Darwin

 

Il y a des incipit[1] qui bercent comme les bras amoureux d’une mère (Longtemps, je me suis couché… ) ; d’autres tels des cerises nous hâtent vers la prochaine phrase et puis la suivante et la suivante encore… jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de pages (Venez, illusions !…). ; il y a en a des connus comme Barabas dans la passion (Au commencement Élohim créa…), des puissants (Au milieu du chemin de notre vie…), des intrigants


(Jamais

quand bien même lancé…)

ou de simplement beaux (On signalait une dépression au-dessus de l’Atlantique…).

Il y en a un (When on board H.M.S. Beagle, I was much struck with certain facts in the distribution of the inhabitants of South America, and in the geological relations of the present to the past inhabitants of that continent. These facts seemed to me to throw some light on the origin of species…) qui ouvre le livre dont le ressac ne cesse de baigner le sable de nos pensées sans même que nous le sachions. Il s’agit de L’origine des espèces de Charles Darwin. When on board, de 1831 à 1836, Darwin prit une grande quantité de notes sur lesquelles il travailla patiemment pendant plus de vingt années. Le livre fut publié à Londres en 1859 et il fut épuisé dès le premier jour. Bon vieux temps ! Actuellement ses lecteurs, même si tous en parlent comme s’ils l’avaient lu, se comptent sur les doigts d’un Panda. On peut se consoler en pensant que ses idées ont eu tellement de descendants qu’elles survivent plus ou moins intactes dans les travaux de presque tous les scientifiques. Qu’il suffise de penser que même Jean-Paul II l’a reconnu comme le livre de l’évolution. Le côté sombre d’un tel succès, c’est qu’il y aura toujours des gens aux idées précuites, comme certains faiseurs de sociologie, qui trouveront des analogies chétives dans le monde que Darwin nous a fait partager.

 

 



[1] Les incipit qu’on cite sont tirés, dans l’ordre, de Proust, de Goethe, de la Bible, de Dante, de Mallarmé et de Musil.