¿ Dónde
está Dios* ?
par Ivan Maffezzini
Mi hermano vive en los montes, y no conoce
una flor
Sudor malaria y serpientes, la vida del
leñador.
Y que nadie le pregunte si sabe donde está Dios,
(Atahualpa Yupanqui. Preguntitas sobre
Dios)[1]
N |
ous avions demandé à Georges
Leroux un texte pour un numéro sur l’engagement. Il nous a livré un texte
engagé sur l’enseignement de la religion, un texte qui, à notre avis, à cause
de la richesse de l’argumentation et de la profondeur de la réflexion méritait
qu’on s’attarde à ce thème. Nous avons donc changé de cap et décidé de préparer
un numéro sur « religion et école » en partant de ce texte. Même si
le thème de ce numéro n’est plus directement l’engagement[2], il s’agit certainement d’un
numéro engagé, et engagé du point de vue théorique et politique, ce qui n’est
pas toujours le cas, même pour une revue comme la nôtre. Il couvre un assez
large éventail d’idées et de positions sur la question de l’enseignement de la
religion. Tous les auteurs sont clairement contre l’école confessionnelle, la
différence étant la place (ou la non-place, selon le Mouvement laïque
québécois) de la religion dans l’école.
Louis Rousseau, dans l’article d’ouverture, fait un excursus
historique pour situer la problématique et mettre en évidence que les cours de
morale et les cours de religion ont des buts très différents. Les premiers
étant concernés surtout par un « apprentissage graduel de la décision
morale autonome », les deuxièmes visant « à doter les jeunes de
connaissances qui ouvrent certes de nouvelles possibilités d’expériences […]
mais qui s’abstiennent par principe de franchir le seuil du jugement et de
l’engagement personnel ». Les deux types de cours devraient coexister
mais, pour ce faire, le cours « culturel » de religion demande que
l’on adopte une nouvelle approche dans la formation des enseignants.
Georges Leroux a une position moins
classique. Il croit que l’enseignement de la religion doit être confessionnel,
dans une école, bien sûr, non confessionnelle. Résumer sa position en peu de
lignes, c’est risquer de la trahir, disons seulement ici qu’à l’origine de
cette position il y a la crainte qu’une laïcisation complète du système
scolaire ne renforce « l’ouverture aux sectes, aux mouvement irrationnels
et aux valeurs de la consommation et du marché ».
Geneviève de Peslouan, avec modestie
et pudeur, demande du temps pour la réflexion et son « Que dire ? »
lance des pistes en partant de la situation française.
Pour Daniel Baril, le modèle
français, justement, peut servir de guide au Québec ; il présente la
position classique du Mouvement laïque québécois et, contrairement à Georges
Leroux, croit que l’article 41 doit être éliminé de la Charte québécoise.
Catherine Mavrikakis nous livre un
texte radical avec un non sans appel à la religion dans l’école. Elle
évoque la bouche de Blandine et le cul de Genet pour affirmer que les voies de
Dieu sont impénétrables et conclut avec un plaidoyer pour l’enseignement de la
philosophie.
Thierry Hentsch, quant à lui, campe
le débat sur un plan plus philosophique. Partant d’une citation de Kant relayée
par Derrida, il examine le mystère de la mort de Dieu à la lumière de la
réflexion qu’il poursuit sur l’héritage religieux.
Brendan O’Neill, enfin, nous fait
entrer dans l’univers paranoïaque de ceux qui font campagne contre les sectes,
fustigeant la peur viscérale de l’embrigadement, brandissant la vigueur du libre
arbitre.
Deux articles hors dossier
complètent le numéro. Une présentation ironique, vivante et affectueuse de
scènes de vie indonésienne par Rémi Andriot et l’immanquable Iketnuk avec ses Horresco.
Crise du sens ?
[…] tous les moyens par lesquels l’humanité devait être
rendue « morale » ont été foncièrement immoraux.
(Friedrich Nietzsche :
Crépuscule des idoles)
Et
le collectif de Conjonctures ? Comment se situe-t-il dans cette
polyphonie religieuse ? Eh bien, il est polyphonique lui aussi. Les notes
qui suivent, surtout quand elles manquent d’harmonie, doivent être considérées
comme des tentatives de réflexions qui n’engagent que le rédacteur de la
présentation.
Quoique cela puisse paraître paradoxal, il est pour nous plus facile de répondre à la question : « Faut-il enseigner la religion ? », qu’à cette autre : « Faut-il enseigner la religion dans les écoles québécoises ? » Pour la deuxième question, non seulement nous n’avons pas de réponse, mais nous ne saurions même pas comment l’aborder, tellement elle est liée à la conjoncture politique. Essayer d’y répondre demande un engagement concret dans les affaires de la cité. Et nous, qui n’avons jamais eu un tel engagement, devons rester muets. De plus, l’enseignement de la religion (avec le nationalisme) fait partie de ces problèmes où la particularité du Québec change bien des choses. Nous n’aurions jamais pensé pouvoir voter oui à un référendum teinté de nationalisme. Et pourtant… Nous ne pensons pas que la religion doive être enseignée à l’école, mais…
Par contre, c’est notre engagement philosophique qui autorise à répondre à la première question — apparemment plus complexe mais en réalité seulement plus générale et donc plus simple. Et la réponse est un clair « non » : nous sommes viscéralement contre l’enseignement de la religion dans toutes les institutions, publiques et privées, où les enfants sont censés acquérir une formation.
