Putes
par Theodor
Weisenstein
L |
a prostitution est le phénomène humain le plus
important que la sociologie et l’anthropologie aient pillé à la philosophie.
Pour s’assurer que les philosophes ne fassent pas un retour en force sur le
terrain de la prostitution — et, plus en général, du sexe — elles se sont
empressées de l’inscrire dans les problématiques « sociales ». Le
fait d’ajouter l’épithète social à un phénomène leur semble suffisant
pour se protéger contre les incursions philosophiques — exactement comme la
physique avait éloigné la philosophie avec la mathématisation de le nature
introduite par Galilée, en la reléguant à un rôle de couverture
épistémologique. Se demander si la prostitution doit être légalisée et comment
(maisons closes ou quartiers comme à Hambourg) est selon nous un problème
politique qui n’a aucune corrélation avec la pensée philosophique. Il serait
facile de trouver des philosophes appartenant à la même école ayant une vision
très différente de la prostitution comme il serait aisé de trouver des
philosophes à la pensée très éloignée parlant de la prostitution de la même
manière. Et ceci, pas parce que la prostitution est un thème léger qui peut
être abordé de milles manières différentes sans que le fond soit influencé,
mais exactement pour la raison contraire : parce que la prostitution
renvoie au rapport entre espace public et privé du corps. Si à cela on ajoute
la dimension économique, il est aisé de comprendre pourquoi les philosophes
modernes laissent très volontiers le sujet aux sociologues : ils ne
veulent pas se faire écraser par le poids de leur propres sexualité ou
non-sexualité. L’exception Foucault qui aborde la sexualité en partant de la
sienne doit se protéger avec une dimension historico-généalogique qui enlève
beaucoup de force à sa pensée — d’un certain point de vue, il doit devenir
sociologue et anthropologue et donc rester dans une dimension phénoménologique
sans aucune épaisseur. Les sociologues avec leurs choix méthodologiques
réducteurs (nous n’employons pas ici réducteurs dans un sens
axiologique) sont obligé à nous livrer n’importe quoi — ce qui, tout en n’étant
pas un mal en soi, ne fait pas progresser la réflexion. Nous ne pouvons donc
qu’affirmer que le terrain n’est pas prêt pour permettre à nos faibles forces
de penser la prostitution sans tomber dans les autoroutes sociologiques; la
philosophie, en abandonnant ce champ de pensée à la sociologie, oblige ceux qui
aimeraient y accéder dans une optique moins « scientifique » à un
travail de nettoyage des étables digne d’un nouvel Héraclès, et nous n’en
sommes pas. Ce que nous pouvons par contre faire, c’est poser quelques
questions qui, tout en étant assez personnelles, devraient avoir une tonalité
plus philosophique que les considérations des mes amis du Trempet.
Considérons, comme point de départ, une
définition de la prostitution bien connue et qui nous semble refléter de
manière assez précise le concept courant de « livrer son corps aux
plaisirs sexuels d’autrui pour de l’argent. » Est-ce l’argent qui fait problème
dans cette définition, ou le fait de « livrer son corps » ?
Est-il possible de donner une signification quelconque à « livrer son
corps » sinon dans un vision naïve d’une âme séparée du corps (ou d’une
volonté, si on préfère ce terme plus neutre) qui dirige la masse d’os et
de chair que l’on subsume sous le concept de corps ? Ou, ce qui fait
problème est-ce le fait qu’il n’y a pas d’échange de plaisir ? Mais, si
tel est le cas, doit-on considérer que l’économie (le do ut des)
est au fondement du plaisir ? Le rapport de prostitution n’est-il pas le
rapport le plus pur (mais qu’est-ce que pur ?) ; celui qui, comme la prostitution sacrée
de l’Antiquité, permettrait à l’humain de sortir de soi (du rapport économique
du si je te donne tant tu me dois tant) pour s’inscrire dans le cercle
du divin et donc du don ? Et comme dernière question, à saveur un peu trop
sociologique à notre goût : est-ce que la violence est consubstantielle à
la prostitution ou est-elle un simple accident historique ?
Post Scriptum
Nous n’avons pas parlé de Freud et de la
psychanalyse car le mouvement psychanalytique depuis au moins cinquante ans
masque derrière le vague du désir et l’attrait du symbole son impuissance à
penser la sexualité.