MIME-Version: 1.0 Content-Type: multipart/related; boundary="----=_NextPart_01C52E95.61F52DF0" Ce document est une page Web à fichier unique, ou fichier archive Web. Si ce message est affiché, votre navigateur ou votre éditeur ne prend pas en charge les fichiers archives Web. Téléchargez un navigateur qui prend en charge les archives Web, par exemple Microsoft Internet Explorer. ------=_NextPart_01C52E95.61F52DF0 Content-Location: file:///C:/1F2BBA35/Jan10-Jan16-05.htm Content-Transfer-Encoding: quoted-printable Content-Type: text/html; charset="us-ascii"
9 jan=
vier
2005. C’était, c’est.
Pamplona, pour moi, c’étai=
t la
grande place de Hemingway et les gens piétinés par les taurea=
ux.
Pamplona, pour moi, c’est : =
un
café année 1930 qui donne sur la place de Hemingway pas loin =
du Calle des restaurants ; une v=
ielle
ville qui pourrait être mieux mais qui aurait pu être bien
pire ; une banlieue à faire vomir l’être le moins
sensible de cette terre (on dirait la banlieue de Milan) ; la place du=
castillo (toujours celle de Heming=
way) déserte
à quinze heures ; le café espresso tellement meilleur qu’en France (on se dirait en
Italie) ; les gens habillés comme à Milan ou à Br=
ive ou
à Paris ou à Raguse ou à Londres ou à Immensee =
(ce
qui me fait dire que l’union européenne se constitue
indépendamment des constitutions) ; une langue que je commence
à apprécier et dont les sons me sont presque aussi familiers =
que
ceux de l’italien ; deux vieux Basques sombres, au béret
basque noir, de noir vêtus, qui traversent la place du castillo comme deux carabiniers&nb=
sp;;
des messes de jour ouvrable fréquentées (ce qui me fait dire =
que
l’union européenne de la consommation est plus constitué=
;e
que celle de la religion) ; une cathédrale fermée ;=
les
arènes fermées de la =
plaza
de toros ; deux jeunes qui roulent un joint à
l’entrée d’une église où un vieux cur&eacu=
te;
lève le calice de la messe de onze heures ; deux vieilles femmes
laides comme des oiseaux très laids (comme des condors, par exemple)=
qui
mangent une paella, voraces comme des truies ; un parc avec des
chèvres paresseuses qui puent le bouc ; un serveur qui oublie d=
e me
rendre 3 euro 50 ; deux arabes qui se disputent en traversant la place
(toujours la même) ; des Noirs souples comme des Noirs New-yorka=
is
qui rient comme seuls les Noirs savent ; une grande librairie où
domine les livres étrangers et les livres en basque.
10 ja=
nvier
2005. C’était, c’est.
Roncevaux, pour moi, c’éta=
it une
gorge serrée et Roland qui transmet son dernier souffle à Oli=
fant.
Roncevaux, pour moi, c’est :=
un
espace ouvert avant la descente dans une gorge serrée qui mèn=
e en
Francia ; un minuscule bur=
eau de
tourisme où une jeune fille s’emploie à
s’ennuyer ; une église grise du XIVe siècle ;=
un déambulatoire,
de trois siècles l’aîné de l’église
grise, qui tourne autour de je ne sais pas quoi ; deux restaurants
logés dans des bâtiments excessifs ; une église
(encore !) cachée par un complexe solide (qui doit abriter les
joueurs aux pèlerins de Compostella) ; une route déserte=
;
des tâches de neige ; un homme qui pisse contre un contrefort&nb=
sp;;
l’odeur de restauration de l’argent de la communauté
européenne.
11 ja=
nvier
2005. C’était, c’est.
C’était le chêne &ag=
rave;
l’ombre duquel Marie-Antoinette rêvait de parures, de danses,
d’escapades en ville, de bosquets hors Versailles.
C’est un tronc sec que l’on=
a
extirpé de la terre avec plus de soins que les dents de Oubakalaia M=
albataalania.
Et, à la radio, ils nous font tout un plat, avec ce vieil arbre. Je
soupçonne qu’on l’enterrera dans un musée.
Ce n’était qu’un
châtaignier, il est vrai, mais il était encore plus vieux que =
le
chêne de Marie-Antoinette. Il avait été planté en
1500 — c’est ce que l’on disait dans le petit village sui=
sse
qui aurait été submergé dans quelques mois. Mon
père et moi le coupâmes à grand peine (le diamèt=
re
était plus que le double de la lame de la tronçonneuse) mais =
sans
états d’âme, sans histoires. Et pourtant ce châtai=
gner
aussi doit avoir eu des histoires ; lui aussi doit avoir vu des filles
assises à ses pieds rêvant de parures, de danses, d’esca=
pades
dans la plaine, de bosquets tranquilles.