Pourquoi cette position à un moment où l’on assiste à un retour du religieux ? Par simple esprit de contradiction ? Pour défendre un athéisme simpliste qui n’a pas dépassé les Lumières ? Non, tout simplement parce que nous ne partageons pas la vision si bien synthétisée par le pape Jean Paul II dans son encyclique Fides et ratio : « … l’un des aspects les plus marquants de notre condition actuelle est la crise du sens »[3] et qui est partagée sans le savoir par la presque majorité des intellectuels de gauche ou de droite ou du centre ou de n’importe quoi d’autre. Avant tout, s’il est vrai qu’il y a un retour du religieux, il n’est pas vrai qu’il y a déjà eu retrait complet. Disons plutôt qu’au niveau du discours (presse, essais, etc.) et de la pratique (participation aux offices, financement des œuvres de charité, nombre d’ordinations, etc.) les trente ans qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale ont vu un recul significatif du religieux mais, en ce qui concerne la « vision du monde » et « la morale », il n’y a pas eu de changements significatifs.
Manque de sens, manque de normes, manque de valeurs, manque d’engagements, mépris de la Vérité, voici ce qui caractériserait les nouvelles générations selon bon nombre de penseurs qui semblent ignorer qu’il a toujours été le propre de la jeunesse de suivre les valeurs des « vieux » et que si les valeurs manquent, c’est peut-être dans les têtes grisonnantes plutôt que dans les têtes vertes et rouges des punks. Et puis, les valeurs, elles ont toujours porté les jeunes à aller se faire massacrer dans des guerres ou des révolutions inutiles. Elles ont toujours été le ciment des injustices… Les valeurs… Les valeurs… Elles sont comme le sexe : plus on en parle et moins on en a.
Enseigner la religion, la morale ou les valeurs civiques n’est qu’une tentative de se donner bonne conscience et de se libérer des responsabilités de formations non institutionnalisées et non « discursives » ; de la formation des amis, des mères, des putes, des frères, des inconnus, des animaux, etc. ; de la formation qui remet la parole à sa place et qui laisse l’action libre de montrer, par l’exemple, des valeurs incarnées.
Et si nos jeunes avaient trop de valeurs ?
S’ils n’étaient pas assez nihilistes pour pouvoir créer des antivaleurs fondées
sur une croyance dans la force de l’individu qui, dès qu’il entre dans la
société, contient déjà dans son corps et dans son langage toute l’histoire de
l’humanité. Louis Rousseau nous demande d’oser. Osons l’impossible (dans ce monde
où tout est permis) : soyons hérésiarques ! Crions que le Verbe se
fait chair, dans tous les individus ! Crions que chaque individu est
l’incarnation de la langue, des mœurs et des habitudes de ceux qui l’ont
précédé — de la religion de ses ancêtres, aussi. Chaque individu, dans les
premières années de sa vie, éteint lentement la chandelle de la liberté pour
entrer dans la société sous l’égide de la nécessité : voilà la tragédie de
la vie. Côté liberté il reste un seul espoir : s’allier à un autre corps
pour engendrer une nouvelle vie qui brûlera la chandelle, et ainsi soit-il.
On peut craindre que, pilotée par un pape qui parle
de philosophie en sachant de quoi il parle, la religion ait commencé à envoyer
ses avant-gardes pour faire « terre brûlée » sur le terrain
philosophique et pouvoir ensuite se présenter comme la salvatrice de
l’humanité : celle qui met (ou mieux, re-met) de l’ordre dans la société.
Et là, tous semblent suivre : heideggeriens, marxistes, nieztschéens,
gauchistes, lacaniens, pragmatistes, fascistes, droitistes (ceux qui prône
l’importance du droit) et normalisateurs (ceux qui prône l’importance des
normes). Tous atterrés par le démon de la consommation et son acolyte, celui de
la mondialisation. Tous compatissants. Mais la compassion peut aussi être une réponse
automatique : on souffre avec l’autre comme on baille avec l’autre. Ce
qu’il faut, c’est se révolter primo contre l’injustice qui cause la
souffrance, se révolter ensuite parce que le souffrant ne se révolte pas et se
révolter encore contre le fait que l’on n’accepte pas que l’autre ne se révolte
pas, pour recommencer, enfin, dans un nouveau souffle, à se révolter contre
l’injustice.
Valeurs ? L’amour, par
exemple. Oui, il faut montrer aux enfants l’importance de l’amour, les éloigner
de la pornographie, des images dégradantes. Comme si on pouvait montrer l’amour
ou en parler, comme si l’amour il ne s’agissait pas seulement de le donner.
Comme si l’amour pouvait exister sans pornographie. Comme si la pornographie
avait la même signification pour un enfant de dix ans que pour un vieux pervers
de cinquante ! Ce sont peut-être les vieux qu’il faut protéger[4] (mais c’est bien cela qui se
passe, la législation qui devrait protéger les enfants ne sert qu’à protéger la
conscience des vieux).
Un non sec, donc, au retour du religieux. Un non sec parce qu’il n’a jamais disparu et que le vrai « nihilisme » est dans la tête de ceux qui habillent leurs désirs et leurs craintes de normes et de valeurs qui ne font que conserver l’injustice et donc... l’impiété.
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* Où est Dieu ?
[1] Mon frère vit dans les montagnes, mais il ne connaît même pas les fleurs,/ Sueur, malaria et serpents, c’est la vie du bûcheron/ Et que personne ne lui demande s’il sait où est Dieu,/ Jamais par sa maison un monsieur aussi important n’est passé. Atahualpa Yupanqui, Petites questions sur Dieu.
[2] Le numéro sur l’engagement sortira au début mai 1999.
[3] Jean Paul II, Fides et Ratio, http://www.vatican.va/holy_father-/jhon_paul_i…/hf_jp-ii_enc_15101998_fides-et-ration_fr.shtm, septembre 1998.
[4] Ça tombe bien ! 1999 est l’année des vieux.