Mortification

 

A

u cours des siècles la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves mortifications (...) Copernic (...) et Darwin (…) une troisième mortification sera infligée à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique actuelle (…)[1].

 

Quelle humanité ? Celle des savants ou celle des honnêtes hommes ? Celle des paysans chinois ou celle de la pègre colombienne ? Celle des Talibans ou celle des supporters de Clinton ? Humanité : très beau mot sur lequel on peut s’asseoir tranquille et rejeter du revers de la main tout ce qui s’oppose. Humanité : mot pour dire « ce que j’aime, ce que je trouve juste — ce que je désire ».

 

Seul l’individu peut être mortifié et l’individu est mortifié par des choses bien plus concrètes et personnelles que la découverte dans son arbre généalogique de singes ou de poissons ou de bactéries. Ce sont bien ses origines simiesques (ou bactériennes) qui lui donnent éventuellement la force de rire de ses origines ou, dans d’autres cas, d’être heureux comme un pape d’avoir trouvé une explication à l’origine de la vie.

 

Et pourtant, Freud aurait dû le savoir, ce n’est pas parce que l'on connaît une chose qu’elle est importante. Le fait que nos ancêtres aient été des reptiles est infiniment plus important que le fait de le savoir. Le fait de savoir que l’on a un inconscient structuré comme un langage, ou comme la psyché des gorilles, n’ajoute presque rien au fait d’être pilotés par ce même inconscient (s’il existe !).

 

N’est-ce pas lui qui nous a fait comprendre que c’est ce dont on n’est pas conscient qui est important et qui régente notre vie ?

 

Freud (l’humanité de Freud) trouve que l’amour propre est blessé par ses découvertes comme il le fut jadis par celles de Darwin. Pauvre petit Sigmund qui veut que tous soient mortifiés comme lui le fut par son père[2]. Pauvre petite fouine.

 

Pauvre petit[3], mouche du coche de l’histoire.


 



[1] Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, Payot 1974, p. 266. En m’inspirant de la version italienne j’ai modifié la traduction française en substituant mortification à démentie.

[2] Psychanalyse de salon ? Oui. Mais est-ce que celle des colloques ou des chambres à coucher est bien plus solide ?

[3] Ce « pauvre petit » (montée d’affection subite) n’enlève rien au fait que Freud soit un des hommes les plus intelligents et le plus dans le siècle que l’humanité mégalomane ait produit. Et la « mouche » ? Une obligation, dans la culture de langue française, quand on emploie la métaphore du coche !