Des descendantes de ces jeunes filles,
entourées de mômes, nous regardaient silencieuses.
— Passe-moi le fiasco du caf&eacu=
te;,
me dit mon père.
Je le lui passai. Il but une éno=
rme
gorgée. C’était le fiasco de l’huile de la
chaîne.
— Dieu cochon ! Que m’=
as-tu
donné ? Sale dieu ramoneur ! L’huile de la tron&cced=
il;onneuse !
Le fou rire commençait à =
me chatouiller
les entrailles L’huile secouait celles de mon père.
Je ne sus pas freiner mon rire.
Mon père sut freiner sa col&egra=
ve;re.
Il me regarda comme un père qui
n’a pas encore quarante ans peut regarde son fils prêt à
s’envoler. Brandissant la tronçonneuse qui grouinait de
désoeuvrement, il mima un geste horrible.
Il ne sut pas freiner son rire.
Il mit à off la Mc Culloch q=
ue le
rire secouait comme une couette et, quand le rire nous le permit, nous
bûmes du bon fiasco.
Les braves mères suisses nous
regardaient intriguées. Elles devaient se dire que ces Italiens &eac=
ute;taient
vraiment des fous.
12 ja=
nvier
2005. C’était, c’est. Répandre des médisances, pour moi, c’était=
« dire
pique et pendre ». Maintenant, grâce à une ouvertur=
e au
hasard du dictionnaire, c’est « dire pis que
pendre ».
13 ja=
nvier
2005. C’était, c’est. Les poireaux, pour moi, c’était dégoûtant&n=
bsp;;
maintenant c’est un délice.
J’ai pensé à mes hi=
stoires
de poireaux en lisant un petit livre — il n’a que 24 pages et s=
ept
dessins — de Pierre Dumayet[1]<=
/a>.
Un livre frais, marrant, songeur, léger mais pas trop. Un livre qui =
vaut
des dizaines de traités sociologiques sur l’alimentation, sur =
les
rites gastronomiques, sur le symbolique des repas, sur la solitude dans la
convivialité ; bien plus intéressant et utile que les
traités psychologiques sur les manies, sur les obsessions, sur les
titillations et les picotements de l’esprit. Après une bonne
marche en montagne, en bonne compagnie, une belle journée de juillet=
, vous
regardez le lac lointain vibrer dans la chaleur, votre amie vous tend la
bouteille revivifiée dans le ruisseau, vous la portez à vos
lèvres et vous vous laissez envahir par la fraîcheur du
rosé. Ce fut l’effet du livre, sur moi.
Dans ce livre plein d’esprit, vous
apprenez bien des choses sur les dégoûts alimentaires de
l’auteur qui ne pataugent pas dans l’anecdote, mais giclent
irréfrénables. Les dégoûts sont si particuliers,=
si
injustifiables (à moins de les justifier avec les idées
reçues), si personnels ; ils vous protègent si amoureuse=
ment,
Les dégoûts sont
raffinés, nuancés.
Le dégoût du foie de veau = rose n’est pas comparable à celui des haricots verts : « Le bonhomme qui n̵= 7;aime pas les haricots verts ne peut pas dire — raisonnablement — qu’il éprouve un "dégoût", s’il en mange. Il n’aime pas les haricots verts : un point, c’est tout. Il nR= 17;en fait pas une doctrine, Alors que le foie de veau rose » le f= oie de veau rose peut brouillez vos amitiés. Comment faire confiance à un ami qui aime le foie comme vous, mais le préfère rose ?
J’aime le foie rose et les harico=
ts
verts mais je sens que ce qu’il dit est vrai.
« Vrai », mot lourd. Dumayet, même quand il par=
le
du vrai ou de beau, est léger ; il ne dégoûte pas.
« Le jugement exprim&eac=
ute;
par le mot beau, le verdict exprimé par le mot laid ne fonctionnent =
pas
dans le champs du goût ou du dégoût alimentaire. Un bon =
plat
de tripes n’est pas beau, n’est pas laid (quelle que soit la
présentation) ».
J’arrête avec les citations=
car,
en le hachant, je fais perdre au livre tout son goût.
14 ja=
nvier
2005. Condoleezza Rice. On
peut penser ce que l’on veut de Condoleeza Rice, mais on ne peut pas =
nier
qu’elle permet des discussions animées : du genre à
mettre la voix dans la plaie.
