10 février 2003. Ginsberg et Bush à Saint-Jean de Luz.

 

Le vent plie les vieux

                        et les vieilles de St. Jean de Luz.

Les crottes du Prestige sont installées dans le sable

            comme si elles y étaient depuis Vauban.

Rien d’étonnant.

Qui n’a pas connu des trous du cul qui

dès la première rencontre

traitent en vieille pote ?

 

                        Plage fermée

 

Ridicules comme de jeunes manchots

            ils picotent les cailloux de brut,

avec leurs fourches unidentées.

            Ça donne du travail,                 une crotte                    tous les 30 secondes

            cela fait — à peu près —

pour une journée

720 crottes

(pour une journée

                                                           sans vent

de travail normal

                                                           on s’entend).

S’il est vrai que le Prestige (rapport Rap-EU-2003a-12334xay31 de la sous-commission à l’écologie marine pour les côtes ayant la cote de la communauté européenne) en a déjà lâché 145 400 000,

on en a pour 201 944,44444 journées

                                   de travail normal.

                                               Des journées sans vent,

                                               on s’entend.

Ramasser des crottes ce n’est pas la seule manière de créer des postes de travail. On peu fabriquer des avions furtifs, des bombes, des radars, des panneaux de commande informatisés, des fibres optiques et des boucliers électroniques.

 

Elle nous invite à manger du foie gras.

« Pourquoi le gouvernement ne finance-t-il pas la récolte des

                                   déchets de Dieu

dans les églises et dans les mosquées ? »

Tu ne dois pas dire de telles énormités. Un peu de respect et de savoir-vivre. T’as passé l’âge où on dit ce qu’on pense sans ménagements. Elle est chrétienne. Protestante luthérienne, par dessus le marché.

Elle s’est fâchée

pas pour longtemps.

Elle a la respiration courte

elle qui vient de Dronniglund la plate.

Son père avait une boulangerie.

Une seule salle de cinéma

à Dronniglund.

Pas de Dreyer, mais du Bergman…

Des colonisés, ces Danois.

« On allait à Saeby, avec des caisses de bières.

Chaque mec, trois.

Pour deux jours : samedi et dimanche.

Une caisse pour le courage de demander.

Une pour débander.

Et nous les filles,                                  entre nous.

Ou avec le vieux Hans                         le marin

salé comme un hareng.

Mais propre. Je déteste la saleté. »

Foie gras frais avec des pommes et une veuve.

Elle a vécu en Irak

à cause du pétrole.

« Les États-unis vont devoir importer en 2020, 60 % de pétrole de plus qu’aujourd’hui. »

Allons-y alors.

            I lie in bed in Iraq

            alone in old red under

            wear symbolic of desire

            for union with immortality

Allons-y alors vieux Ginsberg   salace comme un marin

            Allons-y           à la guerre comme à la guerre

Contre.

T’es mort ?

On s’en fout, on a besoin de tous les bons, même des morts.

Est-ce que William sera là ? (Tu sais comme on en parle dans le petit Robert des noms propres ? « Drogué et aventurier ». Pas mal. Ces franchouillards traitent l’Amérique comme une jeune garce qu’a le feu au cul.) On veut tous les drogués et les enculés du monde avec nous.

Est-ce que tu sais si Ferling sera là ?

Il sera là. J’en suis sûr. Ferling n’est pas mort.

 

Le vieux Bush n’est pas mort non plus

                                   et le jeune est plus vivant que jamais

Se défendre contre le terrorisme et d’autres menaces émergeantes du XXIe siècle peut très bien exiger que l’on porte la guerre chez l’ennemi. Dans certains cas, la seule défense est une bonne offensive, (M. Donald Rumsfeld , 31 janvier 2002)

L’autre Amérique, celle de la guerre préventive, nous fait chier.

            Comme Hitler, ils veulent la guerre préventive.

Il n’y a pas meilleure défense que l’attaque, une vieille histoire, bonne pour les histoires de couples.

Qu’en penses-tu, vieil enculé de Juif ?

Ça tourne mal, avec tous ces avions furtifs, ces bombes qui tuent

sans détruire.

Comme le petit peintre

en bâtiments,

ils se comportent

ces enfoirés d’Américains.

On leur fera le procès de Nulberg.

« Capable de frapper des objectifs lointains avec une précision absolue. »

Tu les entends ? Absolue.

 

Toi aussi                                  t’avais soif d’absolu.

                        Et la jeune Dronniglundaise aussi. Tous les jeunes en ont.

            Ils avaient tous soif de bière et d’absolu.

