Immigrés polimiques

 

Je venais de lui parler de la manif en faveur des immigrés qui avait eu lieu à Milan le 29 janvier. Titre du « Corriere della sera »[1] : « Guérilla urbaine pour les immigrés : Milan 10 000 manifestants… vingt blessés ».

 

Elle s’enflamma :

 

C’est vraiment différent en Europe ! Ici il n’y a plus de conscience politique. Quand on a organisé la dernière manif pour les immigrants à Montréal, on était 100. Pour te donner une idée du niveau de politisation il suffit de penser que, dans la réunion de préparation de la manif, un immigré Chilien ne voulait absolument pas qu’on mélange le problème des immigrants « politiques » avec ceux des « économiques ». Quelle merde ! Comme si ceux qui meurent de faim au Congo n’avaient pas le droit d’aller essayer de vivre dans un autre pays !

 

Qu’est-ce qu’un réfugié politique ? Quelqu’un qui, un jour, a fait un choix conscient de lutter contre les décisions, les lois, l’organisation politique de son pays et qui, pour ne pas écoper des années de prison, être tué ou, tout bêtement, pour avoir une vie décente, cherche protection dans un pays plus libre. Comme le Québec. Dans un pays démocratique et libre où quiconque a un minimum de capacités et d’initiative peut non seulement ne pas subir l’arbitraire des puissants mais aussi espérer une vie meilleure pour lui et ses enfants.

 

Qu’est-ce qu’un immigré « économique » ? Quelqu’un qui pour ne pas crever de faim cherche du travail dans un pays plus riche. Comme le Québec. Dans un pays industrialisé et prospère où quiconque a un minimum de capacités et d’initiative peut non seulement ne pas subir l’arbitraire des puissants mais aussi espérer d’ouvrir une petite entreprise pour lui et pour ses enfants.

 

Le réfugié politique fuit par espoir et s’il retourne un jour dans son pays c’est sans doute pour être du bon côté. L’immigré économique, lui, fuit, guidé par un faux espoir et, sans aucun doute, il retournera en visite dans son pays où il sera encore du mauvais côté.

 

Comme elle, je m’enflammai et j’eus envie d’écrire au bureau d’immigration pour leur demander de donner le statut de réfugié politique au chilien qui ne voulait pas d’« économiques » et de l’obliger à vivre pendant 30 ans dans les mêmes conditions que les Indiens les plus pauvres de la réserve de Sept-Îles. Il y a fort à parier qu’après deux jours il demanderait de retourner au Chili comme… réfugié économique.

 

Je m’enflammai et je lui dis qu’il fallait arrêter de lutter pour les « politiques » et commencer à lutter pour les « économiques », immigrés ou non. Que l’engagement politique n’est que lutte pour l’économie.

 

Elle s’embrasa :

 

 Peut-être, mais attention, comment est-ce qu’on peut dire ça à quelqu’un qui a subi la torture ? Celui qui s’est fait battre par un bataillon au complet, électrocuter, brûler, celui qui s’est fait couper presque tous les doigts de la main, il te montrera celui qui lui reste et te dira de remballer ton Marx. Pour nous qui n’avons vécu ni la torture ni la nécessité, c’est facile de faire les aiguilleurs de causes… c’est facile de provoquer la polémique et puis ce n’est pas en provoquant, qu’on améliore quoi que ce soit. 

 

J’avais envie de charrier encore plus et d’avoir encore plus raison. De lui crier d’arrêter d’être raisonnable. De crier que… que… Mais les flammes cédaient à la braise, avant-garde des cendres. Je devins raisonnable.

 

Je me tus.

 

 



[1] Le quotidien italien le plus diffusé.