Une armée consolide ses position=
s sur
« ce qui est important, c’est qu’elle soit une femme
noire » et l’autre sur « ce qui est important,
c’est qu’elle est d’extrême droite ». Les
préjugés les plus nobles vient à la rescousse tant&oci=
rc;t
de l’un tantôt de l’autre. La race et le genre prennent
position au sud, l’exploitation et l’injustice au nord. La
culpabilité vient à la rescousse de l’autre sexe ;
l’origine bourgeoise s’arme contre l’exploitation.
— Je me fous complètement =
qu’elle
soit femme et noire. Même les féministes les plus connes
n’ont pas des idées si étroites. Voilà les
résultats, quand un homme joue au féministe.
— Moi, je ne me fous pas.
— Si je ne m’en étai=
s pas
aperçue, je serais bien bête ! Mais une femme ne peut pas
être bête, n’est-ce pas ?
— Ce n’est pas ça. P=
our
moi le fait qu’elle soit femme et Noire est un indice très
important de l’évolution de la société
américaine. Considère les pas qu’ils ont faits en cinqu=
ante
ans !
— Et alors ? Demande aux Ira=
kiens
et aux sans domicile fixe de Los Angeles ; demande aux Noires
américaines, surtout aux Noires pauvres, si le fait qu’elle so=
it
une femme noire leur facilite la vie.
— Je ne dis pas que pour eux ce s=
oit
différent. Moi aussi j’aurais préféré
qu’à sa place il y ait un homme avec des idées plus pro=
che
des nôtres. Ce n’est pas de ça, qu’il est question=
.
— C’est de ça dont on
parle. Tu la trouves sympa à cause de la couleur de sa peau et de son
sexe.
— Non. Oui. Elle montre que les
Américain sont bien plus avancés que les Français.
J’ai hâte de voir quand la France aura comme premier ministre u=
ne
femme d’origine sénégalaise ou même algéri=
enne.
— Oui, et alors ? Moi, femme=
quand
je l’écoute, je me dis « Merde, c’est une fem=
me
et elle est d’extrême droite ».
15 ja= nvier 2005. L’innocence des mots. « Les mots sont pa= r nature neutres et indifférents. C’est de leur contexte qu’ils tirent le plus vif et le plus dru de leur charge émotionnelle [L= a] lutte contre le langage raciste ou sex= iste se trompe le plus souvent de cible […] ces journaux français non moins vertueux [que certaines revues américaine] qui croie= nt seconder la juste cause de femme en imprimant des monstruosités telle que "auteure" ou "écrivaine." » On est d’accords, « monstruosité » n’est = pas monstrueux. Les mots son innocents, mais celui qui a écrit « monstruosité » à propos d’&laqu= o; auteure » et d’« écrivaine » n’est pas innoc= ent. Il croit que féminiser certains mots va à l’encontre de= la langue française et il semble ignore qu’une langue n’est= jamais innocente. Je demande à ce contempteur du politically correct d’imaginer une langue où tout = ce qui est mauvais et sans valeur est au féminin et tout ce qui est important est au masculin. Est-ce que l’on aurait le droit de créer des nouveaux mots même s’ils vont à l’encontre de quelques milliers d’années d’histoire ? On peut bien sûr répondre « non » et ce « non » serait innocent mais ne serait pas innocent celui qui le prononce, ce non. Pourquo= i « écrivaine » n’est pas acceptable ? Est-ce qu’« écriv= ain » est plus « beau » ? Plus beau parce que n= os classiques l’ont employé tandis qu’écrivaine̷= 0; Que penser de nos voisins les Italiens qui disent sans gêne « scrittore » et « scrittrice »= ? N’aiment-ils pas le beau ?
Il conti= nue : « il n’y a nulle perversion dans le dictionnaire, elle est toute entière dans les esp= rit et ce sont ceux-ci qu’il faudrait reformer ». En comme= nçant par le sien qui ne semble pas avoir compris l’importance des traces q= ue portent les mots, ni des ombres qu’ils jettent.
16 ja=
nvier
2005. Ringard. Au débu=
t de
son règne Catherine la Grande de Russie promulgue un oukase en faveur
des paysans serfs qui n’étant pas « en mesure de comprendre le sens de tel=
les
dispositions » se révoltent contre l’édi=
t,
comme l’écrit Hélène Carrère d’Anca=
usse
dans sa biographie de l’impératrice russe amie de Voltaire. Qu=
and
elle ajoute que « La
méfiance est leur premier réflexe, doublé du souci de =
se
défendre contre des dispositions dont il n’imaginent pas
qu’elle puissent influer de manière heureuse sur leur conditio=
n »,
je me demande ce qu’elle aurait pu écrire si elle
n’était pas de droite.
P. S.
Parler de gauche et de droite ça=
fait
ringard, mais je ne sais pas très bien quels autres termes employer
(progressiste et réactionnaire font le même effet). Haut et
bas ?