17 novembre 2003. Différent.

Je ne suis pas comme tous les autres, moi ! qu’il dit. Je n’ai jamais eu d’états d’âne.

C’est dommage pour lui mais, dorénavant, il ne pourra plus le dire.

 

18 novembre 2003. Publicité. On dit que la publicité est l’âme du commerce. Tuons la publicité et le corps du commerce se putréfiera entraînant dans sa décomposition l’injuste organisation sociale qui le fait vivre, disent les jeunes des mouvements anti-publicité. Je crains qu’ils se trompent et que la publicité ne soit pas l’âme mais le corps bien portant d’un business sans âme.

Imagination. Imaginez ce que peuvent penser de l’âme du commerce ceux qui, comme nous, mettent en doute l’existence de l’âme des humains.

19 novembre 2003. Vérité. La vérité comme conformité de l’intellect et de la chose, est une vérité fort contestée à cette époque où la parole gruge sans arrêt les choses. S’est-elle donc transformée en conformité de la parole à la parole ? Probablement. Ce qui ne satisfait guère ceux qui ont besoin de croquer dans le dur et qui ont transformé l’intellect en cerveau : ils l’ont fait devenir une « chose » et la vérité s’est ainsi endurcie en se transformant en conformité de la chose à la chose. Mais les choses sont conformes aux choses par définition et nos amants des choses se retrouvent avec une vérité qu’est toujours vraie — ce qui ne peut être que faux. Et si, dès qu’on essaie d’échapper à la définition que le bons sens dicte (conformité de l’intellect et de la chose) on se retrouvait sans vérité ? Ce serait une grande victoire de la raison humaine, contre la raison « divine » du pouvoir qui de vérité se nourrit.

Mesure. Dans « L’homme est la mesure de toutes les choses », ce n’est pas la perte de Dieu et la mise au centre de l’homme qui est importante mais la divinisation de la mesure.

Armes. Je préfère que les armes de la rhétorique décident du vrai et du faux plutôt que les armes de la politique décident du juste et de l’injuste.

Échafaud pour la vérité. Il y a toujours un peu de vérité partout, il suffit de trouver les mots qui l’échafaudent.

 

20 novembre 2003. Souvenir. Pendant la nuit entre le 10 et le 11 novembre, des pacifistes ont écrit des slogans contre la guerre sur un monument à la mémoire des morts de la Première Guerre mondiale. Les anciens combattants sont indignés. On leur a gâché les quelques minutes de recueillement pour commémorer leurs camarades (et les camarades de leurs pères) qu’on enterra dans les cimetières de la querelleuse Europe.

Valait-il la peine de leur gâcher la cérémonie ? Pourquoi ne pas laisser tranquilles ces vieux que les souvenirs des amis tombés sous le feu allemand enveloppe de nostalgie, de tristesse et de regrets ? Pourquoi ne pas avoir un peu de compassion pour leurs blessures que l’âge re-ouvre, pour la peur qui ne craigne plus de se montrer, pour les restes d’orgueil que les années n’ont pas réussi à ensevelir ?

Et leurs larmes ? Comment ne pas être sensibles à leurs larmes ?

C’est ce que je pensais en écoutant les nouvelles à la télé. Je pensais cela et je me disais qu’un tel événements permet de voir que les différences entre les générations ne sont pas les inventions de jeunes lions de l’économie qui veulent se défaire des baby-boomers, ni les refrains de vieux réactionnaires qui méprisent les sottises de la jeunesse. Il est vrai que les jeunes lions sont incapables de voir plus loin que leur portefeuille et que les vieux réacs ont la cataracte, mais ces dégénérations ne doivent pas nous faire oublier ce que les années bâtissent et détruisent au gré d’événements qui échappent au contrôle même des individus les mieux armés.

Trop de « progressistes » oublient que dans notre société l’âge — et la jeunesse surtout — est une marchandise. Il suffit d’avoir de l’argent et à cinquante ans on peut acheter un look de vingt et à quatre-vingt prendre une allure de quinquagénaire.

Dans ce monde où l’on voudrait rendre virtuelles même les générations, il est difficile de donner des jugements politiques en tenant en considérant l’âge sans tomber dans les stéréotypes les plus frustres. Et pourtant. Et pourtant cette histoire de graffitis monumentaux est un bon exemple de la nécessité de connaître l’âge des « coupables » pour donner un jugement politique. Jugement politique dans le sens de compréhension comme une étape avant l’action qu’une autre compréhension suit, qu’une autre action…

Si les « coupables » étaient jeunes (jeunes d’âge et non d’âme ou de corps), leur action devrait être louée par tous ceux qui sont contre la guerre. La guerre pour ces jeunes est plus importante que toute considération psychologisante sur la souffrance des anciens combattants et c’est ce manque de considération qui permet de faire avancer la lutte contre la guerre. C’est la croyance, propre à la jeunesse, dans le pouvoir des abstractions qui permet des changements à la vie concrète des individus[1] ; c’est le mouvement de ces vies qui n’ont pas encore trouvé leur place qui peut entraîner des changements « impossible » pour ceux qui réfléchissent dans les creux de l’expérience.

Si les « coupables » étaient vieux (vieux d’âge et non d’âme ou de corps), ils démontreraient une pauvreté d’esprit, un manque de compréhension et un égocentrisme qui ferait désespérer même les moins naïfs parmi ceux qui croient qu’il y a une évolution possible du rapport des humains à l’homicide.

Aujourd’hui, je n’écrirais pas ces slogans. À vingt ans, oui.

