11 août 2003. Kasimir. Aimeriez-vous vous appeler Kasimir ? Certainement pas, à moins d’avoir été engendré par Edène Ediaksit et être ainsi frère de Mengounken.

Celle qui monte un jeune cheval, nuée blanche,

Qui ne laisse nulle trace

Sur la neige duveteuse profonde de trois doigts.[1]

Kasimir si lourd, si vide, si Kasimi rien.

Lourd de bang, de tangue, de rang.

Vide de bide, de ride, de Gide.

Kasimir est un nooleptique. Un Kasimir avant de vous toucher (ou une demie heure après le trépas) et vous êtes tranquille comme un je de pille. Il est très connu, parmi les hosties et pâtes, que : Kasimir le soir, Vladimir y lit tch… tch… tchou… tchou… tchou… le train, ce révolutionnaire de fer. Marc Use dixit.

Kasimir comme Bède le Vénérable est un bar bitte oh man. Comme le vénéré vieillard Begandar. Un Kasimir doit être un Évenk. « Il crut voir des pierres, il se révéla que c’était des vaches.[2] » Véronique aussi. C’était une journée de septembre extraordinaire, pure comme le sourire d’un enfant. Les marmottes diligentes sifflaient, hiératiques les corbeaux planaient, des bribes d’ouate sans trop de conviction tâchaient de voiler notre astre chéri. Serein, un troupeau de vache ruminait derrière la Casa San Marco, dans les paisibles pré-alpes italiennes qui protègent la vallée de mes ancêtres.

    Regarde ces vaches placides, mon amour.

    Où sont-elles, mon chat ?

    Derrière le chalet, chérie.

    Je ne vois que des pierres, mon petit rat préféré !

Comme le vénéré vieillard Begandar et pourtant Véronique n’est pas sibérienne. Sybarite non plus. Elle n’est ni Kasimir, ni Quasi Miro, ni Dégâts, ni Pic à sot.

Kasimir !

Il aurait pu prendre un blanc pour un banc ou un carré pour un taré. « C’est pourquoi ce que nous appelons Réalité est l’infini qui n’a ni poids, ni mesure, ni temps, ni espace, ni absolu, ni relatif, et n’est jamais tracé pour devenir une forme. » La Réalité est-elle une couds l’œuvre ? Avec du fil blanc, du batiste blanc, sur une table blanche, assis en t’as ailleurs, sur un blanc banc du quartier blanc, de la maison de Blanche (et pas la Maison Blanche), de la ville blanche. « L’homme appelle tout apparence objet ; ainsi l’objet n’existe pas dans le prouvable et l’improuvable. »

Homme blanc sur femme blanche. Pas assez pur. Homme blanc sur homme blanc. Parfait. « Étudier la réalité, cela veut dire étudier ce qui n’existe pas, ce qui est incompréhensible, et ce qui est incompréhensible pour l’homme est ce qui n’existe pas ; par conséquent est l’inexistant qui est soumis à l’étude. » Aimeriez-vous vous appeler Kasimir ? Tu nous les gonfles avec ton Kasimir ! Faites attention, il y a un Kasimir qui vous attend, vous aussi. Quasi mirez, quasi mirez. Sans batoude. Sans boutade ? Non, sans batoude. Vous irez vous jeter dans l’inappétence sans batoude. À moine que Kasimir rêve hyène.

 

P. C. Q. O. P. D.[3]

À moins d’indication contraire, les citations ont été tirées de Dieu n’est pas détrôné, du suprême autiste Kazimir Malévitch, édité en 2002 par L’âge d’homme.

