ? Et la photographie, la télévision, l’aspirine et la pilule ? La bombe atomique et le nylon ne sont pas des babioles, n’est-ce pas ? Et le téléphone mobile ? Il faudrait vraiment être des malades de l’esprit — ou des dogmatiques qui érigent des digues de non-pensée pour se protéger contre la mobilité du langage — pour dire que rien n’a changé. N’étant pas malades, et encore moins dogmatiques, nous pensons que tous ces changements n’ont rien de « fondamental », ce qui revient à dire que ce que nous voudrions qualifier de fondamental est plus fondamental que ce fondamental-là. Bien sûr, il faut maintenant espérer trouver quelque chose de fondamental, sinon on se retrouve avec une poignée de mouches, ce qui n’est sans doute pas sans intérêt pour les entomologistes mais, pour le moment, c’est le cadet de nos soucis.

Parmi les changements dont il vient d’être question, considérons ceux qui sont liés au passage des conditions de vie des paysans à celles des ouvriers, car pratiquement tout le monde s’accorde pour dire que ce passage à été d’une importance capitale. Le paysan qui abandonne ses champs — qui, très souvent, ne sont pas les siens — pour aller en ville et se clôturer dans une usine, continue comme avant, à travailler avec ses muscles. Son cerveau, dans l’usine, ne lui sert que comme « contrôleur » ponctuel de ce que font ses mains. Le bon ouvrier est celui qui, dans les temps établis, fait ce qu’il doit faire de façon « machinique » car le patron est intéressé surtout par sa motricité. Le patron ne sait pas quoi faire des fonctions dites supérieures, celles qui sont liées au langage — le langage, comme l’écrit Paolo Virno, est éventuellement « développé dans les réunions syndicales »[6]. Au lieu d’étriller les chevaux, il huile les engrainages. Il portait des bottes de foin ? maintenant il déplace des boîtes de vis. Il trayait les vaches ? il serre des boulons… De la main-d’œuvre qui change d’œuvre mais pas de mains. On continue à lui demander les mêmes choses. On continue à soutirer la richesse de sa force physique, de son conditionnement moral et de sa capacité à supporter la fatigue. Il est vrai qu’il ne vit plus dans des espaces ouverts, que le sourire du soleil qui se lève ne baise plus son front perlé de sueur… mais il est vrai aussi que, quand on a faim, on se fout des espaces ouverts et que le sourire du soleil est moins important que celui de son propre fils qui, en ville, court moins de risques de manquer de tout[7]. Donc pour le paysan devenu citadin il n’y a pas de changements fondamentaux, juste quelques espoirs (souvent déçus) en plus : l’espoir de voir son fils devenir un riche propriétaire était impossible ; maintenant, à tort ou à raison, il est permis d’imaginer qu’au moins le premier rejeton aura son magasin, son atelier et même son usine.



[1] On voit ici à l’œuvre l’esprit antiscientifique par excellence. J’écris comme si j’avais eu l’idée d’écrire sur l’éloignement de la science du sens commun et que, par la suite, j’avais trouvé mon exemple quand c’est tout le contraire qui s’est passé : j’ai vu l’exemple et ensuite j’ai pensé aux histoires de sens commun. Vous me direz que c’est toujours comme cela, qu’une pensée naît toujours de quelque chose de concret. Vous avez raison. Vous avez tellement raison que je vais rajouter que quand une pensée en engendre une autre, sans qu’il y aient des liens avec des événements hors-cerveau, c’est parce que la pensée génératrice s’était auparavant « concrétisée ».

[2] Je mets ce bémol afin que mes copains ne pensent pas que je suis impuissant.

[3] Blessure qu’un malin séraphin infligea au cœur de Sainte Thérèse d'Avila lorsqu’elle chevauchait la balustrade de l’église du Sacré cœur.

[4] Le titre anglais (All quiet on the Western Front) et le titre italien (littéralement : Rien de nouveau sur le front occidental) sont bien plus saisissants.

[5] Pourquoi deux siècles ? Pour se limiter à l’époque où la science moderne a eu une influence sur les mécanismes de production. Pour s’entendre : il ne s’agit pas de traiter de l’importance de l’invention de la roue, même si la roue a eu un impact énorme sur la vie des humains et de certains animaux. Même la roue permet de mettre en évidence les difficultés de la recherche de ce qui est fondamental. Qui, parmi les lecteurs, sait que dans certaines parties de l’Occident européen, comme les Alpes, la roue a fait sa première apparition d’une certaine importance avec les motos et les voitures ? Et pourtant, il suffit d’y penser un peu pour s’apercevoir que c’est bien normal : dans des prés et des bois avec des pentes à 40 %, les jambes sont des instruments indépassables, surtout si elles soutiennent des hommes de somme. Des hommes et non des bêtes car les bêtes, les vraies bêtes, celles qui ont quatre pattes restent plus volontiers sur le plancher des vaches.

[6] Ce qui pousse souvent les patrons à préférer les ouvriers silencieux à ceux qui ont trop de paroles et donc trop de lubies.

[7] Ceci va à l’encontre des lieux communs des intellectuels citadins qui ont vu la campagne par l’entremise de Virgile ou de leur oncle gentleman farmer. Le passage en ville a représenté une amélioration des conditions de vie pour beaucoup de paysans. Même les paysans qui abandonnent les montagnes du Pérou pour vivre dans les bidonvilles qui entourent Lima améliorent certaines de leurs conditions de vie. Il faudrait arrêter de traiter les paysans comme du bétail qui s’entasse devant la ville-boucherie sans savoir ce qui les attend.