            Tous.

            Tous, même maintenant,                                  l’absolu est dans le cul,

                                                           de la baleine, de Melville.

Et dans le tien à Belleville.

Même si les vieux disent que tout a changé.

À notre époque on avait des idéaux, on n’était pas repliés sur nous-mêmes comme le jeunes d’aujourd’hui.

Qu’en savons nous ?

Ils n’attaqueront pas.

            Ils attaqueront.

            Ils n’attaqueront pas.

            Ils attaqueront.

50 % de probabilité de se tromper.

Je suis sûr qu’ils n’attaqueront pas. Pas assez…

La prochaine fois il faudra que ces enfoirés d’intégristes envoient un avion plein de merde contre la maison blanche.

Trois ans pour la désinfecter.

Merde artificielle : les corps merdeux de

            Bush fils, Rumsfeld, Bush père, Cheney, fille de Bush, Rice, femme de Bush,

 Wolfwitz, amis de Bush, Rove, pasteur de Bush, Perle, chien de Bush, Feith

                                   finement moulus.

Écrasés avant qu’ils n’écrasent.

 

La veuve stimule la sincérité.

Je n’aime pas les bidets.

J’aime les grenouilles empaillées

J’aime faire des pipes

J’aime l’histoire de la papaye

Elle me fait prendre des fous rires

Avec quoi on ramasse la papaye ?

Avec une foufourche.

J’aime ce qui est furtif.

Il nous explique que furtif = érotique, l’intellectuel des Alpes.

Les avions furtifs enculeront les Irakiens.

Très érottique.

J’ai compté le nombre de fenêtre écalairées : au plus le 1 % des appartements sont habités.

                        Ça, ce n’est pas érottique,

c’est porno.

La richesse                  gâchée             c’est                            porno.

 

Déménager les jeunes d’une cité parisienne à Saint-Jean de Luz

                        La rendre vivante.

Les vieux sont tristes avec leur allure

                                               ondoyante,

                                                           molle,

                                               séreuse.

Remplissons-là de jeunes, Saint-Jean de Luz.

Portons la lumière à Saint-Jean de Lumière.

Ils ne sauraient pas quoi faire. Ils s’ennuieraient, ils prendraient du shit, voleraient, tueraient,

            Comme le gang à Bush

                                   sans savoir pourquoi.

 

Elle n’aime pas le bidet. Ce n’est pas assez propre :

                                   les serviettes tachées de marron me font gerber

« Pour mes hôtes qui ne veulent pas prendre une douche après, je mets un escabeau dans la salle de bain pour se laver les fesses dans le lavabo. Ce n’est pas pratique mais c’est mieux que rien. Moi, je prends trois douches par jour. Plus, si j’ai la chiasse. »

Je ne la comprends pas, comme je ne comprends pas le clan Bush. Ce sont les habitudes de jeunesse qui conditionnent les puritains du Jütland et les cow-boys texans.

Et nous aussi, les crétins des Alpes.

Je ne dis pas que c’est la même chose. Je voulais simplement dire que je ne comprends

ni la haine des bidets

ni la haine de Hussein.

 

« La première fois avec une fille c’était à Frederikshavn, elle dit.

            Un seul baiser, assez long,

la langue trop molle,

je n’ai pas aimé.

Elle puait…

ses règles »

On établit des règles.

On dit que l’ONU

                                   est                               responsable

et on fait des colères si les autres ne sont pas d’accord.

Les règles                    sont                             faites

                        pour                 ne        pas                  être

                                   respectées.

Ils vont même chercher Bataille pour se défendre

d’attaquer.

Ils ne sont pas propres.

Il faut qu’ils montent sur un escabeau pour se faire enculer par l’ours bleu.

                        Vous ne connaissez pas l’ours bleu ?

Un ours terrible.                       Pas Russe.

Il était Russe avant la chute du mur de Berlin.

Maintenant il vit à Yellowstone. De l’autre côté du parc, loin de Yogi.

            Impossible de le tuer. Il est capable de bloquer les projectiles.

Sodomite, contre sa volonté, mais pas catholique.

Il doit être Luthérien ou immigré chiite.

Il parle.

Comme à L’âge de glace, quand les hommes étaient muets.

                       

« J’aime titiller les mamelons avec de la glace, en été »

La veuve rend sincères.

    Tu es triste.

    Je suis triste à cause de la guerre.

    Tu n’es pas sincère.