 

12 août 2003. Hollywood. J’ai trouvé la première page coincée et prétentieuse et j’eus une grande envie de fermer le livre. Mais sur la commode je n’avais qu’une grosse brique de Vigotski, j’étais fatigué et je savais que je me serais endormi après deux ou trois pages. Je continuai donc la lecture. Heureusement. J’ai dévoré les soixante-dix pages du livre[4] en oubliant tout, même le sommeil. Si je n’étais pas trop fatigué j’aurais même pleuré. Cette mère et cette fille, Luce, unies par ce qui précède la parole ne peuvent que faire rêver les gens de mots. On s’identifie à Solange, institutrice d’un autre siècle qui offre, inutilement, à Luce, les mots qui pourraient la sortir de l’enveloppe d’une mère débile et forte de la puissance de l’avant-mot. Par moment trop pathétique, d’un pathos que le langage recherché amplifie ; mais, une fois par semaine, c’est agréable d’être couvert par une bonne benne de pathos qui protège de l’ataraxie dominante. Le matin, maudite curiosité ! cherchant l’année d’édition je lus la présentation de l’auteur :

Jeanne Benameur est l’auteur de textes poétiques, de pièces de théâtre et de livres pour la jeunesse. Elle anime actuellement des séminaires de formation pour les enseignants. En outre, elle est partenaire de municipalités pour le développement de la lecture et de l’écriture.

Tout s’est effondré. J’ai eu l’impression que cette « partenaire de municipalités » m’avait « animé », m’avait manipulé pour me montrer l’importance de l’école et de l’écriture. Tous les mots ont été recouverts d’une bonté doucereuse qui m’a donné envie de vomir. Tout était faux. J’ai essayé de retourner aux idées et aux émotions initiales. Impossible. Elle m’avait trahi dans un moment de faiblesse, quand j’avais besoin d’elle. Elle m’avait employé comme un cobaye pour ses partenariats. À bien y penser un final hollywoodien où Solange et Luce se retrouvent dans la vie aurait été moins hollywoodien que ce final tragique que je ne vous dis pas.

 

13 Août 2003. Inutile d’en parler. Il y a des choses dont il est inutile de parler. De l’omniprésence de l’argent et de sa toute puissance, par exemple. Et pourtant, parfois, ça vaut la peine d’en parler, ne fût que pour voir comment l’imbécillité se révèle à l’état pur dans certains journalistes.

Grande polémique autour du Grand prix de Montréal qui risque de sauter à cause de la prohibition de publiciser des marques de cigarettes. Un grand couillon qui écrit dans les pages sportives de La Presse (je crois qu’il répond au nom de Tremblay) s’excite contre le patron de la Formule 1 parce qu’il ne pense qu’aux « gros sous » : ce vieux anglais fait perdre des millions à l’économie montréalaise ! Inconcevable ! Inconcevable !

Les millions de Montréal ne sont pas des « gros sous ». Il ne s’agit jamais de « gros sous » quand cela nous concerne, quel couillon !

Deuxième exemple. À cause de la vache folle les Américains ne voulaient plus de vaches canadiennes, même pas les vieilles vaches à lait. Ne les voulaient plus ? Pas tout à fait : ils les payaient en moyenne 400 $ au lieu de 800 $ comme ils faisaient dans les mois précédents. Il est évident qu’en diminuant le prix le danger de la vache folle diminue : que les producteurs québécois arrêtent de râler, sapristi. Qu’ils se sacrifient un peu pour le bien être du peuple !

 

14 Août 2003. Art et pornographie.

    Existe-t-il un art pornographique ?

    Bien sûr. Tout peut être pornographique.

    Même une coiffe bretonne ?

    Certes. Même un corset belge.

    Et une pornographie artistique, existe-t-elle ?

    Bien sûr. Tout peut être artistique.

    Même les pantalons de Charest ?

    Oui. Même la chasuble de l’évêque de Trois Pistoles.

 

15 Août 2003. Dégâts. Les religions ont fait des dégâts irréparables pas tellement parce qu’elles ont facilité la permanence des humbles dans des positions humbles mais parce qu’elles ont préparé le terrain aux clercs salariés d’État qui facilitent la permanence des débiles dans des positions dominantes.

 

16 août 2003. Réfléchir. Je me suis souvent demandé pourquoi les gens qui gagnent leur pain en réfléchissant sont presque toujours à côté de la plaque. Est-ce possible que c’est parce que ce sont ceux dont les facultés intellectuelles sont les plus faibles et que donc ont besoin de démontrer qu’ils sont forts ? Je préfère penser que non, même si je risque de me tromper. Pourquoi ? Parce qu’un certain anti-intellectualisme me fait chier encore plus que les intellectuels, surtout quand il provient des intellectuels. En bref, je n’ai pas de réponse et, à vrai dire, je m’en fous.