Mais, aujourd’hui, je ne suis pas plus sage, je ne connais pas plus le monde, je suis seulement plus vieille.

 

22 novembre 2003. La justice et le Crédit Lyonnais. Un gestionnaire du Crédit Lyonnais, mis en cause par un tribunal californien pour l’achat d’une compagnie d’assurance pas tout à fait clean (l’achat), s’insurge ; il n’y a pas de justice ! qu’il crie à la télé, les tribunaux américains sont au service des intérêts économiques ! Je ne me plierai pas devant des tribunaux dominés par les intérêts des financiers ! Des propos révolutionnaires dans la bouche d’un banquier, ce n’est pas chose de tous les jours. Il faudrait les mettre à verbal pour quand il dira qu’il faut respecter la justice si on ne veut pas que la France tombe à niveau du Tiers Monde. Il est vrai que notre révolutionnaire « créditiste » croit que la justice française est juste. Ces américains sont vraiment des dégénérés ! Il n’y a que la France qui a une vraie démocratie, une vraie justice et une vraie culture. Mais, puis-je faire un ajout timide ? La France a aussi des vrais cons.

 

22 Novembre 2003. Du bon usage des concombres. Qui ne se rappelle pas l’histoire du concombre ? Pour ceux qui l’on refoulée : en 1997 quatre femmes (Mary Franks, Julie et Jesse Hosler, Vicki Coulter) après avoir rasé Rodney Hosler (là, aussi), lui avoir enfilé un énorme concombre (là où vous pensez), ont écrit sur son corps « je suis un pédophile » et l’ont déposé, nu, devant une pizzeria au centre ville de Delaware (Ohio). Les quatre justicières avaient choisi cette méthode peu coûteuse et à la portée de toutes les mains pour punir Mister Hosler pour avoir tripoté sa belle-fille quand elle avait quatre ans et l’avoir « french-kissed » à 7 ans.

Si j’étais thesmothète je légaliserais la punition du concombre, mais je ne le suis pas et les juges américains sont loin de penser comme moi. Il n’y aura donc pas de réforme du code pénal. Ils ne semblent pas apprécier ce type de justice, sinon pourquoi auraient-ils condamné ces femmes à la prison, à subir une thérapie pour sex offenders, à ne plus pouvoir se rencontrer ? Pas besoin d’être féministe pour induire que la justice américaine (mais pas elle seule, quoiqu’en pensent les dirigeants du Crédit Lyonnais ou de Villepin) est une justice injuste et que le fait d’être femme n’aide pas. Comme n’aide pas le fait d’être pauvre. Si elles avaient été des petites ou des grandes bourgeoises, elles auraient eu des avocats d’un autre calibre qui auraient certainement pu démontrer qu’elles n’étaient pas des sex offenders mais des sex defenders.

Je ne la légaliserais pour permettre aux policiers de concombrer les coupables mais afin que les personnes proches des offensés puissent se charger elles-mêmes de la concombration. Et que l’on ne me dise pas que cela nous mettrait au niveau des états islamistes qui coupent les mains aux voleurs ! Ce type de justice serait réservé aux délits désirels, à ceux qui, forts de leur force physique ou économique ou culturelle, peuvent faire passer leurs poussées de testostérone pour la loi.

Je trouve assez débiles les nombreux journalistes qui jugèrent (voilà un autre type de jugement contre lequel il faudrait inventer des méthodes concombriques) la peine du concombre disproportionnée par rapport au délit de « french kissing ». La fille avait sept ans, ce qui n’est pas sans importance, n’est-ce pas ? et puis, depuis quand le trou à paroles est moins important que le trou à merde ?

 

23 novembre 2003. C’est ça (aussi) l’Amérique. Une journaliste d’une grande chaîne de télé : « pensez-vous qu’il est correcte de coucher avec son copain avent le mariage ? » Réponse : je pense que quand on est ensemble depuis deux ou trois ans, qu’on est sûr que c’est pour toujours, alors…

La question n’a pas été posée à une jeune fille, timide, marocaine, de famille intégriste, mais à un sex symbol qui excite les adolescents de moitié de la planète : Britney Spears. Contrairement à mon compagnon, je ne crois pas que la réponse a été dictée par son manager ou par ses parents, que ça fait partie du spectacle : si spectacle il y a, ce n’est pas son spectacle.

C’est évident qu’elle y croit, qu’elle ne voit pas de contradictions entre ses déhanchements et ses coups de bassins sur scène et l’idée de la virginité. Et, effectivement, il n’y en a pas, ou, s’il y en a, ce n’est d’aucun intérêt. Ce qui est par contre intéressant c’est la relation entre spectacle et « vérité ». Une fille qui incarne le déchaînement et qui reconnaît, sincèrement, que ce n’est que de la frime, c’est du spectacle à son plus haut point de raffinement. Ce qu’elle dit dans l’entrevue ça ne fait pas partie de son spectacle, c’est sa vérité, c’est notre spectacle.

Quand les médias présentent les faits, les commentaires des faites, les commentaires des commentaires, les faits qui commentent les commentaires des commentaires, les commentaires des faits qui… on est dans le spectacle permanent, dans la fausseté absolue — si quelque chose d’absolu existe.

 



[1] Pourquoi propre à la jeunesse ? Parce qu’il s’agit de la découverte du pouvoir de l’intellect que l’on fait une seule fois dans la vie et qui, comme toute découverte, déclenche un enthousiasme initial qu’il est difficilement atteignable ensuite.