    Je te le jure. La première fois que j’ai vu la mer c’était en 1963, baie d’Aalborg. L’année de la mort de Kennedy. Je crois que c’était au mois d’octobre. À cette époque là aussi, j’avais peur de la guerre.

    Je ne te crois pas. On n’est pas triste comme cela quand on a peur de la guerre.

    Qu’en sais-tu ? Je te le jure.

    T’es triste parce que ton père a trop employé sa baguette.

    Fais pas chier. C’est la guerre. J’ai peur.

 

Ils pourraient attaquer même Saint-Jean de Lumière, ces fous de Dieu. Si on déménage les jeunes des cités, ils attaqueront

                        Et Chirac sera d’accord avec Bush :

                                                           pas touche

Hussein

c’est mon ami

mais

les enfoirés des cités

écrasons-les.

Ils font peur aux bons citoyens.

Le Pen n’a pas toujours tort. Comme Hitler. Comme le pape. Comme ma cousine Elsa.

Elle était gentille, Elsa.

La plus fine de toutes.

Toujours la première à courir chez Hans.

Nue, douze coups de couteau dans le bas ventre. Les oreilles coupées.

Rue Oehlenschlaeger, mai 1977.

Elle en voulait trop.

Il ne faut jamais trop vouloir. Il faut se contenter.

 

J’aurais envie de rencontrer l’ours bleu, je suis sincère,

                        la veuve rend sincères.

Bush ne boit jamais de champagne, ni de l’eau

                                   de                                vie

            il mange de la foi

grasse

sale

lourde

bréneuse.

« Un jour j’aimerais aller à Bagdad avec ma fille pour lui montrer le quartier où j’habitais avec son père. La ville était tellement belle et vivante. S’ils attaquent, je n’irai plus, ça me donnerait des cauchemars. Je ne dors pas bien. Je devrais rencontrer un homme. Je suis trop seule. Mais c’est tellement difficile. Ils ont peur. Tous. Ils ont peur des femmes qui ont une tête sur les épaules et qui se plaisent à ouvrir les cuisses comme une grenouille lascive. Tous des peureux. Des merdeux. Je ne veux pas pleurer. Et ils jouent à la guerre pour chasser la peur. Ce sont tous des cinglés »

            Elle pleure.

                                   On part.

                                                           Ciao.

                                   À l’année prochaine

                                                           s’il n’y a pas de guerre.

 

11 février 2003. Ecoute-moi, petit intellectuel de mes deux. Les femmes aussi ont peur. Fais-le-toi bien rentrer dans ta petite tête, fais-lui une place dans tes belles théories à la mord-moi-le-nœud ! Il n’y a pas que la peur de la violence des gros bœufs, de la colère des maris frustrés ou du fils à l’héroïne, comme le disent tes féministes tant aimées. Il y a une autre peur : plus subtile et profonde ; j’aurais dis métaphysique, si j’avais aimé employer des mots savants. Il y a la peur qui s’épanouit quand le corps ne veut plus enfanter, quand la vie nous enlève le cadeau de faire cadeau de la vie.

Depuis des millénaires les hommes pensent que ce cadeau leur est dû. Et nous, toujours là à accepter le jeu. Inconsciemment, mais cela ne change rien. Eventuellement, c’est pire.

Dieu seul sait à quel prix nous avons accepté. Ils sont arrivés à nous convaincre que la chair de notre chair n’était pas notre chair. Connes ! Nous nous sommes habituées à la solitude à deux qui porte, fatalement, à la solitude à une. Nous avons fini pour accepter qu’il y a bien peu à tirer des hommes mais en même temps nous continuons à croire que, de ce peu, il faut se contenter. C’est frustrant. Et triste. On est toujours perdantes. Même les jeunes assurées qui imitent les hommes, quoi que tu en dises.

On vieillit et la peur enfante la peur. Et ce qu’on n'aurait jamais imaginé, arrive : la peur qu’une jeune nana un peu plus délurée que la moyenne, un peu plus à la recherche du père que ses copines n’en fasse qu’une bouchée, de notre pauvre con de mec.

 

12 février 2003. Son et lumière. Depuis des années je ne lis plus les feuillets qu’on distribue dans les théâtres avant les spectacles. Ne sachant pas quoi fabriquer, en attendant que ma compagne trouve une place libre aux toilettes, j’ai lu consciencieusement, comme s’il s’agissait d’un poème de René Char, le feuillet du ballet « Conjunto di nero » de Emio Greco. Je passerai encore des années avant de lire un autre feuillet de ce genre (si le temps des toilettes de ma compagne est trop long je m’occuperai à tricoter des idées pour l’hiver) : du vide tissé de vide ; de beaux mots dans de belles phrases qui disent un beau rien. La fulgurante intériorité de la danse révèle les couleurs du mouvement à la lueur des corps. De somptueuses métaphores visuelles accompagnent les lignes de la danse et des motifs. Les dégâts d’une poésie mal assimilée par des âmes sans étendue qui ont un job de mots à faire.

