2000 - 1 = 1999

 

P

uisque le calendrier chrétien commence avec l’année 1, le nouveau millénaire commence le premier janvier 2001 et non le premier janvier 2000.

 

Simple : 2000 -1 = 1999 et 1999 a encore besoin de 1 pour faire deux fois mille ! Simple. Très simple ? Je pensais que oui et pourtant il semble que non. Pratiquement tous les gouvernements ont endossé la « thèse » populaire[1] qui veut que le deuxième millénaire finisse le 31 décembre 1999. Même si les médias ont fait une grande publicité à l’événement, il serait injuste de les accuser de n’avoir rien fait pour montrer la vérité. Ils ont souvent donné la parole à des penseurs qui n’ont pas lésiné sur les efforts pour montrer la vraie manière de compter. Qu’il suffise de citer deux sommités : Stephen J. Gould et Umberto Eco qui, depuis au moins un an, ne cessent de râler à ce propos.

 

Rien à faire.

 

Commerçants et agences de tourisme n’ont pas su attendre. L’envie de soutirer de l’argent aux gouvernements et aux citoyens était trop forte. Il fallait y aller et y aller vite. On ne pouvait pas perdre une telle occasion ! Ceux qui préfèrent les explications sociologiques aux raisons économiques, parlent de la tendance à être présents ou, avec un néologisme qui donne des boutons, de « présentialisme ». Parmi les centaines de milliers de personnes qui « créent » les événements, quelques milliers mourront dans l’année 2000 ce qui les empêchera d’être présents lors du nouveau millénaire si le vieux finit en 2000. Et, passer à un nouveau millénaire n’est pas une occasion qui se présente tous les mois ! Merde aux maths, et pour ne pas risquer de rater la naissance du nouveau millénaire euthanasions le vieux et fêtons un an à l’avance !

 

Un coup terrible pour la science et la vérité. Elles ont été mises à genoux par de vulgaires intérêts économiques et par de vieux bidules psychologiques. La populace, qui n’a jamais su s’opposer à la barbarie, sait très bien s’opposer aux lumières ! Il suffit d’un peu de panem et circenses et voilà que la raison est embrigadée. Comme d’habitude, seule une infime minorité s’est opposée. Un de mes amis, par exemple, a préféré se coucher à sept heures du soir plutôt que d’être parmi ceux qui exploitent un faux événement pour s’agiter comme des singes en rut et qui tombent en pâmoison devant des feux d’artifices. Il m’a parlé avec un certain mépris de ceux qui ont besoin du changement de millénaire pour s’amuser : les adeptes du semel in millennio licet insanire comme il les définit avec sarcasme, lui qui proclame que semel in secundo licet.

 

Dieu sauve l’élite, les prétoriens de la culture et de l’intelligence !

 

Et pourtant, cette espèce d’élite, en cette fin de millénaire (comme presque toujours), a été bête par excès d’intelligence. Obtuse par une volonté d’appro-fondir là où il n’y a pas de profondeur. Inepte par une intelligence apeurée et sans curiosité. Comment ne pas savoir que les millénaires sont des inventions arbitraires et abstraites qui n’ont aucune vérité profonde ? Comment ne pas comprendre que ce qui compte ce n’est pas de savoir si le millénaire est terminé mais de sentir que 2000 est là. Ce qui n’est pas abstrait et n’est pas arbitraire ce sont le 2000 et le 1999 « physiques » : ceux qu’on écrit sur les en-têtes des lettres, ceux qu’on voit sur les calendriers, celui qui est si long à prononcer (mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf) par rapport à son successeur si court (deux mille). C’est cet énorme changement « physique » que les gens, les média et les gouvernements fêtent ! Pour une fois qu’on est tous d’accord !

 

Toutes ces tentatives des élites de nier la « vérité » et l’importance du passage à l’an 2 000 m’obligent malheureusement à donner raison à Ikalkkata, mon épouse, qui n’a pas de cesse de répéter « Plus on est intelligent et plus on est con ».

 

 



[1] Les uniques exceptions que je connaisse sont les deux seuls gouvernements « populaires » qui restent sur la planète : Cuba et la Chine