 

17 août 2003. O. a raison. Je ne sais plus comment, mais dans un espèce de séminaire à l’université de Montréal, je suis arrivé à dire que l’art abstrait était de droite. Probablement suite à une question d’une étudiante qui me demandait si on pouvait imaginer des liens entre un style artistique et un style politique. O., la responsable, m’avait laissé parler. Le soir, entre amis, elle m’avait dit qu’elle leur avait dit exactement le contraire.

Tout est tellement flou et vague. Qu’est-ce que la gauche et qu’est-ce que la droite ? des mots rien que des mots qui couvrent des prises de positions qui n’ont rien à voir entre elles.

O. a raison.

On dirait que pour toi tout ce qui est con et limité ne peut être que de droite. S’il n’est pas de droite c’est parce que les gens ne se sont pas encore aperçu. Mais un jour la lumière se fera.

O. a raison.

Tu as absolutisé la gauche donc t’es de droite.

O. a raison.

On pourrait très bien dire que dans la recherche formelle de l’abstraction, dans cette tendance, vers la pureté et l’absolu il y a tout ce qui caractérise aussi la gauche comme tendance à changer ce monde pour un monde plus juste. Plus ordonné.

O. a raison.

Il faudrait se débarrasser de « gauche » et de « droite » et évaluer les événements sans lignes directrices. Selon l’humour du moment.

O. a raison.

O. a raison. Mais je n’ai pas complètement tort. Et l’illisible (illisible parce qu’enfantin, intellectuellement pauvre et sans poésie) Dieu n’est pas détrôné de Kasimir Malévitch le confirme. Le rien de ces paroles sur le rien, le désordre de ces mots sur l’ordre, l’imperfection de son discours sur la perfection, le manque de vie et la débilité de sa fantaisie, tout concourt à faire de Malévitch le prototype d’une bête de droite.

T’exagère.

O. a raison,

J’ai l’impression qu’il suffit que tu voies le mot « Dieu » pour que tu perdes toute lucidité. Je pourrais te trouver des milliers de peintres et de philosophes qui parlent de Dieu ou qui disent des conneries. La connerie n’est pas le propre de la droite. Tout cela est tellement réductif !

O. a raison. Mais les catégories politiques, comme l’action, sont réductrices. Et seulement une pensée de droite peut penser penser sans réduction.

J’en ai marre de ces discours. J’ai envie de parler d’autres choses, de raconter, d’observer.

O. a raison. Mais je ne peux m’enlever de la tête l’idée que l’art abstrait est le propre de la droite. Et il suffirait de presque rien, seulement dix années de moins pour que je dise que j’ai raison.

Mais il n’y a pas de tort ou de raison.

O. a raison.

Et puis (c’est une troisième personne qui parle, je ne sais plus si F. ou V. ou L. ou A. ou T. ou S.) on ne peut quand même pas oublier qu’au congrès des Bolcheviks de 1924, Lounatcharski décréta que les Suprématistes étaient l’extrême gauche dans l’art.

Lounatcharski a-t-il raison ? Comme O. ?

Si O. a raison et si O. pense, comme je pense qu’elle pense, que tout absolu est absolument pauvre — à moins d’avoir une pensée pauvre — alors comment peut-elle croire que la recherche de l’absolu ne soit pas la ligne de démarcation entre gauche et droite ?

Tout ça, c’est n’importe quoi.

O. a raison. Mais à moins d’être réactionnaire il faut vivre avec n’importe quoi.

Encore ? Encore des catégorisations ? Encore des simplifications ?

Encore, encore. Comme dirait Matis. Et Matis n’est pas un intellectuel.

J’ai une question pour O., pour O. qui a raison : « Serait-il possible de parler sans simplifier si des braves gens, pauvres d’esprit mais — parfois — riches d’actions n’avaient pas simplifié pour permettre aux gens qui pensent bien de bien penser ? »



[1] Le preux Sodani, Le preux Develtchen Épopées orale des Évenks de Sibérie, Gallimard, collection Laube des peuples, 2000

[2] Ibid.

[3] Pour ceux qui n’ont pas deviné.

[4] Jeanne Benameur, Les démeurées, Folio- Gallimard, 2000