Et le spectacle ? J’ai bien aimé la musique, j’ai trouvé fantastique l’éclairage et médiocre la danse.

 

13 février 2003. Berger et les pamplemousses. J’étais curieux de lire l’article de John Berger dans le dernier numéro de Manière de Voir du Monde diplomatique. Je voulais voir si Berger réussissait à survivre dans la bouillie pour les chats de la clique à Ramonet ou si lui aussi… Comme je l’espérais, il s’en sort avec classe en mettant côte à côte Hiroshima et les Twin Towers[1] sans se laisser prendre par un anti-américanisme de premier niveau du style : « Vous avez bien massacré inutilement des milliers de civils innocents en 1945, arrêtez donc de jouer les vierges effarouchées. « Tuer délibérément, est-ce commettre un mal plus grave ou plus répréhensible que tuer aveuglement et systématiquement ? » Il va sans dire que « délibérément » fait référence au massacre de New York et « aveuglement et systématiquement » aux massacres américains. Les civils tués à titre « collatéral » en Afghanistan participent de l’« aveuglement », les civils morts à Hiroshima, dans la guerre du Golf et en Yougoslavie, du « systématique ». « Je ne connais pas la réponse », qu’il écrit, et il ajoute : « Peut-être que (…) à ce niveau toute comparaison éthique devient indécente. » Une entrée en matière, comme il est aisé de constater, qui est déjà hors du danger de pamplémoussitude. En effet, qu’est-ce que des pamplemousses sinon des individus ayant réponse à tout parce qu’ils ont l’art d’arrondir les questions pour les adapter aux réponses que leurs maîtres à pisser vinaigre leurs ont laissées ?

En commun « Une même incrédulité, un même chaos, provoqués par une nouvelle arme de destruction employée pour la première fois — la bombe A il y a soixante ans, un avion de ligne l’automne dernier. » En commun : « les deux attaques ont été conçues pour servir d’avertissement. »

Les différences sont bien sûr, énormes, inutile de les remémorer.

Il attaque les pamplemousses américains (eh ! oui, les Américains aussi ont leurs pamplemousses) qui ont rédigé une célèbre lettre « Lettre d’Amérique : les raisons d’un combat » dont Le Monde publia une traduction l1 15 février 2002. Il ne les attaque pas tellement pour leurs idées (il n’a jamais été intéressé à défoncer les portes ouvertes) mais pour leur style de travail : « Il s’en dégage aussi l’idée que cette réunion d’experts [patients et érudits s’exprimant à voix feutrée] s’est déroulée quelque part dans une sorte de mythique hôtel 6 étoiles (auquel on ne peut accéder que par hélicoptère) (…) Un lieu où il ne peut y avoir le moindre contact entre ces penseurs et la population locale, un lieu sans rencontre au hasard. (…) Éthique pour touristes de luxe. » Si on enlève l’hôtel 6 étoiles, de qui est-il en train de parler sinon de tous les pamplemousses du monde : pour ou contre la guerre ; des penseurs (attention : aucune ironie ni dans son texte ni dans le mien !) qui ont « tout le temps de réfléchir calmement, de discuter de leurs réserves ». Il a trouvé un moyen de critiquer les gens qui l’entourent (au sens métaphorique) et de crier tout haut ses positions qu’aucune pensée systémique, systématique ou même systolique ne peut contribuer à comprendre le malheur terrestre.

En lisant l’article, j’ai appris beaucoup de choses à propos d’Hiroshima :

  1. Que le 18 juillet (19 jours avant le lancement de la bombe A) l’empereur du Japon avait demandé pour la nième fois la paix et que son message avait été ignoré. Ou de l’art d’aller droit à ses buts.
  2. Que le fils de Franklin Roosevelt avait déclaré qu’il fallait bombarder « jusqu’à ce que nous ayons détruit à peu près la moitié de la population civile japonaise ». Ben Laden, en comparaison, c’est un enfant de chœur.
  3. Que le général Curtis Lemay, parlant des morts, affirma que les victimes avait été « grillées, bouillies et cuites à mort ». Une délicatesse digne d’un chef de guerre afghan, de général russe avec licence de tuer en Tchétchènie ou d’un officier de la Légion étrangère.
  4. Que 95 % des morts furent des civils.
  5. Que la bombe explosa au-dessus d’un hôpital au centre ville. Quel hasard !
  6. Qu’après le premier reportage non censuré, réalisé par le journaliste australien Wilfred Bucket, où il parlait de l’agonie atroces de ceux qui n’étaient pas mort sur le coup, le général Leslie Groves déclara au congrès qu’il n’y avait eu « aucune souffrance excessive » et que, « en fait, à ce qu’on dit, c’est une manière très agréable de mourir. » Quel détachement !

Hiroshima, l’hôtel à 6 étoiles et les Twin Towers. Pour dire quoi. Que Bush ne comprendra jamais pourquoi les Américains sont honnis. Pourquoi ? « parce qu’il est un des directeurs de l’hôtel ». Un des directeurs. De l’hôtel ? De la chaîne, de la chaîne de parlements, si vous permettez, monsieur Berger.

 

14 février 2003. Parle avec elle. Avant d’écouter la version de Gaetano Veloso dans Parle avec elle d’Almodovar, La paloma était pour moi le nec plus ultra du kitsch. Maintenant, le disque tourne sans arrêt. Dans le film comme dans la chanson les sentiments sont à quelques millimètres du sentimentalisme le plus oies-en-vacances-au-lac d’Annecy. Mais Almodovar sait y faire.

Comment faire sortir une femme du coma ?

En lui parlant comme le titre voudrait nous le faire croire ? Non. En lui faisant l’amour ? Non ; seuls des spectateurs emmaillotés dans les bons sentiments peuvent le penser. En donnant naissant à un enfant mort ? Oui. L’infirmier, qui l’aime depuis l’instant où il l’a vue et qui a laissé dans ses entrailles le signe de son plaisir furtif, se tue. Le père et le fils mort, la femme reprend à vivre. Dit comme cela, on ne rend pas justice au film. Il y a autre chose. Il y a le très beau rapport entre deux hommes — l’infirmier et un journaliste qui aime, non aimé, une femme toréador aux traits fort masculins. Les femmes comme pont entre les hommes, c’est du déjà vu mais Almodovar sait y faire. Il y a autre chose, mais c’est presque tout. Un très bon film, intelligemment misogyne.

 

15 février 2003. RDI. Le spectacle d’aujourd’hui, c’est la journée contre la guerre. Manifestants de tous les pays, unissez-vous ! Peu importe ce que vous pensez, ce que vous voulez, l’importante c’est que le spectacle continue. Mais pas n’importe lequel ! À RDI — la grande télévision — canadienne, on expérimente : on parle avec un correspondant de Madrid et on montre les images de Rome ; à Toronto, on pose des questions bêtes à un type qui vient de sortir d’un œuf de pâque et on ne montre pas la manif parce qu’elle « se déroule actuellement au centre ville ». Les critiques de la télé en ont pour leur hargne : même Godard ne ferait pas mieux. Là où il aurait fait mieux, c’est en studio où une barbe-bien-taillée, ni chair ni poisson, répond aux questions, on ne peut plus bêtes, de la nana au sourire indéfectible, proférant des banalités telles, que même mes genoux ne peuvent les digérer. « Ces manifs démontrent que le gens veulent qu’avant de faire la guerre, toutes les pistes soient explorées et si la guerre doit se faire, il faut la faire sous l’égide de l’onu. » Il n’a vraiment rien compris. Je suis contre la guerre contre l’Irak, mais si on déclarait une guerre contre les would-be pamplemousses de RDI je serais partant. En première ligne, avec mon clavier, mes dictionnaires et sa photo.

 

16 février 2003. Journaliste. Conférence de presse du ministre des affaires étrangères irakien à Rome. Un journaliste israélien lui pose une question. « Je me refuse de répondre à un Israélien ».

   Monsieur…

   Non…

Cinq ou six journalistes abandonnent la salle par solidarité avec leur collègue, la majorité reste. Après, c’est un feu d’artifices de pour et de contre. C’est leur métier de combattre avec les mots. Est-ce qu’un journaliste est au-dessus de la politique ? Bien sûr, si l’information est sacrée. Sinon. Sinon le ministre d’un pays pratiquement en guerre a le droit de ne pas parler à un pays ennemi. « Une fois on se refuse de répondre à un Israélien, une autre à un Noir… » Démagogie à l’état pur. Spectaculaire.



[1] John Berger, « De Hiroshima aux Twin Towers », Manière de voir 67, Janvier-Février 2003.